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Présidentielle et législatives au Burkina Faso : les enjeux du double scrutin
Voilà plusieurs mois qu’Eddie Komboïgo attendait cette reconnaissance officielle. Désigné en mai par les hautes instances du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP) pour briguer la magistrature suprême, son choix devait encore être entériné par Blaise Compaoré, président d’honneur de la formation. Pourquoi un tel délai ? « Il fallait laisser la quiétude revenir au sein du parti avant de formuler clairement son soutien, assure un cadre du CDP. Compaoré est aussi un stratège. Il a attendu le dernier moment, juste avant l’ouverture de la campagne électorale, pour donner un coup de boost à Komboïgo. »
Ramenée d’Abidjan par Sanné Mohamed Topan, ex-directeur de cabinet de Compaoré et actuel directeur de campagne de Komboïgo, cette missive clôt définitivement le débat sur le soutien de l’ancien homme fort de Ouagadougou au candidat de son parti dans la course au palais de Kosyam. Dans ce courrier daté du 21 octobre, l’ancien président appelle en effet à la mobilisation générale en faveur d’Eddie Komboïgo lors de la présidentielle du 22 novembre, et s’engage à « l’accompagner pour la victoire au soir du scrutin ».
Lutte fratricide
En 2019, le CDP avait été déchiré par une guerre interne pour son leadership. Celle lutte fratricide avait opposé Eddie Komboïgo et Kadré Désiré Ouédraogo. Une période houleuse comme en avait rarement connu l’ex-formation majoritaire, durant laquelle Blaise Compaoré avait fait figure d’arbitre suprême, et que les deux protagonistes avaient essayé de rallier à leur cause. Depuis Abidjan, où il recevait régulièrement des représentants des deux camps, il était resté silencieux mais avait suivi de près les turbulences au sein de son parti.
Il suit la campagne de très près et n’hésite pas à donner des orientations en cas de besoin. »
Après avoir longuement hésité, il avait fini par trancher en faveur d’Eddie Komboïgo – par ailleurs soutenu par Gilbert Diendéré, son homme de confiance et ex-chef d’état-major particulier, dont Komboïgo a été le témoin de mariage en 2013. Aux yeux de Compaoré, le président du CDP n’est peut-être pas un apparatchik du parti, mais il a su le redresser depuis qu’il en a pris les rênes après sa chute, en 2014. Certains estiment aussi que l’ancien chef de l’État n’a jamais vraiment digéré que Kadré Désiré Ouédraogo n’ait pas eu de geste de compassion fort à son égard dans les mois ayant suivi son départ de Ouagadougou.
Depuis qu’il est à Abidjan, Blaise Compaoré n’a jamais cessé de garder un œil sur le parti qu’il a fondé en 1996. Il reste très consulté par ses cadres, qu’il reçoit régulièrement sur les bords de la lagune Ébrié. « Il suit la campagne de très près et n’hésite pas à donner des orientations en cas de besoin, mais il ne s’implique pas de manière trop visible », explique une figure du CDP. De son côté, Eddie Komboïgo, ses partisans – et parfois même d’autres opposants – clament à chaque meeting que l’heure est venue, pour l’ancien président, de rentrer au pays. Pour la réconciliation nationale, assurent-ils, mais aussi pour mettre son « expérience » au service des autorités dans la lutte contre les groupes jihadistes, alors que le pays a sombré dans l’insécurité depuis 2015.
Porte ouverte à un retour
Ce n’est un mystère pour personne : six ans après son départ sous la pression de la rue ouagalaise, Blaise Compaoré souhaite plus que tout rentrer chez lui, à Ziniaré. Comme le confie un de ses proches, l’homme commence à avoir « un âge avancé » (69 ans) et, si sa santé est bonne, elle n’est pas non plus celle d’un jeune dans la force de l’âge. Au début de l’année, il s’était ainsi rendu au Qatar pour des contrôles médicaux – et y était finalement resté quatre mois en raison de la crise sanitaire liée à la pandémie de Covid-19. Depuis, l’ancien président est rentré à Abidjan, où il continue à recevoir, à lire et à faire un peu de sport de salle pour s’entretenir.
Blaise Compaoré, qui a gouverné le pays pendant 27 ans, ne peut revenir comme les autres ».
Régulièrement interrogé sur le cas de son prédécesseur, le président sortant Roch Marc Christian Kaboré, candidat à un second quinquennat, répète en substance que Compaoré peut rentrer quand il veut au Burkina Faso, mais qu’il devra répondre à la justice si elle le souhaite. « Aucun Burkinabè prêt à rentrer pour travailler dans l’intérêt de son pays ne peut en être empêché. Seul le droit doit s’appliquer », avait-il ainsi répondu à JA, lors d’une interview à Ouagadougou fin octobre.
Depuis qu’il a quitté le pouvoir, l’ancien chef de l’État est poursuivi par la justice burkinabè dans deux dossiers. Le premier est le plus emblématique : l’enquête sur l’assassinat de Thomas Sankara, le 15 octobre 1987, dans lequel Compaoré est poursuivi pour « attentat à la sûreté de l’État » et « assassinat ». Le second est plus récent : l’enquête sur la répression de l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014, qui a provoqué sa chute, et dans lequel il est poursuivi pour « homicide ».
Chantage
Mi-novembre, lors d’un meeting à Ziniaré, le village de Compaoré, Kaboré avait entrouvert la porte à un possible retour de l’idole locale. « Tous ceux qui sont à l’extérieur peuvent revenir au pays. Ceux qui n’ont pas de problème en justice n’ont rien à craindre. Quant au président Blaise Compaoré, qui a gouverné le pays pendant 27 ans, il ne peut revenir comme les autres. Il faut qu’on prépare les choses pour que tout soit clair pour tout le monde avant qu’il ne revienne dans son pays. »
Kaboré ouvre la porte à son retour uniquement pour récupérer des voix, mais en réalité il se méfie de lui. »
Concrètement, le chef de l’État envisage, s’il est réélu, d’organiser un grand forum de la réconciliation nationale début 2021 qui abordera notamment la question du retour de Blaise Compaoré. Des promesses qui ne convainquent ni le principal intéressé, ni son entourage. « Ce sont des belles paroles de politicien en campagne, estime un haut responsable du CDP. Kaboré n’ignore rien de la sympathie que suscite toujours le président Compaoré partout dans le pays. Il ouvre la porte à son retour uniquement pour récupérer des voix, mais en réalité il se méfie de lui, car il sait qu’il pèse encore beaucoup politiquement. »
Le premier cercle de l’ex-président semble aussi sceptique et dénonce une forme de chantage. « Tant qu’ils continuent de faire planer la menace judiciaire, il ne rentrera pas. Qui rentrerait chez soi pour risquer d’y faire de la prison ? Personne. C’est du bon sens, glisse l’un de ses intimes. Nul n’est au-dessus des lois, certes, mais encore faut-il que la justice soit indépendante. »
En avril 2019, Blaise Compaoré avait écrit une lettre à Roch Marc Christian Kaboré dans laquelle il évoquait « sa disponibilité et son soutien » face à la dégradation de la situation sécuritaire dans le pays. Transmise par Hamed Bakayoko, l’actuel Premier ministre ivoirien, elle était restée sans réponse. Malgré les différents canaux de discussion pouvant exister entre eux – notamment familiaux, le frère de Kaboré ayant épousé la nièce de Compaoré -, aucun rapprochement significatif n’a depuis eu lieu entre les deux hommes.