Politique

Diplomatie : Tunis et Alger accordent leurs violons

La crise libyenne donne lieu à des rencontres fréquentes entre la Tunisie et l’Algérie, qui souhaitent peser davantage sur ce dossier.

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Par - à Tunis
Mis à jour le 30 octobre 2020 à 16:46

Le ministre algérien des Affaires étrangères Sabri Boukadoum et le président tunisien Kaïs Saïed à Tunis, le 28 septembre 2020. © CHINE NOUVELLE/SIPA

Reprise des vols internes, ouverture des routes, cessez-le-feu permanent… Les dernières nouvelles de Libye sont bonnes et n’attendent qu’une chose : être concrétisées sur le terrain. Une évolution qui aura forcément un impact considérable sur les voisins tunisien et algérien. Et, sur ce dossier, entre les officiels d’Alger et ceux de Tunis, les violons semblent parfaitement accordés.

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La Libye a été systématiquement à l’ordre du jour des rencontres qui se sont succédé ces derniers mois entre les officiels des deux pays. En juillet, par exemple, l’ex-chef de la diplomatie tunisienne Noureddine Erray affirmait, en présence de Sabri Boukadoum, son homologue algérien, que « la Tunisie et l’Algérie sont les seuls pays voisins qui n’ont aucun agenda en Libye ».

Convergence des intérêts en Libye

Au premier degré, l’idée est de critiquer les ingérences régionales et internationales en Libye, en s’abritant derrière le processus onusien et la reconnaissance du Gouvernement d’union nationale (GNA) basé à Tripoli et dirigé par Fayez al-Sarraj. Mais cette absence d’agenda que font valoir les diplomaties tunisienne et algérienne dénote aussi l’absence de vision stratégique des deux pays quant aux turbulences chez leur voisin.

« L’augmentation des rencontres n’est pas synonyme de substance », note ainsi Jalel Harchaoui, chercheur au Clingendael Institute (Pays-Bas) et spécialiste de la Libye. Selon lui, les Libyens impliqués dans le processus de négociations sont peu en contact avec les Algériens et les Tunisiens.

Alger voit d’un mauvais œil l’activisme diplomatique du Maroc, Tunis vit mal d’avoir été marginalisé

Pour Alger et Tunis, c’est la convergence des intérêts, et non une véritable coordination, qui semble primer sur ce dossier. Alger garde un œil attentif à l’activisme diplomatique du Maroc en la matière – les factions libyennes se sont donné rendez-vous à plusieurs reprises régulièrement à Bouznika, entre Rabat et Casablanca, ces dernières semaines –, quand Tunis vit mal d’avoir été marginalisé dans les discussions sur la crise libyenne, notamment à Berlin en janvier 2020.

Invitée de dernière minute au grand raout international organisé dans la capitale allemande, la diplomatie tunisienne avait alors préféré décliner face à l’affront. Mais la Tunisie a quelque peu rattrapé son retard. Au moins sur le plan symbolique. Elle qui accueille le siège de la mission onusienne chargée de la Libye (UNSMIL) recevra sur son sol le 9 novembre le dialogue politique interlibyen.

Cinq ans après le départ de l’ambassadeur tunisien de Tripoli, un nouvel ambassadeur vient de prendre ses fonctions, signe de l’amélioration de la situation. Un relatif retour aux affaires auquel l’Algérie, qui a accueilli début 2020 une réunion des pays frontaliers de la Libye, veut s’associer afin de ne pas donner le sentiment que seul Rabat s’active sur ce dossier régional. Sans compter que le dossier libyen constitue un enjeu sécuritaire et stratégique de taille pour Alger.

Défis sécuritaires

Car la crise libyenne dépasse la seule question diplomatique pour les deux États. Les défis sécuritaires sont bien réels. Depuis la chute de Kadhafi, en 2011, les groupes jihadistes au Sahel se sont considérablement renforcés, et c’est ainsi en plein Hirak algérien que le maréchal Haftar a lancé son offensive contre Tripoli en avril 2019, profitant de l’apathie bien compréhensible d’Alger, qui n’a jamais éprouvé de sympathie pour le maréchal libyen.

Les deux pays ont de bonnes relations de voisinage, particulièrement en période de crise

Pour les Tunisiens, la Libye instable a été source de défis sécuritaires majeurs à l’image de la tentative d’invasion de la ville frontalière de Ben Guerdane (20 km de la frontière libyenne) le 7 mars 2016, sans compter de multiples attentats dont les instigateurs se sont souvent entraînés de l’autre côté de la frontière.

Algérie et Tunisie entretiennent de bonnes relations de voisinage, particulièrement en période de crise. « Nous [Tunisiens] avons gardé nos frontières ouvertes avec l’Algérie durant la décennie noire des années 1990 », se rappelle Abdelmajid Ferchichi, ambassadeur à Alger à la fin des années 1980. « Quant aux Algériens, ils ont tenu la frontière et combattu les terroristes après la série d’attentats subis par l’armée et les forces de sécurité tunisiennes dans les montagnes du Nord-Ouest au lendemain du soulèvement de 2011 », constate-t-il.

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Sur la relation revivifiée avec le voisin algérien, « un an après son arrivée au pouvoir, Kaïs Saïed a beaucoup parlé et peu agi », tempère toutefois Youssef Chérif, chercheur en relations internationales basé à Tunis.

Un point de vue corroboré par un diplomate tunisien de haut rang : « Pour parler de position coordonnée, il faut qu’il y ait un travail qui dépasse la commission mixte que président les chefs du gouvernement. Il faut avoir un programme défini et essayer de définir une politique commune. Au niveau stratégique, nous n’avons pas fait le travail nécessaire. »

Un rapprochement en trompe-l’œil

Le rapprochement entre les deux pays semble ainsi en grande partie lié au tropisme algérien de Kaïs Saïed. Alors candidat, l’actuel président tunisien avait annoncé solennellement qu’il réserverait sa première visite officielle à l’Algérie. Le Hirak et la laborieuse succession au président sortant Abdelaziz Bouteflika ont rendu la tâche difficile.

L’enthousiasme de Saïed envers l’Algérie n’était pas réciproque »

Investi en octobre 2019, en pleine campagne électorale algérienne, Saïed a dû attendre l’élection d’Abdelmadjid Tebboune, en décembre 2019… qui ne l’a finalement reçu à Alger qu’en février 2020. « L’enthousiasme de Saïed envers l’Algérie n’était pas réciproque », souffle un diplomate de haut rang qui préfère conserver l’anonymat. De son côté, Abdelmadjid Tebboune était attendu à Tunis après le référendum sur la Constitution algérienne prévu le 1er novembre, mais l’aggravation de son état de santé compromet le rendez-vous.

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Acteur privilégié lors de la trentaine de visites officielles de Tunisiens en Algérie, Abdelmajid Ferchichi insiste sur le fait que les rapports entre les deux pays dépendent en grande partie de la proximité personnelle entre les dirigeants. « Les relations étaient exceptionnelles au lendemain de l’élection de feu Béji Caïd Essebsi, en 2014, car Bouteflika et lui se connaissaient depuis cinquante ans. Mehdi Jomâa, chef du gouvernement intérimaire en 2014, était apprécié à Alger, car il est le neveu de Mohamed Masmoudi, un leader du mouvement national tunisien proche de Bouteflika. Idem pour Rached Ghannouchi, le leader du parti islamiste Ennahdha, qui s’est enfui en Algérie dans les années 1990 après avoir été condamné par la justice tunisienne où il a alors rencontré Abdelaziz Bouteflika. »