C’est un duel au sommet dont le patronat malien se serait bien passé. Mamadou Sinsy Coulibaly, président sortant du Conseil national du patronat malien (CNPM) et candidat à sa propre succession, ne reconnaît pas l’élection d’Amadou Sankaré à ce poste. Depuis, les deux hommes se livrent à une guerre pour conquérir le fauteuil de patron des patrons, multipliant les recours en justice et les invectives par voie de presse.
D’un côté, Mamadou Sinsy Coulibaly – dit « Madou Coulou » – , PDG et fondateur du groupe Kledu, qui tient les rênes du CNPM depuis 2015. Dans la sphère publique, ce libéral assumé cultive son image de self-made-man et s’est forgé une posture de « chevalier blanc » de la lutte contre la corruption. Il est notamment l’un des membres fondateurs, aux côtés de Clément Dembélé, de la Plateforme de lutte contre la corruption et le chômage (PCC).
De l’autre, Amadou Sankaré – dit « Diadié » – , troisième vice-président du bureau sortant. Plus discret dans les médias, ce diplômé de l’université du Québec à Montréal en ingénierie comptable et financière et management des sociétés est le patron de la Société africaine d’études et de réalisations (SAER-Emploi), une entreprise qu’il a créée en 1993.
Vote tendu
Le 26 septembre, Amadou Sankaré a mis le feu aux poudres en convoquant une Assemblée générale en vue d’élire le nouveau bureau. Le vote se tient dans un contexte pour le moins tendu, contre l’avis du président sortant, et alors que le secrétaire général de l’organisation patronale, Modibo Tolo, affirme que le scrutin doit être reporté car « aucune des listes de candidatures transmises ne remplit les conditions requises » par les statuts du CNPM. De fait, plusieurs noms figuraient en doublon sur les deux listes.
Le matin de l’Assemblée générale convoquée par Sankaré, Sinsy Coulibaly fait fermer les portes du siège du patronat malien. Ce qui n’a pas empêché le vote de se tenir… sous une tente dressée à quelques encablures du CNPM. Sur les 107 délégués à avoir glissé un bulletin dans l’urne ce jour-là (sur les 155 qui composent le collège électoral), 89 ont voté pour Amadou Sankaré, un seul pour Mamadou Sinsy Coulibaly, et 17 ont voté blanc.
Dans le camps de Sankaré, on affirme que Modibo Tolo n’avait « pas qualité » pour reporter le vote, et qu’en outre, le comité statutaire du CNPM « ne fait aucunement mention du contenu et de la formation des listes des différents candidats. »
Arguties juridiques
Quelques jours plus tard, le 8 octobre, Mamadou Sinsy Coulibaly organise à son tour une assemblée générale, au terme de laquelle il est réélu pour un nouveau mandat de cinq ans. Sur les 107 délégués présents, il a obtenu 102 voix. Il n’aura cependant pas le temps de célébrer sa victoire : un recours est immédiatement déposé devant le comité statutaire du CNPM pour contester l’élection.
Le 12 octobre, fort de son résultat lors du vote du 26 septembre, Amadou Sankaré obtient de son côté du président du tribunal de la commune IV de Bamako une « ordonnance gracieuse », l’autorisant à occuper les locaux du CNPM. Dans le camp de Coulibaly, la riposte ne se fait pas attendre. Le 13 octobre, ses avocats déposent un recours devant le même tribunal pour obtenir que la décision soit annulée.
Après plusieurs reports, alimentés par les arguties juridiques avancées par les avocats des deux parties, la décision autorisant Sankaré a prendre possession du siège du CNPM a finalement été annulée le 30 octobre.
Division
Mais Amadou Sankaré et ses équipes n’entendent pas lâcher prise. L’annulation de la décision du tribunal « n’entraîne pas une réintégration de Coulibaly », ont argué les avocats de Sankaré lors d’une conférence de presse. « La particularité de l’ordonnance gracieuse, c’est que même après son annulation, on revient au statu quo antérieur. Il ne s’agit pas d’une ordonnance d’expulsion d’Amadou Sankaré », précise à Jeune Afrique Me Boubacar Guindo.
L’équipe de défense de Mamadou Sinsy Coulibaly a saisi la justice, dans une énième procédure, pour réclamer formellement l’expulsion d’Amadou Sankaré. Le procès, dans ce dossier, doit se tenir le 19 novembre.
Il existe un lobby composé de gens qui en veulent à Mamadou Sinsy Coulibaly pour ses prises de position dans la lutte contre la corruption. »
Derrière ce bras de fer judiciaire peu flatteur pour l’image de l’organisation patronale malienne, le camp de Mamadou Sinsy Coulibaly voit une main extérieure. « Il n’y a pas de problème entre « Diadié » et Sinsy. La division est provoquée par des gens qui veulent désunir notre organisation, des personnes qui sponsorisent l’un ou l’autre », accuse Boubacar Diallo, deuxième vice-président du bureau de Mamadou Sinsy Coulibaly. S’il refuse de livrer des noms, Boubacar Diallo affirme que « Madou Coulou » fait les frais de ses engagements politiques. « Il existe un lobby composé de gens qui lui en veulent pour ses prises de position dans la lutte contre la corruption », assure-t-il.
Quelle que soit l’issue de cette bataille, dont le procès attendu le 19 novembre pourrait n’être qu’un épisode supplémentaire, le futur patron des patrons maliens aura fort à faire pour redorer l’image d’un CNPM affaibli par ce duel livré en place publique.