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Présidentielle et législatives au Burkina Faso : les enjeux du double scrutin
L’Alliance pour la démocratie et la fédération – Rassemblement démocratique africain (ADF-RDA) espère tenir sa revanche. Le parti, qui fut de tous les combats politiques depuis l’Afrique occidentale française, a d’ailleurs remporté une première manche. Cette fois, le nom de l’ADF-RDA sera inscrit sur les bulletins de vote lors des élections législatives et présidentielle du 22 novembre.
En 2015, Gilbert Noël Ouédraogo, déjà candidat de l’ADF-RDA, avait été exclu de la course à la magistrature suprême. Le Conseil constitutionnel avait invalidé sa participation ainsi que celle de tous les politiciens ayant soutenu le projet de modification constitutionnelle de Blaise Compaoré.
Cinq ans plus tard, l’ancien ministre des Transports de l’ex-président en exil est bien en lice et veut y croire. Cet avocat de 52 ans au libéralisme assumé entend conduire son parti vers la victoire. Entretien.
Jeune Afrique : Comment se porte l’ADF-RDA ?
Gilbert Noël Ouédraogo : Notre parti se porte très bien, mais comme le disait le journaliste d’investigation Norbert Zongo, « il n’y a d’avenir pour personne dans un pays qui n’en a pas ». Le Burkina Faso fait face à une situation inédite avec des milliers de personnes tuées, plus d’un million de déplacés et des pans entiers du territoire national désormais hors de contrôle. Cela préoccupe profondément notre formation politique.
Nous avons toujours pris part aux élections. Le RDA, depuis sa naissance en 1946 sous l’Afrique occidentale française, a été de tous les combats politiques. L’ADF-RDA est fortement ancrée dans le cœur et l’esprit des Burkinabè. Notre parti est donc confiant pour partir à la conquête du pouvoir.
Votre formation reste fortement associée au régime de Blaise Compaoré…
S’il existe un parti dont la réputation doit être associée à celle du régime déchu de Compaoré, ce n’est certainement pas l’ADF-RDA. Nous avions collaboré avec l’ex-président entre 2005 et 2010. Nous ne voyons pas comment cela peut altérer notre image.
Comment comptez-vous convaincre les Burkinabè d’oser le changement avec vous ?
Mon projet de société, intitulé « Pour l’unité, pour la patrie, pour la Nation de la nouvelle espérance », fait un diagnostic de la situation actuelle et aborde les secteurs clés, comme la sécurité, la cohésion sociale et la paix, la réconciliation, le développement rural, sur lesquels je compte apporter des réponses précises aux préoccupations des Burkinabè.
Ce programme est axé autour de douze secteurs, subdivisés en deux grandes parties qui prônent le retour de la sécurité à travers la formation d’une réserve citoyenne, la mise en place d’unités spéciales au sein des forces de défense et de sécurité et d’une prime censée prendre en charge les victimes du terrorisme, ainsi que le développement harmonieux des territoires. Ces propositions avaient été faites au gouvernement au lendemain de l’attaque de Koutougou (24 militaires avaient été tués, en août 2019, dans le nord du Burkina Faso, NDLR). Nous avons été le seul parti à avoir renoncé, l’an dernier, à la subvention de l’État d’un montant de 19 millions de F CFA (28 960 euros) que nous avons fait reverser en appui aux forces armées.
Il ne faut pas donner l’impression de mener une chasse aux sorcières ou de persécuter nos anciens dirigeants. »
Pourquoi affirmez-vous que la réconciliation est urgente ?
La réconciliation est un moyen de renouer avec l’unité et la sécurité nationale. Notre schéma sur cette question est clair, et nous l’avions proposé au gouvernement via la Coalition pour la démocratie et la réconciliation (Coder, plateforme créée en 2016 par plusieurs partis de l’opposition, NDLR). Nous avions proposé de convoquer un forum national des forces vives de la nation afin d’adopter une feuille de route consensuelle sur la réconciliation. Mais cela n’a pas été fait.
Je m’engage à convoquer ce forum, si les Burkinabè m’accordent leur confiance le 22 novembre. Je considère qu’il n’y a pas de recette miracle pour réussir à nous réconcilier, chaque nation doit inventer son remède.
Quel sort sera réservé aux exilés politiques poursuivis par la justice, dont l’ancien président Compaoré ?
Il est important que tous les fils et filles du Burkina Faso rentrent chez eux, y compris Blaise Compaoré. Ce retour doit avoir lieu dignement. Il ne faut pas donner l’impression de mener une chasse aux sorcières ou de persécuter nos anciens dirigeants. Cela entrave l’alternance politique, en poussant ceux qui sont aux affaires à vouloir s’y maintenir.
J’entretiens d’excellents rapports avec le président Compaoré. »
Blaise Compaoré est notamment poursuivi dans le cadre de l’enquête sur la mort de l’ancien président Thomas Sankara. Considérez-vous cette inculpation comme une forme de persécution ?
Nous avons besoin de tout le monde. Tout cela peut se discuter à travers un processus inclusif. La justice peut être administrée de plusieurs manières (conventionnelle, transitionnelle, etc.). En matière de conflit de masse, la meilleure réponse est d’obtenir une réparation sans pour autant que cela corresponde à un droit à l’oubli. En tant qu’avocat, je suis bien placé pour vous dire que cela permet d’obtenir la vérité. L’adage dit d’ailleurs qu’« un mauvais arrangement vaut mieux qu’un bon procès ».
Comment qualiferiez-vous vos rapports avec les présidents Compaoré et Kaboré ?
J’entretiens d’excellents rapports avec le président Compaoré. Je l’ai rencontré durant ma présidence de la Coder. J’ai gardé le contact avec lui, tout comme avec le président Roch Marc Christian Kaboré, que j’ai rencontré à plusieurs reprises. Mon obédience libérale fait que je ne m’interdis aucun contact, avec qui que ce soit. Comme le stipule notre pensée : « Je ne suis pas d’accord avec toi, mais je suis prêt à me battre jusqu’à ma dernière goutte de sang pour que tu t’exprimes ».
Avec l’UPC de Zéphirin Diabré, nous avons des liens forts. »
Entre le Mouvement du peuple pour le progrès (MPP) au pouvoir, l’Union pour le progrès et le changement (UPC) de Zéphirin Diabré et le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP) d’Eddie Komboïgo, qui considérez-vous comme votre principal adversaire ?
L’élection présidentielle est un rendez-vous entre un leader politique et son peuple. Je m’adresse donc aux Burkinabè. L’ADF-RDA, patriarche des formations politiques, dispose d’une grande expérience et a su rebondir après avoir dirigé à trois reprises ce pays (sous la première, la deuxième puis la troisième République, NDLR). Nous pouvons revenir aux affaires.
Vous sentez-vous plus proche d’un Zéphirin Diabré, libéral comme vous ?
Nous ne fermons la porte à personne. D’ailleurs, si je suis élu président du Faso, je ferai appel à toutes les compétences, où qu’elles se trouvent. Ceci étant, l’UPC est un parti libéral et dans ce cadre, nous avons des liens forts. J’ai parrainé la candidature de l’UPC au sein du Réseau libéral africain que je préside.
Qu’attentez-vous de ces scrutins présidentiel et législatifs ?
J’espère être élu avec une majorité au Parlement pour mettre en application mes solutions pour bâtir un Burkina Faso réconcilié, fort et prospère. Je vais aux urnes confiant. Nous voyons des gesticulations ça et là, mais nous avons décidé de tenir trois grands meetings à Ouagadougou, Bobo-Dioulasso et Ouahigouya, ainsi que des rassemblements provinciaux et communaux. Comme le disait le défunt président d’honneur de l’ADF-RDA, Gérard Kango Ouedraogo (ancien Premier ministre et père de Gilbert Noël, NDLR), « en politique, un plus un n’est pas égal à deux ».