« Nous avons perdu trop de temps ! ». C’est le dur constat livré récemment par le Wali de Bank Al Maghrib concernant le retard accumulé dans le déploiement des solutions de paiement mobile dans le royaume. Abdellatif Jouahri a exprimé son agacement lors de son dernier point de presse trimestriel, le 22 septembre, devant l’absence de « mesures incitatives fortes » pour les commerçants, notamment en matière fiscale.
Outre son rôle dans l’inclusion financière, le wali de la banque centrale compte en effet sur le mobile money pour réduire l’utilisation du cash, dont la gestion coûte 7 milliards de dirhams à l’économie marocaine chaque année, selon les statistiques de Bank Al Maghrib.
Des clients potentiels mais peu de terminaux
Deux années après son lancement officiel et l’octroi des agréments aux entreprises, le paiement mobile, n’a en effet pas rencontré l’ascension fulgurante sur laquelle comptaient les opérateurs, qui avançaient des objectifs de 6 millions de clients et d’1,3 milliard de transactions par an à l’horizon 2024.
En effet, même si le nombre de porte-monnaie électroniques, ou wallets, a dépassé 1,5 million à ce jour, les protagonistes du secteur s’inquiètent. « Le nombre de wallets enregistré jusqu’à présent est certes encourageant, mais cela pose le risque que ces personnes s’impatientent et finissent par renoncer à utiliser cette solution faute de trouver des commerçants équipés de terminaux dédiés », craint ainsi Hazim Sebbata, directeur général de Cash Plus, l’un des acteurs majeurs du secteur.
Les épiciers, première cible du secteur, sont particulièrement réticents à adopter ces nouvelles pratiques. Pour le patron de Cash Plus, « les commerçants ne veulent pas rentrer dans le circuit par peur du fisc. Pour eux, l’installation d’un terminal est synonyme de problèmes ».
Les indépendants à la peine
Ce sont pourtant ces quelque 200 000 épiciers de quartier que compte le Maroc qui captent une grande partie des 400 milliards de dirhams de transactions faites en cash annuellement, selon les statistiques de la banque centrale. « Il est impensable qu’on parle d’un marché du paiement mobile sans l’adhésion des épiciers », soupire Hazim Sebbata.
Pour les indépendants du secteur que sont Cash Plus ou encore Maymouna services financiers – qui évoluent aux côtés des acteurs traditionnels du paiement mobile que sont les opérateurs télécoms et les banques – la situation pourrait devenir délicate, faute de rentabiliser un investissement initial de l’ordre de 50 à 100 millions de dirhams.
Or, l’activité est presque à l’arrêt, seules les services annexes au paiement à proprement parler étant pleinement utilisables : transfert d’argent, paiement des factures ou encore retrait. « Nous avons jusqu’à présent consacré nos efforts à recruter des clients. Maintenant, toute l’énergie doit se focaliser sur la recherche des solutions que les commerçants accepteront. Ce n’est qu’à ce moment-là que le paiement mobile pourra prendre son essor », poursuit notre interlocuteur.
Programme pilote
Les parlementaires avec qui nous avons pu échanger mettent également en avant la crainte des commerçants d’entrer dans le circuit formel, tout en assurant qu’il est inenvisageable de laisser ces derniers en dehors du circuit fiscal. « Donner le droit à une partie de la population de ne pas payer d’impôts serait une hérésie », lâche ainsi un parlementaire de la majorité, avant de reconnaître qu’il serait compliqué de forcer les commerçants à adopter le système de mobile money, au risque de les braquer.
Pour l’élu, il faut donc trouver ailleurs, et en particulier dans les pays du sud du Sahara qui ont adopté le paiement mobile, les solutions pour sortir de ce blocage. Le gouverneur de la banque centrale propose de son côté le lancement d’un programme pilote dans une ville comme Casablanca, avec des incitations fiscales bien définies, avant de penser à la généralisation.
« Il y a aussi la possibilité que la demande vienne des consommateurs, lorsque le nombre de wallets aura atteint une taille critique. Les commerçants devront alors s’adapter pour ne pas perdre leur clientèle », suggère Hazim Sebbata, qui reconnaît que cette option « prendra beaucoup de temps ».