Trump ou Biden : quelles conséquences pour l’Afrique ?

Un nouveau mandat de Donald Trump se traduirait par une aggravation de la crise climatique et un soutien réaffirmé aux autocrates du continent. Mais serait-ce différent en cas de victoire de Joe Biden ?

Projection publique du débat entre Donald Trump et Joe Biden, le 22 octobre 2020. © Jeff Chiu/AP/SIPA

Projection publique du débat entre Donald Trump et Joe Biden, le 22 octobre 2020. © Jeff Chiu/AP/SIPA

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Publié le 4 novembre 2020 Lecture : 5 minutes.

Si le style souvent brutal et imprévisible du président américain fait le bonheur de ses partisans, il est souvent moins bien vécu par les pays alliés aux États-Unis, comme l’Éthiopie a pu en faire récemment l’amère expérience. Addis Abeba avait pourtant fait beaucoup d’efforts pour se concilier les bonnes grâces de Washington, allant même, comme l’expliquait l’ambassadeur américain Michael Raynor en 2019, jusqu’à associer des officiels américains à certaines discussions ministérielles sur les grands sujets économiques concernant l’Éthiopie.

Le Premier ministre Abiy Ahmed a donc dû être fort surpris lorsque Donald Trump, fin octobre, a estimé publiquement que son pays n’avait pas respecté ses engagements dans le cadre de la construction du gigantesque barrage Renaissance, sur le Nil, et que les Égyptiens finiraient sans doute par le « faire sauter ». Certains analystes y ont vu une ingérence insupportable et une insulte faite à tout le continent, mais surtout une nouvelle preuve du fait que le président américain ne semble même pas se soucier des intérêts de son propre pays.

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Aucun changement à espérer

La situation serait-elle différente si Joe Biden l’emporte ce 3 novembre ? Dans bien des domaines – diplomatie, soutien aux démocraties, multilatéralisme, allègement de la dette ou réchauffement climatique – les deux candidats ont des analyses et des propositions clairement divergentes. Pour ce qui est du soutien économique à l’Afrique par contre, aucun changement majeur ne semble à espérer.

Parmi les conséquences les plus prévisibles d’une réélection de Donald Trump, on peut citer la sortie définitive de l’Accord de Paris sur le climat, engagée en novembre 2019 mais encore en cours. Concrètement, les États-Unis cesseraient alors de contribuer au financement de cet Accord censé coordonner la lutte contre le réchauffement – cela se traduirait par une perte de 3 milliards de dollars – , ce qui aurait sans doute pour effet de pousser d’autres pays à se désengager, ou du moins à réduire leur effort.

Or sur une majeure partie du continent, le changement climatique n’a rien d’une menace hypothétique : la crise est déjà là. Les invasions de criquets en sont une conséquence directe, tout comme les inondations qui frappent régulièrement le Nigéria et ses voisins d’Afrique de l’Ouest, ou la sécheresse de plus en plus marquée qu’on observe au sud.

Si, à l’inverse, c’est Joe Biden qui l’emporte, l’Afrique sera confrontée à d’autres problèmes. Le projet démocrate fait la part belle au Green New Deal, qui prévoit une transition rapide vers les énergies renouvelables, solaire notamment, et à la disparition des subventions accordées aux fournisseurs d’énergies fossiles. Pour les producteurs de pétrole et de gaz du continent, une telle politique ne serait pas non plus sans conséquences.

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Diplomatie hostile

Sur le plan diplomatique, le premier mandat de Donald Trump s’est traduit par une forte hostilité envers les institutions « globalisées », c’est-à-dire les organisation ou les individus qui défendent l’idée selon laquelle certains grands sujets – les échanges commerciaux, la santé, la sécurité, le climat – doivent être discutés à un niveau supra-national.

Donald Trump aux côtés de Tedros Ghebreyesus, lors du G20 à Hambourg, en juillet 2017. © SAUL LOEB / AFP

Donald Trump aux côtés de Tedros Ghebreyesus, lors du G20 à Hambourg, en juillet 2017. © SAUL LOEB / AFP

Le président américain a notamment qualifié l’Union européenne d’« ennemi » sur le plan économique, et a concentré ses attaques sur certaines personnalités africaines placées à la tête de grandes institutions multilatérales. Citons, pour mémoire :

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· L’Éthiopien Tedros Ghebreyesus, qui dirige l’Organisation mondiale de la santé (OMS), injustement accusé de faire le jeu de la Chine lors de la crise du Covid.

· Le Nigérian Akinwumi Adesina, dont la réélection à la tête de la Banque africaine de développement (BAD) a été, un temps, bloquée par le secrétaire américain au Trésor, Steven Mnuchin.

· La Gambienne Fatou Bensouda, procureure générale de la Cour pénale internationale (CPI), visée par des sanctions américaines au mois de septembre.

· Et enfin, la Nigériane Ngozi Okonjo-Iweala dont la probable nomination à la tête de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) a été retardée, là encore à la demande des États-Unis.

Vers une inversion de tendance ?

S’il n’est pas absolument garanti qu’une victoire de Joe Biden inverserait le mouvement, certains indices permettent quand même de le supposer. Le candidat démocrate a par exemple annoncé que s’il est élu, son pays reprendra sa place au sein de l’OMS et recommencera à verser sa contribution.

Une administration démocrate changerait peut-être aussi d’attitude envers la Banque mondiale, actuellement dirigée par un banquier nommé par Donald Trump, David Malpass. Ce dernier, qui occupait le poste de chef économiste chez Bear Stearns, est resté célèbre pour avoir expliqué qu’il ne fallait surtout « pas paniquer » lorsque la crise des subprimes a démarré, en 2007. Bear Stearns a ensuite fait faillite.

Depuis qu’il a été nommé, David Malpass a fait la leçon à la BAD, estimant qu’elle était trop prompte à prêter de l’argent. On peut s’interroger sur cette notion de promptitude dans la mesure où, parallèlement, la Banque mondiale a été critiquée pour avoir trop trainé à accorder certaines aides pourtant essentielles dans le cadre de la lutte contre le Covid.

Comme quoi, la rapidité de décision a parfois aussi du bon… Ce que confirme d’ailleurs Judd Devermont, responsable Afrique au Center for Strategic and International Studies de Washington, qui expliquait récemment : « La prochaine administration américaine, quelle qu’elle soit, va devoir s’emparer très vite de la question de la dette. Les États-Unis accusent depuis longtemps la Chine d’accroître l’endettement des pays africains, mais eux-mêmes auraient pu faire plus sur la question du moratoire ou sur l’allègement de la dette et se montrer plus souples sur l’action du Fonds monétaire international en la matière. »

Le cas du Nigeria

Dans un autre ordre d’idée, on peut s’interroger sur la réaction, ou plutôt l’absence de réaction, de Washington aux derniers incidents qui ont eu lieu à Lagos, fin octobre, lorsque l’armée a ouvert le feu sur les manifestants.

Pour Matthew Page, un ancien officier de renseignements américain qui travaille maintenant à la Fondation Carnegie pour la paix internationale, « il est certain que l’ambassade américaine au Nigeria avait préparé un projet de communiqué, même si le ton en était sans doute prudent. C’est la procédure habituelle. Ce communiqué n’a pas été publié ».

Matthew Page estime que dans les mêmes circonstances, une administration Biden aurait sans doute agi différemment : « Sans aller jusqu’à mettre le Nigeria sur une liste d’États parias, il aurait été possible de dire publiquement qu’il est inacceptable de voir des militaires ouvrir le feu sur des manifestants pacifiques, de prendre des mesures diplomatiques et politiques pour faire passer ce message. »

Signalons enfin que, pour certains spécialistes, l’action menée en Afrique lors du mandat de Donald Trump n’est pas totalement négative, car l’administration a poursuivi un certain nombre de programmes initiés lors des présidences précédentes, souvent à l’initiative de commissions bipartisanes du Sénat ou de la Chambre des représentants.

On citera ainsi la loi BUILD (Better Utilization of Investments Leading to Development), qui aide les sociétés américaines à faire des affaires en Afrique, ou encore la création du DFC (Development Finance Corporation), une institution fédérale destinée à financer des projets dans les pays à revenu moyen ou faible. Ce DFC remplace deux organisations préexistantes et a été doté d’un budget deux fois supérieur, on peut donc considérer qu’il s’agit d’une évolution positive.

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