Du temps où il vivait au Palais présidentiel de Nouakchott, Mohamed Ould Abdelaziz aimait à s’évader les week-ends. Presque comme un rituel, il parcourait 150 kilomètres pour rejoindre son campement de Benichab et son troupeau de dromadaires. Le chef ne se sentait à son aise qu’au milieu des dunes, loin de l’agitation politique. Ce périmètre s’est aujourd’hui réduit à 25 kilomètres et, dans la capitale, l’atmosphère est devenue irrespirable.
L’ex-chef de l’État, à qui on a retiré son passeport, vit assigné à résidence, dans sa maison du quartier des Bourses (Soukouk), qu’il a fait construire à la fin de son second mandat. Ses comptes bancaires sont gelés, peu de ses anciens homologues se soucient encore de lui et les avocats étrangers ne se sont pas pressés pour le défendre.
Après qu’une commission d’enquête parlementaire a révélé, fin juillet, de nombreuses irrégularités liées à la passation d’une série de marchés publics sous sa présidence, il a été placé sept jours en garde à vue, avant d’être auditionné, avec des membres de sa famille, à plusieurs reprises. Il est sous la menace d’un retrait de son immunité et donc d’un procès. « Aziz » rumine sa disgrâce.
Non loin d’ici, l’homme qui lui a succédé est, selon ses proches, « ni anxieux ni préoccupé. » Mohamed Ould Ghazouani serait même « serein. » Pourtant, l’ancien chef d’état-major est sous pression. Sa majorité, comme l’opposition, insistent pour que des poursuites soient lancées contre son prédécesseur, honni par une grande partie de la classe politique. Ces incessantes sollicitations le placent aussi face à un dilemme : comment faire juger son ancien ami sans risquer d’affaiblir la fonction présidentielle et, partant, de se fragiliser lui-même ?
« En Mauritanie, les seules institutions qui fonctionnent bien sont la présidence et l’armée. Or nos présidents sont en grande majorité issus de l’armée, explique l’un de ses proches collaborateurs. Attaquer leur statut, c’est liquider leur puissance. » Pour le moment, l’affaire en est encore au stade des enquêtes de police, qui ne sont pas terminées.
Immunité présidentielle ?
Mais un débat doctrinal fait déjà rage depuis plusieurs mois au sujet de l’interprétation de l’article 93 de la Constitution, qui ne reconnaît la responsabilité pénale du chef de l’État qu’en cas de haute trahison. « Le président peut aussi agir sans rapport avec sa fonction, dans un but personnel, explique l’avocat Lô Gourmo, également premier vice-président de l’Union des forces de progrès (UFP, opposition), qui plaide avec force pour la reconnaissance d’actes détachables – comprendre un acte personnel non lié à sa fonction présidentielle. Dans ce cas, il devrait être jugé à la fois par la Haute Cour de justice, mais aussi comme un simple citoyen devant les juridictions ordinaires. »
Cela reviendrait à dénier au président toute immunité ce qui, pour certains de ses confrères, est un « non-sens ». « En droit français, les ministres sont les responsables de leur administration. Si on leur demande de commettre un acte délictueux, ils doivent refuser ou, dans le cas contraire, en assumer l’entière responsabilité. Le président gère-t-il ? Non », plaide farouchement un autre juriste.
C’est une machination orchestrée par l’opposition, tout a été inventé !
En attendant que cette question soit tranchée, Mohamed Ould Ghazouani continue à se défendre de tout règlement de comptes personnel. « C’est une machination orchestrée par l’opposition, tout a été inventé ! argue Me Mohameden Ould Ichidou, chef de l’équipe d’avocats mandatée par Aziz et renforcée en août par trois Français : Mes David Rajjou, Kevin Brigant et Vincent Luchez. La Commission d’enquête parlementaire a agi sans base juridique, le dossier est complètement vide. »
« Honnêtement, il n’a pas voulu la guerre, justifie un membre du premier cercle d’Ould Ghazouani. Le chef de l’État considère que c’est lui qui a été agressé lorsque Aziz a voulu lui voler sa majorité ». Le dernier contact entre les deux anciens élèves officiers de l’Académie royale de Meknès remonte en effet à novembre 2019. Aziz avait alors revendiqué le leadership de l’Union pour la république (UPR), le parti au pouvoir, qu’il avait pris l’initiative de réunir, quelques mois après la présidentielle. Le président Ould Ghazouani a ensuite essayé de recontacter son ami, mais ce dernier n’a pas donné suite à ses sollicitations.
Point de non-retour
Lorsque ces tensions ont été rendues publiques, l’opposition, emmenée par Mohamed Ould Maouloud, le patron de l’UFP, a demandé un audit sur l’ancienne gouvernance, mais le président a refusé. Toujours selon nos informations, Ould Maouloud est alors revenu à la charge au Parlement, pour demander le lancement d’une Commission d’enquête parlementaire, avant d’essuyer un nouveau refus.
À chaque fois, Mohamed Ould Ghazouani donne la même réponse : il ne veut pas de surenchère. Mais à ses yeux, la conférence de presse qu’Aziz a donnée en décembre et au cours de laquelle il s’était dit persécuté par le pouvoir, a été le point de non-retour. « Il l’a perçu comme un défi à son autorité, dit un proche. Il s’est alors fermé aux négociations, estimant qu’il devait affirmer son autorité. Il ne se sentait plus disposé moralement à le protéger. » Alors, lorsqu’une seconde tentative de lancement d’une Commission d’enquête est effectuée en janvier 2020 à l’Assemblée nationale, le président laisse faire.
Onze mois plus tard, Mohamed Ould Ghazouani ne s’est toujours pas exprimé publiquement sur cette affaire, dont nul ne sait précisément s’il se doutait qu’elle prendrait de telles proportions. Outre les pressions exercées par l’opposition, il doit aussi gérer les inquiétudes de sa majorité, qui, ne s’estimant pas protégée, commence à gronder. Plusieurs centaines de personnalités sont concernées par le rapport de la Commission d’enquête parlementaire, dont une centaine au moins a été interrogée par la police.
Le président connait-il la fin de l’état de grâce ? « Sa majorité se fragilise », souffle un proche. De son côté, Aziz, qui s’est montré ces dernières semaines très offensif dans la presse internationale, a toujours refusé de répondre aux enquêteurs, se retranchant derrière son immunité présidentielle. « On assiste peut-être à une trêve, il ne semble plus rien se passer depuis un mois », avance Me Ould Ichidou. Le calme avant la tempête ?
Les derniers fidèles d’Aziz
Pris dans la tempête, Mohamed Ould Abdelaziz a vu ses proches s’éloigner, à l’instar de Boydiel Ould Houmeid, qui fut le vice-président de l’Assemblée nationale. Seuls quelques fidèles n’ont pas fait défection, comme ses ex-ministres Seyedna Ali Ould Mohamed Khouna (Fonction publique), Mohamed Ould Djibril (Sports) et son ex-directeur de cabinet, Isselkou Ould Ahmed Izid Bih. « Aziz » s’est aussi rapproché de Mahfoudh Ould Azizi, patron du Parti unioniste démocratique socialiste, une formation dissoute en 2019 et que l’ex-président a ressuscité en août, avant que les autorités ne ferment son siège.