Qui ne risque rien n’a rien

Après un boom significatif, l’activité de ce métier financier tend à s’essouffler sur le continent. Notamment chez les francophones.

Publié le 15 janvier 2007 Lecture : 4 minutes.

La messe annuelle du capital-risque africain a réuni près de trois cents professionnels venus du continent, d’Europe et d’Amérique du Nord, du 5 au 7 novembre dernier, à Dakar. On se serait pourtant cru à Accra, à Abuja ou à Nairobi, car trois jours durant, c’est dans la langue de Shakespeare que les participants ont échangé leurs expériences, négocié ou conclu des contrats. Il faut croire qu’en Afrique la langue de communication usuelle du capital-risque est l’anglais, preuve, s’il en est, que cette activité n’a pas encore réellement trouvé ses marques dans les pays francophones.
Barbara James, directrice générale d’Africa Venture Capital Association (AVCA), organisateur de la conférence, qui regroupe quatre-vingts opérateurs de la profession sur le continent, confirme ce constat : « Nous avons choisi Dakar cette année précisément avec l’idée de promouvoir le capital-risque en terre francophone, où il y a du retard par rapport aux pays anglophones. » Le capital-risque reste, il est vrai, un métier financier encore méconnu dans cette partie du continent. Né dans l’univers capitaliste anglo-saxon, le capital venture est une forme d’investissement dans lequel le bailleur ne prête pas d’argent, mais acquiert des parts dans le capital du partenaire financé et accepte de partager avec lui les risques éventuels. Le « capital-risqueur » n’investit pas pour rester dans l’entreprise. Il l’accompagne pendant quelques années (entre quatre et huit ans) avant de revendre sa participation à des repreneurs, directement ou à travers le marché boursier.
Depuis plusieurs années, l’activité a enregistré un boom significatif sur le continent, en particulier en Afrique du Sud, en Égypte, au Nigeria, mais aussi en Tunisie. Avec à peine plus de dix ans d’existence en Afrique, le capital-risque, encouragé notamment par l’agence de développement néerlandaise FMO, a même connu quelques retentissants succès, comme la « mégacession » de l’opérateur de téléphonie mobile Celtel au koweïtien MTC pour 3,4 milliards de dollars en 2005, que les professionnels rappellent à l’envi. À Dakar, les délégués n’ont pas manqué d’analyser à nouveau cette opération à valeur de symbole. Non pas tant pour la célébrer que pour tenter d’en saisir les ressorts afin d’attirer des opérateurs internationaux du capital-risque en Afrique. Avec, en filigrane, cette interrogation récurrente : une telle opération, où les investisseurs impliqués, comme EMP Africa, Actis, FMO, IFC ou Zephyr, ont réalisé des bénéfices records – gagnant pour certains plus de cinq fois leur mise -, est-elle renouvelable ? « Celtel est la preuve que le marché africain peut être aussi transparent, aussi profitable et aussi viable qu’un autre, explique Barbara James. Peu d’investisseurs y ont cru au départ, sauf justement des opérateurs de capital-risque. »
Pourtant, une étude réalisée pour le compte d’AVCA par les cabinets Thompson Financial et PricewaterhouseCoopers, rendue publique à Dakar, laisse penser que le boom est derrière nous. La première indication est la chute brutale du montant des fonds privés levés en Afrique dans le cadre du capital investissement – private equity. Ainsi, de 971 millions de dollars en 2004, on est tombé à 557 millions de dollars en 2005, un recul de 43 %. Plus significatif encore est le fait que près des deux tiers des fonds investis en 2005 (352 millions de dollars, 63,2 % du total) étaient destinés à financer le développement d’activités déjà existantes (capital-développement). La proportion était de 40 % en 2004. Ce sont les fonds affectés au capital-amorçage, c’est-à-dire au financement des start-up, qui diminuent – ce qui est plutôt inquiétant. Seulement 17 millions de dollars en 2005, soit 3 % du total. C’est vingt fois moins qu’en 2004 (365,7 millions de dollars).
Pour Rod Evison, directeur du portefeuille Afrique à la CDC, une agence de développement britannique pour le secteur privé, « le capital-risque en est encore au premier stade de son développement en Afrique. Il a très largement été soutenu par les investisseurs étrangers, même en Afrique du Sud. Il existe des opportunités d’investissement significatives sur le continent. À charge pour les capital-risqueurs de se positionner activement auprès des investisseurs locaux afin d’attirer de nouveaux engagements et sensibiliser les législateurs sur les avantages de cette activité ».
Reste que si la tendance générale peut refroidir l’enthousiasme, elle devrait au moins pousser les pouvoirs publics à assouplir les réglementations en y introduisant des incitations y compris fiscales, en particulier dans les pays francophones. Sans doute la pression sur les législateurs dans les espaces UEMOA et Cemac va-t-elle s’accentuer. C’est ce que pense Gabriel Fal, PDG de CGF Bourse, une société de gestion et d’intermédiation basée à Dakar, spécialisée dans l’émission d’obligation et l’introduction en Bourse : « L’Afrique francophone est à la traîne, notamment parce qu’il n’existe aucun cadre réglementaire et aucune mesure incitative. Un projet de réglementation existe bien dans l’UEMOA, mais sur le plan national, rien n’a vraiment été fait. » Même si c’est la dynamique du marché et des opérateurs qui fera la différence, il est évident que, comme le démontre l’exemple tunisien, avec le succès de Tuninvest, qui gère sept fonds d’une valeur totale de 75 millions de dollars, le cadre légal et la volonté politique sont forcément des facteurs de réussite.

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