Catherine Samba-Panza a bonne mémoire. Quand, en janvier 2014, Michel Djotodia, le tombeur de François Bozizé, est poussé à la démission, elle se souvient n’être à l’époque qu’une « outsider ». Au premier tour, huit candidats sont sélectionnés parmi vingt-quatre déclarés par le Conseil national de transition, qui vote pour désigner le futur président. Mais les projecteurs ne se braquent pas sur l’apolitique « CSP », majoritairement soutenue par la société civile féminine et quelques diplomates étrangers. Bien au contraire.
« Lors d’une présentation des candidats face à la presse, vos collègues ont filmé tout le monde, sauf moi », s’amuse-t-elle, lorsque nous la rencontrons en tête-à-tête (et à bonne distance, Covid-19 oblige), dans un hôtel parisien. « Les journalistes ne se sont intéressés à moi que lors du second tour du vote, où j’étais face à Désiré Kolingba ». Nommée maire de Bangui quelques mois plus tôt par Michel Djotodia, cette spécialiste des assurances que personne n’attendait remporte le scrutin avec 75 voix contre 53 pour son adversaire.
Tout sourire, Catherine Samba-Panza semble aujourd’hui savourer d’être prise au sérieux. Ancienne chef d’État, elle a déclaré, le 28 août dernier, sa candidature pour la prochaine présidentielle, dont le premier tour doit se dérouler le 27 décembre. Une surprise de plus. Il y a moins de cinq ans, celle qui se décrivait alors comme la « mère de la nation » centrafricaine laissait entendre qu’elle n’envisageait pas de briguer un autre mandat présidentiel. « La politique, ce n’est pas mon truc », nous confiait-elle alors, aspirant à une « activité moins stressante ».
« Je ne suis pas une femme politique »
A-t-elle radicalement changé ? Catherine Samba-Panza, mariée à l’ancien ministre Cyriaque Samba-Panza (en poste sous André Kolingba et François Bozizé), affirme toujours ne pas être « une femme politique ». Son programme : « gouverner autrement », en se basant sur « les préoccupations quotidiennes des Centrafricains ». Si elle ne dispose pas de parti, cette femme d’affaires de 66 ans, née à Fort-Lamy, au Tchad, et mère de trois enfants issus d’un premier mariage, s’appuie sur ses comités de soutien, un réseau d’associations de jeunes, de femmes, de médecins ou d’enseignants. « J’ai autour des citoyens qui veulent s’engager et aller sur le terrain sous ma bannière », explique-t-elle.
« Mon équipe a sillonné le pays pour recueillir le ressenti des Centrafricains. Cela a permis de tracer le chemin de la transition, qu’il nous faut reprendre afin de répondre aux inquiétudes quotidiennes des femmes ou des jeunes », poursuit la candidate. « Formation professionnalisante », « mécanisation de l’agriculture », « développement des infrastructures » et, bien sûr, « sécurisation du territoire ». « L’argent n’aime pas le bruit des bottes », résume « CSP ». « Si on veut attirer des investisseurs, notamment dans les mines, il faut régler le problème de la sécurité. »
À mon époque, les Sélékas et les anti-Balakas n’avaient pas une telle emprise
« Nous savons quoi faire. Pendant la transition que j’ai dirigée, j’ai intégré à mon programme d’urgence des recommandations du dialogue national que j’ai supervisé en 2003. Quand vous prenez les thèmes de l’éducation, de la santé, du renouvellement économique, etc… tout est encore valable », affirme-t-elle encore, jugeant que la Centrafrique est « au point mort » depuis une quinzaine d’années. Comment débloquer la situation actuelle ? « C’est plus difficile encore qu’il y a cinq ans », déplore l’ancienne présidente de la transition.
« Lorsque j’étais à la tête de l’État, nous avions l’avantage d’avoir la force Sangaris avec nous. Nous avions la possibilité de sévir, de menacer, même si l’armée centrafricaine n’était pas remise sur pied ». À l’en croire, « CSP » avait davantage les moyens de faire respecter les accords signés que n’en a le président Faustin Archange Touadéra aujourd’hui. « La différence, c’est que le chef de l’État actuel a signé les derniers accords de Khartoum directement avec des groupes armés, qui contrôlent aujourd’hui 70% du territoire. À mon époque, les Sélékas et les anti-Balakas n’avaient pas une telle emprise ».
Faut-il dès lors organiser la présidentielle à la date prévue ? Persuadée que les autorités actuelles n’ont pas mesuré l’ampleur d’une tâche qu’elle connaît bien pour avoir travaillé à l’organisation de la dernière élection, Catherine Samba-Panza n’en est pas convaincue. « Aujourd’hui, rien n’est prêt, malgré les délais obtenus par l’Autorité nationale des élections. Il y a au moins deux régions où il n’y a pas eu d’enrôlement et où l’on ne pourra pas faire voter les réfugiés. La Cour constitutionnelle avait proposé une concertation en cas de problème. Faisons-là et voyons le temps qu’il faut pour aboutir à des élections crédibles. »
« Émiettement des voix »
Quelle que soit la date du premier tour, que Faustin Archange Touadéra est bien décidé à maintenir, Catherine Samba-Panza devra aussi se faire une place face à l’ancien président François Bozizé ou aux opposants Martin Ziguélé, Anicet Georges Dologuélé et Mahamat Kamoun. Confiante en sa capacité à déjouer une nouvelle fois les pronostics, elle ne veut pas entendre parler d’un match qui se résumerait à un duel entre François Bozizé et Faustin Archange Touadéra.
« Bozizé est un acteur avec lequel on doit composer, mais il faut voir s’il répond aux critères d’éligibilité. Selon la Constitution, il doit avoir vécu douze mois en Centrafrique avant la date limite de dépôt de la candidature, qui est le 10 novembre », glisse-t-elle. Or, François Bozizé, qui avait manifestement « calculé » sa date d’arrivée en fonction du 27 décembre, a fait son retour à Bangui le 16 décembre 2019. « Doit-on invalider sa candidature ou pas ? Vu sa popularité, il y a un vrai risque pour notre stabilité ».
L’ex-patronne de la transition ne s’attendait pas à autant de candidatures au sein de l’opposition. « On a relevé le niveau de la caution à 15 millions de francs CFA, mais cela n’a pas dissuadé grand monde », s’amuse-t-elle, prédisant « un émiettement des voix » au premier tour, avant un rassemblement, « essentiel », au second.
Préférant « garder [son] indépendance pour le moment », « CSP », qui ne fait pas partie de la coalition COD 20-20 de Bozizé et Dologuélé, affirme ne pas être fermée aux alliances, en particulier face au risque de fraude. « Il faut s’organiser et avoir des représentants tout au long de la chaîne de validation des procès-verbaux. » Pour elle, une chose est sûre : « Sauf fraude du pouvoir en place, il ne peut pas y avoir qu’un seul tour. À l’opposition de savoir se rassembler au second ».