Économie

Maroc : à Intelcia, la méthode Bernoussi pour conquérir l’est du continent

Appuyant son développement sur la force de frappe de son actionnaire majoritaire Altice, propriété de Patrick Drahi, Karim Bernoussi vise désormais le marché anglophone.

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Par - à Casablanca
Mis à jour le 6 octobre 2020 à 17:02

Karim Bernoussi. © Alexandre DUPEYRON pour JA

Malgré la crise du Covid, le chiffre d’affaires d’Intelcia devrait faire un bond significatif dépassant les 300 millions d’euros pour 2020, selon les experts. Soit presque 6 fois le chiffre d’affaires généré avant l’arrivée d’Altice (14,8 milliards d’euros en 2019) dans son tour de table, en septembre 2016.

L’arrivée du groupe dirigé par le milliardaire français né à Casablanca, Patrick Drahi, qui avait pris 65 % de son capital, avait alors valu au spécialiste de la relation client cofondé et dirigé par Karim Bernoussi d’intégrer le top 30 des plus grandes entreprises marocaines.

«  Nous allons avoir une forte croissance en 2020, due au développement de nouveaux territoires et de nouveaux services », se réjouit le PDG, qui nous accueille dans les nouveaux locaux aménagés « à la Google », au sud de Casablanca.

Efforts sur l’Afrique

Plus les années passent, plus Karim Bernoussi voit grand pour l’entreprise. Car si les plateaux marocains génèrent encore plus de 40 % du chiffre d’affaires du groupe, soit environ 130 millions d’euros, la tendance est stagnante. C’est donc à l’extérieur qu’Intelcia devra aller chercher la croissance.

Ainsi, au Portugal, où le groupe a commencé son internationalisation fin 2018 avec 400 collaborateurs, les plateaux abriteront presque 5 000 salariés avant la fin de l’année, faisant d’Intelcia le plus gros employeur du secteur. La société se développe également aux États-Unis, les deux zones Europe et États-Unis contribuant pour environ 30 % au chiffre d’affaires global, selon nos estimations.

Mais c’est au continent, qui ne contribue à l’heure actuelle qu’à 20 % (hors Maroc) du chiffre d’affaires global, que Karim Bernoussi consacre une large part de ses efforts : « Nous sommes africains, nos décisions sont prises en Afrique et nous voulons développer davantage notre présence sur place », lâche cet ingénieur de formation, passé par Microsoft avant de devenir entrepreneur.

Nouveaux pays, nouvelle stratégie

En 2020, le groupe est passé de 6 à 9 pays de présence, avec l’arrivée en Égypte, au Kenya et en Afrique du Sud, contre 5 pays d’implantation en Afrique pour son concurrent Majorel, géant issu de la fusion début 2019 entre Saham et Bertelsmann (48 000 collaborateurs  dans 28 pays, dont 7 500 en Afrique). Cap donc sur l’Afrique de l’Est et l’Afrique australe, alors qu’Intelcia déployait jusque là ses services en Afrique de l’Ouest et à Madagascar.

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Objectif : dépasser le stade d’« acteur régional » dans un secteur de la relation client où les rachats et fusions sont monnaie courante.

En changeant de zone géographique, Intelcia a aussi changé de stratégie : « Nous avons préféré opter pour des partenariats exclusifs plutôt que sur une installation en propre », précise ainsi Karim Bernoussi. « L’enjeu de cette nouvelle stratégie, qui mise sur la discrétion et demande de mieux connaitre le pays et ses spécificités avant de foncer, est de ne pas provoquer des réponses hostiles de la part des acteurs bien établis », commente Mohamed Douyeb président cofondateur de Digital Act, think tank marocain du numérique.

Altice, actionnaire majoritaire et client n°1

Une dixième implantation, toujours du côté anglophone du continent mais cette fois-ci en propre, est également à l’étude, précise Karim Bernoussi.

Ce développement s’appuie sur un allié de taille : l’actionnaire majoritaire Altice, qui met à son service sa force de frappe et une enveloppe d’investissement relativement importante, alors que la mise sur pied d’un nouveau plateau pour 500 postes est évaluée entre 1 et 2 millions d’euros en moyenne.

Mais surtout, le géant français peut être à l’origine même du projet d’expansion : « Dans notre secteur, les installations à l’international se font généralement à la demande d’un client, si le contrat le permet. Dans le cas d’Intelcia, le plus souvent, ce client n’est autre qu’Altice. L’entreprise a donc une base solide pour se lancer avant de chercher d’autres clients », décrypte un concurrent.

Il faut dire qu’Intelcia gère les relations clients de toutes les marques du groupe Altice, qui génère à lui seul 60 à 70 % de son chiffre d’affaires, tout en assurant, par sa rentabilité, un bon retour sur investissement à son actionnaire majoritaire.

Google, un géant perdu

« Altice est une force qui nous permet de nous développer d’une manière plus agressive à l’international. Et c’est d’ailleurs grâce à lui que nous avons pu nous implanter en Afrique subsaharienne ces dernières années », reconnaît Karim Bernoussi, qui précise cependant que « la croissance du chiffre d’affaires en dehors d’Altice est désormais supérieure à la croissance de celui-ci drainée par l’actionnaire ». « Rien qu’en 2019, nous avons eu 20 nouveaux clients », se réjouit-il.

En revanche, Karim Bernoussi peine à retenir dans son portefeuille Gafa et multinationales de la tech, grosses consommatrices d’outsourcing, malgré sa volonté affichée de capter ces donneurs d’ordres de plus en plus globaux, « qui ont besoin d’un seul interlocuteur ». Intelcia a ainsi vu s’échapper fin 2019 les relations client de Google qu’il gérait depuis 2008. Quant à sa collaboration avec Facebook, en 2018, elle a fait long feu. C’est son concurrent Majorel qui gère une petite partie de la relation client francophone et arabophone du géant américain.

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En Afrique, « nous avions la volonté de devenir le partenaire naturel des acteurs panafricains qui se sont constitué ces dernières années dans les télécoms, les banques et les assurances. Nous avons de plus en plus de clients locaux (africains), même si le même volume d’activité qu’ils génèrent n’est pour l’instant pas comparable à celui généré par nos clients étrangers. Mais si nous lançons nos activités par le offshore, nous proposons aussi nos services au marché local », développe le dirigeant marocain.

Destinations anglophones

Le Maroc, l’Égypte et surtout l’Afrique du Sud, où les infrastructures de télécommunication et les connexions affichent de bons niveaux de qualité, arrivent à absorber le plus gros des activités d’outsourcing que capte le continent.

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Progressant plus vite que la moyenne mondiale sur les dix dernières années, l’Afrique du Sud est d’ailleurs en passe de détrôner les leaders mondiaux, l’Inde et les Philippines. « Le pays présente beaucoup d’avantages. Les ressources humaines y parlent un anglais parfait et compréhensible par tous ; les salaires sont aussi très compétitifs ; le rapport qualité-prix est imbattable à mon sens. Il y a plus de travail en anglais qu’en français, et il est mieux rémunéré », énumère un concurrent d’Intelcia.

Outre la relation client, le pays attire des activités comme la finance, la gestion des taxes et les ressources humaines, enregistrant l’implantation de groupes tels CCI Global, Accenture ou encore Wipro. Des entreprises qui sont comme des modèles pour Intelcia.

Nouvelles compétences

Outre son expansion géographique, Intelcia s’attèle depuis quelques années à la diversification de ses métiers. « À moyen et long terme, la relation client, à elle seule, ne peut pas garantir le développement d’un groupe aussi ambitieux. Cette prestation va se stabiliser dans des marchés matures et va connaître de profondes transformations. D’où la course aujourd’hui de certains grands opérateurs à se positionner sur l’ensemble de la chaîne de valeur digitale en offrant des solutions à forte valeur ajoutée », explique Mohamed Douyeb.

La société marocaine a ainsi créé deux nouvelles filiales, l’une, en 2017 spécialisée dans le marketing digital et l’autre, début 2020, dans les solutions IT. D’autres, dans le BPO (Business Processus outsourcing), allant des ressources humaines à la finance, ne devraient pas tarder à voir le jour. L’objectif étant à terme de proposer toutes les fonctions supports d’un groupe.

Un virage que Karim Bernoussi a choisi d’opérer via l’acquisition de cabinets déjà bien implantés. « Ils connaissent leur secteur. De notre côté, nous apportons du business », assure-t-il pour résumer cette stratégie qu’il décrit comme « gagnant-gagnant ».