L’annonce de la remise en liberté le 4 octobre de dizaines (plus d’une centaine selon l’AFP) de terroristes qui purgeaient des peines de prison à Bamako afin de faciliter la libération du leader de l’opposition Soumaïla Cissé et de l’otage Sophie Pétronin, inquiète au plus haut point les autorités algériennes.
« Cette action non concertée des Maliens risque de déstabiliser encore plus le Nord du Mali, en proie à une véritable guerre entre les factions terroristes, les autorités et les forces de la coalition Barkhane et celles de la Minusma », estime un officiel algérien sous le sceau de l’anonymat. Pour lui, cette libération était attendue au vu des négociations entamées depuis plus d’une année entre les groupes affiliés à Al-Qaïda et le précédent gouvernement malien.
Une question de gouvernance
L’accord de paix signé à Alger en 2015 n’a pas empêché la détérioration de la situation sécuritaire. Dans leurs rapports successifs, les experts de l’ONU n’ont eu de cesse de pointer les responsabilités de membres de groupes armés, mais aussi, plus récemment, d’officiers de l’armée malienne, accusés de faire obstruction au processus de paix. L’accord d’Alger a en outre de nombreux contempteurs au Mali, qui aimerait qu’il soit en partie refondu.
Dans ce contexte, à l’option du tout militaire face au jihadistes, Alger affirme préférer un règlement politique global inter-malien et considère que la situation sécuritaire est une conséquence et non une cause de l’instabilité.
« La problématique du Sahel en général et du Mali en particulier, c’est avant tout une question de développement, de gouvernance qui ne couvre pas l’ensemble des territoires et de conflits ethniques hérités des indépendances. Le terrorisme est venu occuper un vide, il faut se battre contre ses racines, sinon ce phénomène ne disparaitra jamais », assure à Jeune Afrique un officier supérieur du renseignement algérien.
Le récent coup d’État au Mali est le signe pour Alger que son approche politique a été sacrifiée sur l’autel de la lutte contre le terrorisme
« Les accords d’Alger avaient pour but de cimenter les relations Nord-Sud, de parvenir à déployer l’État central malien partout et avoir une armée cohérente et équilibrée », ajoute-t-il, tout en constatant qu’aucun de ces objectifs n’a été rempli.
Le récent coup d’État d’août 2020 au Mali, qui a contraint l’ex-président Ibrahim Boubacar Keïta à quitter le pouvoir, est le signe pour Alger que son approche politique a été sacrifiée sur l’autel de la lutte contre le terrorisme, laquelle n’a pas permis de faire émerger un Mali à même de régler pacifiquement ses divisions internes.
Malgré tout, le putsch du 18 août a pris Alger, autant que les autres États de la région, par surprise. Déjà soucieuse de la multiplication de bases et d’opérations militaires étrangères à ses portes, l’Algérie a fraîchement accueilli la nouvelle. La Turquie et la Russie, de plus en plus actives dans la région, pourraient essayer de tirer profit de la situation, et la couverture exceptionnelle des événements maliens par la presse turque a fait hausser quelques sourcils chez les sécuritaires algériens…
Entre préoccupation et scepticisme
Il aura fallu 24 heures pour que l’Algérie se prononce sur le coup d’État, par un communiqué du ministère des Affaires étrangères (MAE) confiant suivre « avec une très grande préoccupation la situation prévalant au Mali, pays frère et voisin ». Le texte du MAE s’était alors voulu intransigeant, concluant que « seules les urnes constituent la voie pour l’accession au pouvoir et à la légitimité ».
Alger hésite encore sur la conduite à tenir
Signe qu’Alger hésite encore sur la conduite à tenir, la réaction du MAE a été quelque peu contredite dix jours plus tard par la rencontre entre le ministre algérien des Affaires étrangères Sabri Boukadoum et les membres du Comité national pour le salut du peuple le 28 août. Une reconnaissance de fait des nouveaux maîtres de Bamako.
Deux semaines plus tard, après des discussions autour de la situation au Mali à Ankara lors d’un mini sommet Algérie-Turquie. Dans la capitale turque, Boukadoum évoque la crise malienne et ses conséquences migratoires pour la région : « Plus de 40 000 personnes issues de la région se trouvent dans les zones frontalières, par crainte des bouleversements. »
Le ministre se rend une seconde fois à Bamako le 20 septembre, à la veille de la nomination de Bah N’Daw comme président de la transition à la suite de négociations tendues avec les représentants de la Cedeao. Une nomination là encore fraîchement accueillie par Alger, qui « prend acte » dans un nouveau communiqué du MAE. Et d’ajouter, signe d’un certain scepticisme, que « l’Algérie attend avec intérêt la mise en œuvre du reste des institutions », lesquelles permettront « le retour à l’ordre constitutionnel au Mali frère et voisin ».
Une opportunité pour l’Algérie
L’Algérie veut ainsi pousser les nouvelles autorités maliennes à mettre en place une gouvernance plus inclusive, et promeut son propre modèle de « Réconciliation Nationale », instauré dans les années 2000.
Le reflux de l’influence française et la mise en dormance des forces et programmes internationaux (Minusma, EUTM) du fait de la situation politique et de l’épidémie de Covid-19 constituent à la fois une menace… et une opportunité pour l’Algérie, tentée d’augmenter sa propre marge de manœuvre chez son voisin du Sud.
Reste à savoir si la révision constitutionnelle en cours en Algérie autorisera l’envoi de troupes en territoire étranger sur instruction du président et après vote des deux tiers de l’assemblée. Une telle modification de la loi fondamentale algérienne ouvrirait la voie à un accompagnement militaire d’une action d’aide aux populations du Nord Mali.
Cette action pourrait se faire à la demande du Comité national pour le salut du peuple (CNSP) ou même de l’Union africaine. Pas sûr toutefois qu’un tel poids algérien au Mali soit bien perçu du côté de Paris et Washington. Sans parler de la nouvelle équipe dirigeante à Bamako.
Plusieurs médias au Mali accusent l’armée algérienne d’annexion d’une partie du territoire malien
Cette éventualité semble même plutôt redoutée du coté malien. Le 23 septembre, plusieurs médias au Mali, ainsi que l’Alliance démocratique du peuple malien (ADEPM), accusent l’armée algérienne d’annexion d’une partie du territoire malien. Il faudra dix jours — le 5 octobre — aux autorités algériennes pour démentir l’information. Selon un communiqué officiel du ministère de la Défense nationale, il n’y a pas eu « annexion » ni même entrée sur le territoire malien.
Incidents sur le tracé de la frontière
« Suite à certaines allégations formulées par des parties maliennes (…) faisant état d’une prétendue présence des éléments de l’Armée nationale populaire (ANP) dans la localité frontalière malienne d’In Khalil (…), le ministère de la Défense nationale tient à apporter un démenti formel à ces allégations tendancieuses », martèle le communiqué.
L’explication donnée par le côté algérien est technique : « Une mission conduite par des experts relevant du service géographique et de télédétection de l’ANP accompagnés par un détachement de sécurisation et de protection ». Une mission achevée le 21 septembre et dont l’objectif était « d’effectuer des travaux de vérification des bornes du tracé frontalier algéro-malien et à proximité de la localité frontalière malienne d’In Khalil », précise le communiqué.
Ce n’est pas la première fois que des incidents ont lieu sur le tracé de la frontière entre les deux pays. Le 15 juin 2020, des heurts violents ont eu lieu dans la ville frontalière de Tinzawatine dans l’extrême Sud Algérien. Un jeune avait trouvé la mort suite à des protestations réprimées par la gendarmerie. Les autorités algériennes avaient évoqué une autre cause pour expliquer l’utilisation d’armes à feu par les gendarmes et le décès du manifestant : des tirs provenant du côté malien de la frontière et visant les gardes-frontières algériens.
Terrorisme, contrebande, flux migratoires, instabilité politique et velléités d’intervention : l’hiver s’annonce tendu sur la frontière algéro-malienne.