Société

Génocide des Tutsi au Rwanda : Félicien Kabuga renvoyé devant la justice internationale

La Cour de cassation a rejeté le pourvoi de Félicien Kabuga qui contestait son transfert devant le Mécanisme de l’ONU, basé en Tanzanie. Cette décision ouvre la voie à un futur procès de celui qui est soupçonné d’être le financier du génocide des Tutsi.

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Mis à jour le 30 septembre 2020 à 15:13

Le dossier sur Félicien Kabuga, entre les mains d’un enquêteur de l’Office central de lutte contre les crimes contre l’humanité, les génocides et les crimes de guerre (OCLCH), à Paris, le 19 mai 2020. © REUTERS/Benoit Tessier

C’était le dernier recours dont Félicien Kabuga disposait. La Cour de cassation a rejeté ce mercredi 30 septembre le pourvoi de celui qui, jusqu’à son arrestation le 16 mai dernier, était considéré comme l’un des principaux fugitifs soupçonnés d’avoir joué un rôle majeur dans le génocide des Tutsi au Rwanda.

Après l’avis favorable rendu le 3 juin par la cour d’appel de Paris, les avocats de Félicien Kabuga avaient déposé un pourvoi en cassation, soulevant une question prioritaire de constitutionnalité et contestant le renvoi de leur client devant le Mécanisme de l’ONU, la structure chargée d’assurer les fonctions résiduelles du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR). La Cour de cassation a rejeté ces deux points, marquant la fin de cette première phase de procédure.

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Selon la procédure, la France a désormais un mois pour pour le remettre au Mécanisme. Reste à savoir s’il sera au préalable acheminé vers La Haye ou sera envoyé directement à Arusha.

Pathologie

Ancien homme d’affaires connu comme étant un des hommes les plus riches du Rwanda avant le génocide des Tutsi, Félicien Kabuga est visé par sept chefs d’accusation dont ceux de « génocide »,  « complicité de génocide », « incitation à commettre le génocide » et « crimes contre l’humanité ».

Surnommé le « financier du génocide », Kabuga a été le président et l’un des principaux actionnaires de la Radio-Télévision libre des Mille Collines (RTLM), tristement célèbre pour avoir propagé messages de haine et appels à l’extermination des Tutsi. L’homme d’affaires, très proche du premier cercle extrémiste du président Juvénal Habyarimana, est aussi soupçonné d’avoir importé plusieurs tonnes de machettes et d’avoir assuré le transports de miliciens Interahamwe, au cœur de la machine génocidaire, vers les lieux de massacres.

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La tenue du procès de Félicien Kabuga, sans doute l’un des plus attendus sur le génocide des Tutsi tant l’influence et le réseau de l’homme étaient important à l’époque des faits, reste malgré tout lié à une question centrale : celle de sa santé. Pendant toute la procédure, ses avocats ont fait valoir que leur client, qui dit être âgé de 87 ans et non de 84, n’était pas en état d’être transféré et jugé hors de France.

Lors de l’audience devant la Cour de cassation, ils ont affirmé que leur client, qui souffrirait de diabète et d’hypertension, était aussi atteint de « leucoaraïose », une pathologie qui affecte ses fonction cognitive. Parmi les pièces versées au dossier figurent notamment de nombreux comptes rendus d’hospitalisation en France, dont les plus anciens datent de janvier 2016 et parmi lesquels on retrouve notamment un compte-rendu d’IRM cérébrale.

Selon ses avocats Kabuga fait l’objet d’un suivi médical régulier depuis son incarcération à la Maison d’arrêt de la Santé. La cour d’appel de Paris avait estimé que son état n’était pas incompatible avec un transfert.

Cavale

L’homme aux 28 alias en 26 ans de clandestinité, qui vivait en France depuis plusieurs années sous une fausse identité et avec un passeport de la RDC au nom d’Antoine Tounga, avait été arrêté à la surprise générale en banlieue parisienne, à Asnières-sur-Seine. Souvent recherché, jamais attrapé jusqu’à ce coup de filet inattendu, Félicien Kabuga était passé maître dans l’art d’échapper à la justice internationale.

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Au sein des équipes d’enquêteurs lancées à ses trousses pendant plus de deux décennies, les anecdotes sur la traque de l’insaisissable fugitif sont nombreuses. Au milieu des années 2000, une veille de Nouvel An, les enquêteurs du TPIR avaient même pensé l’attraper en Tanzanie, à Dar es Salaam. Sur la base d’une piste obtenue par le FBI, un important dispositif avait été déployé pour procéder à son interpellation. Las, il s’avèrera en fait qu’il s’agissait d’un pasteur « avec une vague ressemblance », se souvient ainsi un ancien enquêteur du TPIR.

Cette fois-ci, Kabuga devrait bien atterrir en Tanzanie, à Arusha, où siège le Mécanisme, une juridiction devant laquelle son nom a déjà été maintes fois cité. Le procès dit « des médias », ouvert en 2000 dans lequel ont comparu Jean Bosco Barayagwiza, Ferdinand Nahimana et Hassan Ngeze, évoquait partiellement son rôle.

Félicien Kabuga est d’ailleurs mentionné à 90 reprises dans le jugement en première instance de ce procès rendu en 2003. « En 1993, dans le but de défendre l’idéologie hutu extrémiste et de promouvoir le recours à l’incitation à la haine et à la peur à l’encontre de la minorité tutsi, Jean-Bosco Barayagwiza, Ferdinand Nahimana, Félicien Kabuga (…) se sont concertés entre eux et avec d’autres, pour créer une société anonyme dénommée RTLM S.A. afin notamment, d’exploiter une station de radiodiffusion RTLM », peut-on lire dans le jugement. Ils « avaient connaissance » et ont « défendu » le contenu des émissions de la RTLM et les journalistes qui les présentaient peut-on aussi lire.