Politique

Cameroun : pourquoi les méthodes de Ferdinand Ngoh Ngoh ne passent pas

Alors qu’un vaste remaniement ministériel après les régionales du 6 décembre se profile, le secrétaire général de la présidence, Ferdinand Ngoh Ngoh, proche de Chantal Biya, cristallise les critiques. 

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Mis à jour le 13 novembre 2020 à 14:57

Le secrétaire général de la présidence du Cameroun, Ferdinand Ngoh Ngoh. © DR

De nombreux membres du gouvernement appliquent les « hautes instructions du président de la République » de mauvaise grâce. Ces derniers ont bien du mal à digérer l’octroi, depuis novembre 2019, de nouveaux pouvoirs à Ferdinand Ngoh Nogh, le secrétaire général de la présidence (SGPR), après que Paul Biya lui a délégué sa signature.

Alors que le chef de l’État, qui peut ne pas apparaître en public pendant plusieurs semaines, est désormais censé parler et agir par l’intermédiaire de son proche collaborateur, une grogne sourde a commencé à monter dans les rangs du gouvernement.

« Autoritarisme »

Doutant du fait que les consignes données par Ngoh Ngoh proviennent vraiment de Biya, des ambassadeurs étrangers, le patronat et même des opérateurs économiques n’hésitent plus à le contourner pour contacter directement le président. Les communications du SGPR sont par ailleurs jugées « autoritaristes ».

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« J’ai l’honneur de vous demander de faire démanteler immédiatement, dans les 24 heures, les stades […] afin que les entreprises en charge de la réhabilitation des aires de jeunes puissent engager les travaux », a-t-il enjoint le 7 octobre dernier à Malachie Manaouda, le ministre de la Santé publique, dans un courrier relatif à l’enlèvement des hôpitaux de campagne érigés dans des stades pour la prise en charge des malades du coronavirus. Manaouda a été averti la veille pour le lendemain, en vue d’une tournée des stades dont même le Premier ministre Joseph Dion Ngute n’avait pas été informé.

D’autres reprochent encore à ce diplomate de formation et de carrière, qui n’avait jamais goûté à la politique avant sa promotion surprise à ce poste clé, son « inexpérience ». Ainsi, pour autoriser l’évacuation sanitaire au Maroc de l’ancien directeur général de la Camair, Yves Michel Fotso, alors condamné à perpétuité et incarcéré à la prison annexe du secrétariat d’Etat à la Défense (SED), le SGPR avait saisi en août 2019 le patron de la gendarmerie au lieu de s’adresser à Laurent Esso, le ministre de la Justice, qui est par ailleurs son prédécesseur.

Un second Premier ministre

Avec également le titre de « ministre d’État », qui précède celui de secrétaire général de la présidence, Ferdinand Ngoh Ngoh est devenu un membre du gouvernement. Dans la pratique, il officie comme un second Premier ministre, damant même le pion à ce dernier, à qui il fait parvenir ses « hautes instructions » par un tour de passe-passe juridique.

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Ainsi, le 19 octobre, il a saisi le secrétaire général de la primature en ces termes : « En exécution des très hautes instructions du président de la République, j’ai l’honneur de vous faire connaître qu’il demande au Premier ministre, chef du gouvernement, de faire surseoir à la mise en œuvre de la collecte par voie numérique des droits de douane et taxes sur les téléphones et terminaux importés et de soumettre à sa haute sanction un mécanisme plus approprié de recouvrement desdits droits de douane et autres taxes. »

Il n’a toujours pas intégré le bureau politique du RDPC. Un handicap dans la course à la succession de Paul Biya

Les relations de Ngoh Ngoh se sont également dégradées avec Maxime Eko Eko depuis que le SGPR a torpillé les efforts du patron de la Direction générale de la recherche extérieure (DGRE), qui était soutenu par le Premier ministre, dans la recherche d’une solution négociée à la crise anglophone. Une réunion prévue à Nairobi, au Kenya, n’a pas été autorisée par la présidence. Ngoh Ngoh privilégie la médiation suisse, même si celle-ci n’est pas acceptée par tous les acteurs, et notamment pas par certains fédéralistes anglophones.

Obstacles politiques

Si ministres et directeurs généraux préfèrent avaler des boas plutôt que de l’affronter, son influence trouve cependant ses limites sur le plan politique. Ngoh Ngoh n’est en effet toujours pas entré au sein du très sélectif bureau politique du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC). Un handicap majeur dans la course à la succession de Paul Biya, à laquelle beaucoup le voient déjà prendre part.

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Au gouvernement, il a placé quelques amis, même si ceux-ci ne détiennent pas de portefeuilles-clés : Achille Bassilekin (ministre des Petites et moyennes entreprises), Célestine Ketcha Courtès (ministre de l’Habitat) ou encore Galax Yves Landry Etoga (secrétaire d’État auprès du ministre de la Défense).

Dans le secteur productif, il a nommé Claude Simo Njonou à la tête de la Société nationale de raffinage (Sonara). Il a tenté à plusieurs reprises de limoger Adolphe Moudiki, le tout puissant administrateur directeur général de la Société nationale des Hydrocarbures (SNH), pour le remplacer par l’un de ses protégés. Mais Paul Biya a stoppé les tentatives de prise de contrôle des entreprises publiques pétrolières de son collaborateur.