Politique

Présidentielle au Niger – Hamidou Mamadou Abdou : « C’est aux Nigériens de jouer le rôle de vigie »

Novice en politique, Hamidou Mamadou Abdou se présente à la présidentielle nigérienne sous les couleurs du Rassemblement national africain, un parti qu’il a lancé en 2019. Installé au Canada, où il a fait sa carrière, il assure cependant ne pas être une « diaspo déconnecté ».

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Mis à jour le 4 novembre 2020 à 11:12

Hamidou Mamadou Abdou, établi au Canada, a créé en 2019 le Rassemblement national africain (RANAA) sous les couleurs duquel il se présente à la présidentielle. © BRUNO LEVY POUR JA

Hamidou Mamadou Abdou est candidat à la présidentielle du 27 décembre au Niger. Pour le patron de Cima Global, spécialisé dans l’énergie, le transport, les infrastructures et le développement durable, cette entrée en politique est une nouveauté. Le Nigérien établi au Canada a créé en 2019 le Rassemblement national africain (RANAA). Et il se présente également aux législatives à Zinder.

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De passage à Paris pour rencontrer la diaspora et tisser son réseau, Hamidou Mamadou Abdou a accordé une interview à Jeune Afrique mi-octobre. Il revient sur les raisons de sa candidature, sur ses relations avec l’opposition et sur le scandale de corruption au sein de l’armée mis en lumière par un audit du secteur.

Jeune Afrique : Vous avez passé plusieurs années de votre carrière professionnelle hors du pays. Pourquoi décider de vous lancer dans la course à la présidentielle maintenant ?

Hamidou Mamadou Abdou : J’ai eu l’occasion de m’engager en politique ces dernières années. Mais cela ne m’avait pas intéressé parce que je voulais aider le Niger d’une autre façon. C’est-à-dire en bâtissant une carrière dans le privé et en implantant une filiale de ma société dans mon pays afin de créer des emplois.

Mais je suis parvenu à un constat : tous les grands partis politiques que nous avons connus à la suite de la conférence nationale ont eu à exercer le pouvoir. Malgré cela, la population nigérienne demeure pauvre. C’est donc devant la misère de nos populations et leur absence d’espérance que j’ai décidé de faire le tour de l’élite de la diaspora pour la convaincre de se joindre à moi afin de créer le RANAA à travers lequel nous allons travailler à conquérir le pouvoir.

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Nous sommes à un tournant important. Le président, Mahamadou Issoufou, que je connais et que j’ai eu à conseiller, a annoncé qu’il n’allait pas se représenter au terme de son deuxième mandat. Je l’ai même rencontré pour m’en assurer. C’est là que je lui ai fait part de mon intention de briguer la magistrature suprême. Pour moi, c’est le moment de renouveler cette classe politique nigérienne.

Je ne suis pas l’exemple du diaspo déconnecté

Vous avez passé toute votre carrière au Canada. N’avez-vous pas peur qu’on vous reproche d’être déconnecté des réalités du pays ?

Je ne suis pas l’exemple du diaspo déconnecté. J’ai mené plusieurs chantiers et suis en contact avec les autorités et ma famille. Je suis l’aîné de 28 frères et sœurs avec toutes les responsabilités que cela implique. Cela fait trente ans que je vis au Canada, mais j’ai toujours porté mon attention sur le Niger. J’ai rejoint Cima Global en 1999, et, en 2002, j’ai ouvert le premier bureau au Niger. Il couvrait quelques pays de la Cedeao. C’est comme cela que les Nigériens ont commencé à me connaître : je faisais des forages et créais de l’emploi. Au fil des années, j’ai acquis de l’expérience que je peux mettre au service du pays.

Hamidou Mamadou Abdou est le candidat du RANAA pour la présidentielle nigérienne de 2020. © BRUNO LEVY pour JA

Hamidou Mamadou Abdou est le candidat du RANAA pour la présidentielle nigérienne de 2020. © BRUNO LEVY pour JA

Comment votre parti, le Rassemblement national africain, prépare-t-il l’élection ?

Nous sommes en ordre de bataille. Le parti a fêté son premier anniversaire le 22 août 2020. Nous venions alors de terminer la mise en place des structures à tous les niveaux dans le pays. Nous nous préparons pour les trois échéances électorales principales : municipales, législatives et présidentielle, auxquelles nous présentons des candidats.

Plusieurs poids lourds de la scène politique sont candidats à la présidentielle. Entre Hama Amadou et Mohamed Bazoum, quels sont vos atouts ?

Tout ce monde vient de partis qui ont géré le pays. Où est-ce qu’on en est aujourd’hui ? Le niveau de vie des populations nigériennes a régressé. Mon arrivée va contribuer à renouveler la classe politique. J’arrive avec une grande expérience du secteur privé sur la manière de créer de la richesse et de la distribuer à qui elle revient. J’ai également une vision très claire pour mon pays.

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La majorité des Nigériens sont des agriculteurs ou des éleveurs qui vivent en milieu rural. Nous pouvons faire en sorte de travailler la terre en maîtrisant l’eau, sans dépendre de la pluviométrie. Cela pourrait nous permettre d’atteindre l’autosuffisance alimentaire et même de développer une agriculture commerciale afin de dégager des revenus. Le marché international est demandeur de produits bio et nous pouvons répondre à cette demande avec la bonne politique agricole.

Nous devons également investir dans une éducation de qualité. Dans le contexte de cette zone de libre-échange continentale africaine, il faut outiller les Nigériens afin qu’ils puissent en tirer profit. Nous devons aussi mettre fin aux classes sous paillote.

L’autre point essentiel pour moi, c’est de rendre accessibles les médicaments à moindre coût pour lutter contre le paludisme qui tue des milliers d’enfants.

Enfin, comment pouvez-vous me comparer à des gens qui détournent des milliards destinés à l’armée ? Ces ressources doivent la doter des moyens nécessaires pour assurer la sécurité des populations.

L’audit de l’inspection générale des armées a révélé que 76 milliards de francs CFA [116 millions d’euros] auraient été détournés au Niger dans le cadre de contrats d’armement entre 2014 et 2019. Cette corruption au sein de l’armée n’envoie-t-elle pas un mauvais signal aux pays partenaires ?

Je me mets à la place de la France, qui conduit l’opération Barkhane et mobilise des ressources énormes pour aider nos armées à lutter contre le terrorisme. Un scandale comme celui qui a éclaté au Niger ne renforce pas les dirigeants des pays amis face à leurs opinions nationales, qui posent des questions sur le maintien d’opérations militaires. Nos dirigeants doivent prendre conscience qu’il faut former les armées nationales et leur donner des moyens.

Si vous ne participez pas à une échéance, comment voulez-vous vous positionner comme une victime ?

Faut-il s’inquiéter de l’aggravation de la situation sécuritaire au Sahel et dans votre pays après la libération de 204 jihadistes en échange d’otages au Mali ?

C’est une question compliquée. Combien de personnes ont été échangées ? Qu’est-ce qui a motivé cet échange ? Qu’est-ce qui s’est passé dans la négociation ? Je ne suis pas dans le secret. Mais en tant que responsable, on est parfois appelé à faire face à de telles situations, qui questionnent nos principes. Par exemple doit-on négocier avec les terroristes ? Ne pouvons-nous pas estimer que toute vie humaine est importante et qu’il faut la sauver ? On peut aussi se demander quel travail a été fait avant de les relâcher.

Plusieurs opposants remettent en cause la crédibilité du scrutin à venir. Partagez-vous ces craintes ?

Plusieurs candidats ont effectivement dénoncé des irrégularités sur les listes électorales. Pour eux, des élections transparentes ne peuvent donc pas être garanties. Les perspectives ne sont pas rassurantes. Mais je ne pratiquerai jamais la politique de la chaise vide. Si vous ne participez pas à une échéance, comment voulez-vous vous positionner comme une victime ? Le RANAA va participer à tous les rendez-vous électoraux malgré les doutes soulevés. C’est aux Nigériens de jouer le rôle de vigie populaire afin d’assurer la transparence des élections.

J’ai dit à Hama Amadou que je voulais être rassembleur

Pourquoi n’avez-vous pas rejoint la coalition de l’opposition ?

Je n’ai pas de passé politique. J’ai dit à Hama Amadou que je voulais être rassembleur. Notre but c’est de sortir la majorité silencieuse de la pauvreté.