69 %. C’est la part de la population algérienne âgée de moins de 40 ans. Une large majorité pour qui poids démographique ne rime pas forcément avec importance politique. Pour cette jeunesse, il demeure difficile de se faire une place au sein de l’exécutif. Et ce même dans l’Algérie dite « nouvelle ».
Constitué en janvier 2020 et remanié cinq mois plus tard par Abdelaziz Djerad, le gouvernement algérien se compose de 42 ministres et secrétaires d’État. Parmi eux, les moins de 40 ans ne dépassent pas la dizaine. Une présence certes plus élevée que sous l’ère Bouteflika, mais qui reste discrète.
Au faible nombre s’ajoute l’absence de visibilité. Les noms de ces jeunes politiques n’apparaissent que très rarement, voire jamais, dans les médias. Lorsqu’ils sont évoqués, c’est souvent après une intervention maladroite.
Excès de zèle
La dernière en date, celle du ministre de la Jeunesse et des Sports (MJS), Sid Ali Khaldi, a fait l’objet d’une vive polémique. Le 22 octobre, en pleine campagne de promotion de la nouvelle Constitution [pour laquelle les Algériens sont appelés à voter le 1er novembre], il annonce : « Nous allons construire un État […] démocratique et social dans le cadre des principes de l’islam…» Avant d’ajouter : « Et celui qui n’est pas content n’a qu’à changer de pays. » Une « invitation » formulée à deux reprises.
Les youyous qui ont suivi la déclaration n’ont laissé aucun doute sur l’approbation des militants. Mais beaucoup de citoyens ne l’entendent pas de cette oreille. Des internautes lui rappellent que l’Algérie « n’est pas son héritage ». D’autres lui précisent « qu’ils veulent plutôt changer de système ».
L’énarque de 37 ans a ainsi été contraint de s’excuser publiquement dans une vidéo publiée le lendemain sur ses réseaux sociaux. « Ce que j’ai dit était dirigé envers les gens qui sont dérangés par la déclaration du 1er novembre »… de 1954. Une affaire qui renvoie au fameux « yenaal bou li mayhabnache » (« maudit soit celui qui ne nous aime pas ») lâché par Amara Benyounes lors d’un meeting de soutien à Bouteflika en 2014.
Maudit soit celui qui ne nous aime pas
Après une vague d’indignation, Amara Benyounes s’était justifié en expliquant que l’insulte n’était pas contre les Algériens qui ne soutiennent pas Bouteflika, mais plutôt contre « ceux qui ne nous aiment pas en tant que peuple algérien ». Sid Ali Khaldi flirtait d’ailleurs déjà avec le gouvernement sous la présidence de Bouteflika. Depuis 2011, il a été conseiller et directeur de la cellule diplomatique à la primature.
Lors de sa nomination à la tête du MJS, en janvier 2020, il se dit déterminé à séparer « l’argent sale du sport ». Depuis, sa carrière est rythmée par des « visites d’inspection » dans de nombreuses wilayas comme Béjaïa, Adrar, Médéa ou encore Khenchela, au cours desquelles il contrôle les travaux de réalisation d’infrastructures sportives.
Il en profite également pour promouvoir la réforme constitutionnelle. Parallèlement, Sid Ali Khaldi lance un « plan national jeunesse 2020-2024 » aux contours encore flous.
« Madame la Ministre »
Dès sa nomination au poste de ministre des Relations avec le Parlement, Basma Azouar, 37 ans, donne le ton. « L’ère de la sanctification et du culte de la personnalité fait partie du passé… Je demande à tous mes collègues de supprimer “Votre Excellence” lors de leurs échanges. Appelez-moi : “Madame la Ministre”, c’est amplement suffisant. »
Pour rappel, lors de la conférence de presse qui a suivi son investiture, Abdelmadjid Tebboune avait lui aussi annoncé vouloir supprimer ce terme du paysage médiatique algérien. Un qualificatif auquel le président déchu, Abdelaziz Bouteflika, accordait une grande importance.
Le peuple algérien n’est pas heureux !
Portant fièrement son accent de Batna, la jeune ministre n’a jamais eu sa langue dans sa poche. Députée du front El Moustakbal (à l’idéologie proche du Front de libération nationale) en 2019, elle avait critiqué avec virulence des propos tenus par Ahmed Ouyahia, Premier ministre à l’époque. Il avait annoncé que « le peuple algérien [était] heureux » après l’annonce de la candidature de Bouteflika
La déclaration de trop pour Basma Azouar. « Le peuple algérien n’est pas heureux ! » tonne-t-elle face au ministre lors d’une réunion à l’Assemblée populaire nationale. Elle énumère ensuite les nombreux dysfonctionnements de son gouvernement. Avec notamment le manque d’infrastructures médicales dans le pays, le faible pouvoir d’achat des Algériens, le retour de maladies comme le choléra… Et de marteler : « Le peuple dont vous parlez et celui dont je parle ne sont pas les mêmes. »
Mais, depuis sa prise de fonctions à la tête du ministère, la jeune femme est progressivement rentrée dans le rang. Elle profite, elle aussi, des quelques sorties médiatiques pour promouvoir la réforme constitutionnelle.
« Start-up nation »
Visage juvénile, chemise blanche et cravate courte. À 26 ans, Yacine Oualid, médecin de formation, est nommé ministre des start-up et devient le plus jeune membre du gouvernement.
Dans ses interviews, le Mascaréen parle labels, crowdfunding, freelancers, business model, business angels, equity, digital marketing et cloud… Bref, le langage de la « start-up nation » n’a aucun secret pour lui.
Depuis sa nomination, il est chargé de poursuivre la conception du projet de loi en faveur de l’innovation et des start-up. La remise, prévue à la fin de juin, a été repoussée pour cause de Covid-19. Le 15 octobre, le jeune ministre a lancé, dans ce pays régulièrement victime de pannes d’internet, une plateforme numérique « ouverte à tous les jeunes porteurs de projets innovants » pour leur permettre d’obtenir « le label start-up institué par un décret exécutif ».
Parmi les grandes mesures de son plan, l’« Algerian start-up fund ». Ce fonds de financement pour les jeunes pousses a aussi été lancé en octobre. Il repose sur l’investissement dans le capital et non sur les mécanismes de financement classiques fondés sur le crédit.
La nuance mérite d’être soulignée. Car, rappelons-le, les politiques de soutien à l’entrepreneuriat ou à l’emploi n’ont, jusqu’ici, pas franchement fait preuve de leur efficacité. L’Agence nationale de soutien à l’emploi des jeunes (Ansej) est par exemple criblée de dettes et menace de poursuivre les bénéficiaires des aides en justice s’ils ne remboursent pas leurs prêts.
Yacine Oualid est aussi le créateur du premier hébergeur algérien Smart Solution Housing, et de Bright Solutions, une société qui fournit des solutions informatiques, et dont le siège se trouve… au Royaume-Uni.
Membre du Hirak
Cheveux châtains et barbe fournie, le visage de Bachir Youcef Sehairi, le secrétaire d’État chargé de l’Industrie cinématographique, est bien connu des Algériens. Avant son entrée sur la scène politique, en janvier 2020, c’était sur la scène artistique qu’il performait.
Né à Laghouat, à environ 400 km au sud d’Alger, cet ingénieur en électronique de 35 ans, diplômé en montage et script de l’Institut supérieur des métiers des arts du spectacle et de l’audiovisuel (ISMAS) de Bordj El Kiffan, a joué dans plusieurs productions cinématographiques et télévisuelles nationales.
Il a aussi été un membre actif du Hirak. Il a notamment été aperçu sur des vidéos manifestant dans les rues d’Alger et scandant le slogan « ma kech intikhabet maâ el issabate » (« il n’y aura pas d’élections avec ces gangs »). Contestant ainsi la tenue de la présidentielle. Surprise, quelques semaines plus tard, il accepte un poste au sein du gouvernement de Djerad, le Premier ministre nommé par Abdelmadjid Tebboune. Un choix dénoncé comme une trahison par certains de ses compagnons de route.
Plus discret, Hamza Al Sid Cheikh, le ministre délégué chargé de l’Environnement saharien, est peu connu du public. Ingénieur de formation, il est né à Metlili, dans la wilaya de Ghardaïa, où il passe l’ensemble de sa carrière professionnelle. Ses apparitions dans les médias sont si rares que certains s’interrogent ouvertement sur son rôle via les réseaux sociaux.