« On me demande souvent quel est mon ingrédient secret. » Confortablement installé dans l’un des canapés du lumineux salon de la résidence des États-Unis, à Kinshasa, Mike Hammer évoque son rôle avec un étonnant mélange d’assurance et de légèreté.
Petit pin’s avec les drapeaux congolais et américain accrochés au revers de sa veste, l’ambassadeur rentre tout juste d’une tournée dans l’est du pays, mais il a accepté de nous recevoir en ce début du mois d’octobre, très à son aise dans cette luxueuse bâtisse dont le jardin donne directement sur le fleuve Congo. À 56 ans, cet homme volubile et direct, dont c’est la première affectation sur le continent, se sait scruté plus qu’aucun autre ambassadeur en poste en RDC.
Nommé en septembre 2018 mais arrivé au mois de décembre suivant, quelques jours seulement avant l’élection présidentielle, Hammer est l’un des visages les plus connus du paysage diplomatique. Son omniprésence illustre le virage à 180 degrés effectué par l’administration Tshisekedi, qui a fait de Washington, longtemps en délicatesse avec le régime Kabila, l’un de ses principaux alliés.
Communication atypique et déroutante
Nombreux sont aujourd’hui ceux qui prêtent à ce diplômé en droit et en relations internationales une influence auprès de Félix Tshisekedi, aux côtés duquel il ne craint pas de s’afficher. Réelle ou surévaluée, celle-ci alimente rumeurs et suspicions. Elle est aussi à l’origine de cette plaisanterie qui circule dans certains milieux kinois et que les détracteurs de l’ambassadeur américain prennent un malin plaisir à rapporter : « En RDC, aujourd’hui, il y a cinq institutions : le président, le Parlement, le gouvernement, le pouvoir judiciaire et Mike Hammer. »
Connu pour son hyperactivité sur les réseaux sociaux, Mike Hammer aime partager son quotidien sur Twitter. Qu’il s’agisse des photos de ses différents rendez-vous politiques ou des généreuses portions de poulet mayo qu’il accompagne d’une bière fraîche, l’ambassadeur revendique une diplomatie « avant-gardiste et moderne ».
Hammer s’active en coulisses pour mettre en œuvre la stratégie américaine dans la sous-région.
« Je ne m’attends pas à ce que tout le monde soit d’accord avec ce que je fais, mais je pense que mes homologues réfléchissent à faire la même chose », explique-t-il. Lorsqu’il est à Kinshasa, il se fait volontiers appeler Mike « Nzita » Hammer. Lorsqu’il va dans l’Est, c’est Mike « Amani Hammer » (« la paix » en swahili). En Équateur, ce sera Mike « Elikia » Hammer (« l’espoir » en lingala).

Félix Tshisekedi a reçu une délégation des diplomates parmi lesquels Mike Hammer des États Unis, Emily Maltman du Royaume Uni et Nicholas Simard du Canada, le 14 Septembre 2020. © PRESIDENCE RDC
En dépit de cette communication atypique et parfois déroutante, qui n’est pas sans rappeler celle de Donald Trump, Hammer s’active en coulisses pour mettre en œuvre la stratégie américaine dans la sous-région.
Pari américain
Il y a encore quelques années, personne n’aurait parié sur un rapprochement entre Washington et Kinshasa. Mais la présidentielle de 2018 a tout changé et pour Félix Tshisekedi, qui est arrivé au pouvoir dans des circonstances controversées, le pari américain fait sens. Confronté aux suspicions de la communauté internationale, ne disposant d’aucune majorité, contesté par une opposition convaincue de sa propre victoire et soutenue en ce sens par quelques chancelleries, il va très vite nouer un partenariat privilégié avec les États-Unis.
À l’époque, le cabinet de Donald Trump est pourtant tiraillé. Sous la houlette de Nikki Haley, ambassadrice des États-Unis auprès de l’ONU jusqu’en décembre 2018, Washington a maintenu une position ferme vis-à-vis du régime Kabila.
Au cours de l’année précédant le scrutin, Joseph Kabila, qui ne s’est pas encore prononcé sur un éventuel troisième mandat, a tenté d’assouplir la position américaine par le biais d’onéreux contrats de lobbying. « Nous souhaitions permettre une compréhension en douceur de la situation », explique un diplomate congolais. Ces efforts, pilotés à l’époque par l’ambassadeur de la RDC à Washington, François Nkuna Balumuene, et l’envoyé spécial de Joseph Kabila, Raymond Tshibanda, n’ont pas payé et Kabila a fini par se choisir un dauphin, en la personne d’Emmanuel Ramazani Shadary.
Alors quand la question du positionnement à adopter vis-à-vis de Félix Tshisekedi se pose, les État-Unis – comme les pays européens – sont embarrassés : les élections ont certes permis un changement à la tête du pays, mais la séquence qui y a mené est fortement contestée. Malgré des déclarations préliminaires prudentes, dans lesquelles le Département d’État américain souligne « les inquiétudes légitimes qui pèsent sur la transparence du processus électoral », Washington finit par assouplir sa ligne et se dit, dans un communiqué publié le 23 janvier 2019, à la veille de l’investiture de Tshisekedi, prêt à travailler avec la nouvelle administration.
Tensions avec le camp Kabila
Depuis Kinshasa, Mike Hammer a joué un rôle clé dans cette période. Il est l’un des seuls diplomates à s’être rendu auprès de Félix Tshisekedi avant son investiture. La rencontre – discrète – se passe à l’hôtel Béatrice, dans le quartier de la Gombe, où le futur président congolais célèbre sa victoire.
Mike Hammer et Félix Tshisekedi sont sur la même longueur d’ondes depuis le début »
« Il m’a dit qu’il voulait en finir avec la corruption et l’impunité, qu’il comptait ramener la paix dans l’Est et qu’il voulait l’aide des États-Unis, mais aussi des investisseurs américains pour générer de la prospérité », explique aujourd’hui Hammer. « Ils sont sur la même longueur d’ondes depuis le début », confirme Nicolas Kazadi, ambassadeur itinérant du chef de l’État congolais. « Mike Hammer embête le FCC [Front commun pour le Congo, de Joseph Kabila] parce qu’il assume son choix. L’Union européenne, la France, les Belges ont essayé de fabriquer un héros avec Martin Fayulu, poursuit un proche collaborateur de Tshisekedi. Hammer, lui, a choisi son camp dès le début. »
Le 21 janvier, Félix Tshisekedi signe un contrat avec Avenue Strategies, une firme de lobbying dirigée par Corey Lewandowski et Barry Bennett, deux collaborateurs de la campagne de Donald Trump. Le contrat, qui s’étend du 21 janvier au 28 février 2019 pour la somme de 90 000 dollars, vise à « faire progresser les relations stratégiques du président et de son gouvernement avec les États-Unis ».
Début avril, Tshisekedi s’envole vers Washington pour son premier déplacement hors du continent, et Mike Hammer l’accompagne. Ce voyage aboutit à la signature d’un « partenariat privilégié pour la paix et la prospérité » (PP4PP), cadre officiel dans lequel s’opérera désormais le rapprochement. Depuis Washington, Félix Tshisekedi affirme vouloir « déboulonner le système dictatorial qui était en place ». Cette première sortie fait grand bruit et lui vaut une levée de boucliers du côté du FCC. Mais elle est surtout le reflet de l’orientation politique soutenue par les États-Unis, que l’entourage de Joseph Kabila soupçonne de pousser à la confrontation.
Hammer est un militant, qui est sorti de son rôle d’ambassadeur », peste un collaborateur de l’ancien président.
« Mike Hammer ne prend jamais le temps de rencontrer les cadres de notre coalition, peste un collaborateur de l’ancien président. Il a vu Kabila à une reprise ou deux, mais les relations ne sont pas des plus chaleureuses. Hammer est un militant, qui est sorti de son rôle d’ambassadeur. » « Penser que soutenir Tshisekedi c’est affaiblir Kabila est une erreur », ajoute un ponte de l’ancien régime. Dans le milieu diplomatique, cette stratégie fait aussi grincer des dents certains diplomates qui lui reprochent de pousser au « clash politique ».
Soutien franc
Mais Mike Hammer assume. « Je n’ai pas besoin de voir Kabila, rétorque-t-il. Je rencontre ses ministres à n’importe quel moment. Je ne vais pas lui parler plus souvent qu’à l’opposition. » Et de poursuivre : « C’est clair qu’il y a un vieil establishment qui ne veut pas de changement à la tête de l’État et qui veut continuer à rester au pouvoir pour un profit personnel. Je ne me soucie pas de ces gens-là. Je me soucie de ce que le président Tshisekedi nous demande en soutien de sa vision et je ne vais pas changer. »
Mike Hammer a tendance à oublier qu’il représente un pays et qu’il n’est pas un assistant du chef de l’État ».
Ce soutien franc lui vaut les critiques d’une partie de la classe politique congolaise. En septembre, dans son discours d’ouverture de la session parlementaire, Jeanine Mabunda, la présidente de l’Assemblée nationale, a dénoncé « les ingérences étrangères récurrentes dans les affaires intérieures de l’État ». « Mike Hammer a tendance à oublier qu’il représente un pays et qu’il n’est pas un assistant du chef de l’État », s’agace un cadre de la coalition Lamuka (opposition).
En cause, certaines prises de position jugées inappropriées, voire maladroites. En juillet dernier, quelques minutes à peine après l’annonce d’un remaniement dans l’armée, Tibor Nagy, secrétaire d’État adjoint des États-Unis pour les affaires africaines, J. Peter Pham, ex-envoyé spécial de Washington pour les Grands Lacs, et Mike Hammer saluent sur les réseaux sociaux le limogeage de John Numbi, sous sanctions américaines depuis 2016 et jusqu’alors inspecteur général des FARDC. Mais oublient opportunément de relever que Gabriel Amisi, désigné pour remplacer Numbi, est lui aussi sous sanctions. Dans la foulée, les États-Unis annoncent la reprise des formations destinées aux FARDC.
« On essaye de défaire des décennies de problèmes et on veut encourager les progrès, se défend Mike Hammer. Si la RDC veut plus de coopération militaire avec les États-Unis, il faut que les généraux sous sanctions soient remplacés. »
Jusqu’où ira cette collaboration ?
Dans un pays qui a payé au prix fort les ingérences étrangères après l’indépendance, avec des épisodes aussi sombres que celui de l’assassinat de Patrice Lumumba, l’omniprésence de Washington est souvent qualifiée d’intrusive. Chaque visite de l’ambassadeur est ainsi abondamment commentée. Ça a été le cas lorsqu’il s’est rendu à Minembwe (Sud-Kivu) fin septembre. « Je peux comprendre que les gens s’interrogent, mais il y a beaucoup de théories du complot », balaye l’intéressé. « Nous sommes d’accord avec le fait qu’il aide Félix Tshisekedi dans différents domaines comme la lutte contre la corruption, mais nous aimerions que ça soit fait de manière plus discrète et moins maladroite », explique Jean-Jacques Lumumba, lanceur d’alerte et cofondateur d’UNIS, le réseau panafricain de lutte contre la corruption.
Cette débauche d’énergie étonne d’autant plus que Donald Trump n’a jamais fait du continent africain une priorité. Il n’a reçu que deux chefs d’État du continent en quatre ans : le Nigérian Muhammadu Buhari et le Kényan Uhuru Kenyatta. Malgré plusieurs visites à Washington, Tshisekedi n’a pas encore eu droit à son tête-à-tête. «J’ai travaillé à la Maison-Blanche pour trois différentes administrations. Je sais à quel point il est difficile d’organiser ce genre de rendez-vous », élude Hammer.
La coopération bilatérale a néanmoins repris dans de nombreux domaines. Outre le secteur militaire, Washington et Kinshasa collaborent au lancement de l’agence de lutte contre la corruption créée par la présidence. Les capitaux américains ont aussi fait leur grand retour en RDC : un protocole d’accord de plus de 1 milliard de dollars entre le géant General Electric et le gouvernement congolais, portant notamment sur le mégaprojet du barrage Inga, a été annoncé le 12 février dernier. Et à l’heure où Félix Tshisekedi s’apprête à prendre la tête de l’Union africaine, ce partenariat privilégié pourrait aussi permettre à Washington de se recentrer sur le continent.
Jusqu’où ira donc cette collaboration ? Félix Tshisekedi semble déterminé à entrer en confrontation avec le camp Kabila. Problème, il n’a toujours pas de majorité et est désormais en quête de nouveaux soutiens. Washington peut-il l’aider ? « Le futur de leur coalition, c’est leur affaire, assure Hammer. Les gens ont beau me reprocher mon ingérence, on ne se mêle pas de politique. » Les États-Unis peuvent-ils faire usage de sanctions contre le camp Kabila comme ils l’ont déjà fait dans le passé, en période d’instabilité ? « Ce n’est pas comme si on cherchait quotidiennement des gens à sanctionner, répond Mike Hammer. Je ne dis pas que l’on ne sanctionnera pas à l’avenir, mais si la RDC fait le boulot de son côté, cela ne sera pas nécessaire. C’est important que les gens savent que personne n’est au-dessus de la loi. »