Tunisie : quand les islamistes veulent déréguler les médias

Un amendement porté par El Karama et visant à la dérégulation du secteur rencontre une vive opposition. Explications.

Seifeddine Makhlouf, président du parti Al Karama, le 6 octobre 2019 à Tunis. © Nicolas Fauqué

Seifeddine Makhlouf, président du parti Al Karama, le 6 octobre 2019 à Tunis. © Nicolas Fauqué

Publié le 21 octobre 2020 Lecture : 3 minutes.

Très attendue, la plénière du 20 octobre portant sur le décret 116 relatif à l’audiovisuel a tourné court. Elle devait examiner un projet de loi élaboré par le précédent gouvernement et qui vise à donner plus d’assise à la Haute autorité indépendante de la communication audiovisuelle (Haica). En parallèle, la coalition d’El Karama voulait introduire un amendement permettant aux chaînes audiovisuelles d’exercer sans autorisation.

Ce point, qui a soulevé de vives réactions dans le milieu des médias, est devenu l’unique sujet du jour, d’autant que le gouvernement avait retiré la veille sa proposition législative. Ne restait plus qu’à discuter l’amendement d’El Karama, au cœur d’une vaste polémique, qu’une journaliste d’Ettasia TV résume ainsi : « C’est la porte ouverte à tous les prosélytismes et au plus offrant. »

la suite après cette publicité

Transition

Les faits remontent à loin. Dix ans après la chute du régime de Ben Ali, la Tunisie, faute d’avoir pérennisé les instances constitutionnelles, n’en finit pas avec sa transition. Les remous pour amender le décret-loi 116, relatif à la liberté de la communication audiovisuelle et à la création de la Haica, en attestent.

Ce décret, ainsi que le 115 portant sur la liberté de la presse, de l’imprimerie et de l’édition, qui abrogent depuis novembre 2011 tous les textes précédents et posent les bases opérationnelles du secteur des médias, ne sont pas du goût des partis. Surtout d’Ennahdha, qui avec la troïka gouvernementale, n’activera la Haica qu’après 17 mois de tergiversations.

« Cela a conforté à l’idée selon laquelle Ennahdha ne trouvait pas son intérêt à une régulation de l’audiovisuel. Sans compter que la régulation était un principe nouveau dont les mécanismes n’étaient pas toujours compris par les acteurs politiques », décrypte Enrique Klaus, chercheur à l’Institut de recherche sur le Maghreb contemporain (IRMC).

La Haica, malgré sa résistance, ne paraît plus comme un bastion inexpugnable de la régulation des médias

Mais l’édifice est fragile. Et, au fil du temps, la Haica, malgré sa résistance, ne paraît plus comme un bastion inexpugnable de la régulation des médias. Un simple amendement suffirait ainsi à en neutraliser l’action. Une initiative d’autant plus facile à mettre en œuvre que nul ne peut réclamer l’arbitrage d’une cour constitutionnelle, qui elle-même n’a pas été mise en place faute d’accord entre les partis.

la suite après cette publicité

Et c’est aujourd’hui la coalition El Karama (islamistes) qui a repris le flambeau du rejet de la régulation et du contrôle des médias. « Une normalisation de la situation des médias hors-la-loi à des fins politiques », souligne Hichem Snoussi, membre de la Haica.

Inquiétudes

Le rapprochement opéré entre la coalition d’El Karama et Qalb Tounes, le parti de Nabil Karoui, fondateur de Nessma TV, chaîne qui opère dans la clandestinité selon la Haica, a été notamment été interprété en ce sens.

la suite après cette publicité

L’universitaire et spécialiste des médias Larbi Chouikha, s’inquiète : « Le pluralisme et la diversité, qui incarnaient les principes de base d’un audiovisuel libre et pluriel, seront complètement happés et dévoyés par les lois du marché et la généralisation de l’opacité financière. »

Le projet d’amendement porté par El Karama a rencontré une vive opposition dans l’hémicycle

Malgré les inquiétudes, les garde-fous ont tenu bon — en particulier la société civile. À la grande surprise de ses initiateurs, le projet d’amendement porté par El Karama a rencontré une vive opposition dans l’hémicycle. La tension a immobilisé la plénière, qui s’est achevée sur un hypothétique report.

Comme pour conforter ce rejet de l’amendement, le président de la République Kaïs Saïed a mis en garde le jour même contre les violations des dispositions constitutionnelles et souligné « l’importance des mécanismes de régulation et d’autorégulation dans la promotion du paysage audiovisuel et le renforcement du pluralisme et de la diversité des médias, dans le respect de la loi et de la sécurité nationale ».

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

La rédaction vous recommande

Contenus partenaires