La tension monte en Côte d’Ivoire à moins de six semaines de l’élection présidentielle, prévue le 31 octobre. Dimanche 20 septembre, l’opposition a décidé d’engager un bras de fer avec le président Alassane Ouattara pour obtenir le retrait de sa candidature à un troisième mandat et une remise à plat du processus électoral. L’ancien chef de l’État et chef du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), Henri Konan Bédié, a pris la tête de ce mouvement en appelant à « la désobéissance civile ». Deux jours plus tard, Pascal Affi N’Guessan, dont la candidature a pourtant été validée par le Conseil constitutionnel, lui a apporté son soutien.
Sûr de son fait, et avec cette assurance qui caractérise les hommes de pouvoir, Adama Bictogo préfère tourner en dérision cet appel. Pour le directeur exécutif du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP, au pouvoir), ce nouveau mot d’ordre ne change rien à la stratégie du parti présidentiel : « L’élection aura lieu le 31 octobre. Et le président Alassane Ouattara y sera. »
Jeune Afrique : Comment réagissez-vous à l’appel à la « désobéissance civile » lancé le 20 septembre par Henri Konan Bédié ?
Adama Bictogo : Ce n’est vraiment pas notre préoccupation. C’est l’appel d’un homme désespéré qui n’a aucune offre politique. C’est aussi l’expression d’un passif et d’un échec. L’opposition n’est pas prête à participer à cette compétition, alors elle considère qu’il faut tout remettre en cause. Mais nous, nous sommes droits dans nos bottes. Techniquement, juridiquement, tout est en place pour que nous allions aux élections.
L’opposition a posé plusieurs préalables à sa participation au scrutin présidentiel. Certains pourraient-ils être étudiés ?
Le problème avec cette opposition, c’est qu’elle n’est ni constante ni cohérente. Il y a encore quelques jours, le PDCI annonçait sa participation à la commission centrale de la Commission électorale indépendante [CEI]. Il a finalement brillé par son absence. Un jour, l’opposition va aux élections, l’autre non… Dès lors qu’un acteur a accepté de déposer son dossier de candidature, il ne peut pas remettre cause l’intégralité du processus. Ce n’est pas sérieux.
Aujourd’hui, plusieurs des candidats dont le dossier a été rejeté, comme Marcel Amon-Tanoh ou Albert Toikeusse Mabri, ont dénoncé la légitimité du Conseil constitutionnel. Cette institution n’est-elle pas décrédibilisée ?
Amon Tanoh est-il, lui, suffisamment crédible pour émettre ces critiques ? Il y a des éléments qui montrent qu’il a fraudé, dans son dossier de candidature, sur les cartes d’identité et sur les parrainages. Nous avons des informations. Il faudrait peut-être que le Conseil constitutionnel sorte de sa réserve pour s’exprimer clairement sur les raisons qui l’ont poussé à rejeter telle ou telle candidature.
Nous n’avons pas de leçon à recevoir de gens qui ont été anti-démocratiques pendant tout leur parcours politique
Le chef de l’État, Alassane Ouattara, ira-t-il à l’élection si Henri Konan Bédié ou Pascal Affi N’Guessan refusent d’y participer ?
La crédibilité d’une élection dépend-elle du nombre de participants ou de la qualité du processus ? Si celui-ci est conforme aux règles de droit, Alassane Ouattara y participera.
J’ajoute que le président Bédié n’a aucune leçon à donner. Il faut quand même rappeler qu’il a été élu sur la base d’un boycott actif en 1995. Nous n’avons pas de leçon à recevoir de gens qui ont été anti-démocratiques pendant tout leur parcours politique.
En appelant à la désobéissance civile, Henri Konan Bédié s’expose-t-il à des poursuites ?
Je ne veux pas porter de jugement sur le caractère de son appel, auquel personne n’a pour le moment répondu. Cependant, il faut rappeler que, depuis 1999, il a toujours appelé à la désobéissance. Mais il n’a jamais été entendu parce qu’il n’est plus audible. Il est la cause de tous nos malheurs, de la division des Ivoiriens. Son appel nous ramène en 1999. Les Ivoiriens ont aujourd’hui d’autres préoccupations. Ils veulent la paix et la stabilité.
Mais Bédié n’est pas seul. L’opposition semble faire front commun…
Quels sont ces acteurs de l’opposition ? Mabri rejoint Bédié uniquement parce qu’il n’a pas été choisi par le RHDP. Mais que propose-t-il ? Georges Armand Ouegnin, d’Ensemble pour la démocratie et la souveraineté [EDS], n’a jamais été un acteur politique reconnu. Il a peut-être été un bon médecin, mais ça s’arrête là. Pascal Affi N’Guessan est, lui, comme un caméléon. Il n’est pas fiable. On ne peut pas confier un pays à des gens incapables d’élaborer un projet de société. Les Ivoiriens ne sont pas dupes.
Et Guillaume Soro ?
Pour nous, il n’existe qu’à travers la presse. Sur le plan politique, il n’est plus rien. Mais on connaît ses compétences dans l’élaboration de violences et Bédié veut en tirer parti. Aujourd’hui, l’opposition est une plateforme politique qui veut reposer sur une branche armée. On l’a vu dernièrement avec les petits foyers de tensions. C’est une forme de guérilla, entretenue par des gens habitués aux armes et dont le président Bédié porte le message politique.
Pour le RHDP, l’annonce de l’opposition ne change donc rien ?
Absolument. C’est une posture qui montre bien l’irresponsabilité de l’opposition. Cependant, nous ne pouvons pas l’empêcher de s’exprimer. C’est la démocratie. Le rôle de l’État est d’essayer de maintenir l’ordre et la sécurité.
Alassane Ouattara entame, le 23 septembre, une nouvelle visite d’État, dans la région de la Marahoué. L’élection approchant, n’y a-t-il pas de confusion entre son statut de chef de parti et celui de président de la République ?
Pas du tout. Il est encore président de la République. C’est son droit d’aller rendre visite aux populations. Ces visites sont prévues depuis deux ou trois ans.
L’interdiction de manifester sur la voie publique ne visent-elle pas uniquement l’opposition ?
Le RHDP n’a organisé aucune manifestation sur la voie publique, à part en France. Et le PDCI a pu organiser l’investiture de son candidat à Yamoussoukro [le 12 septembre] parce qu’il a occupé un espace précis. Le gros problème est que l’opposition n’arrive pas à entretenir une dynamique de rassemblement, notamment parce que ses membres ne s’entendent pas entre eux. Dans son propre camp, Bédié est partagé entre aller aux élections et ne pas y aller. Il a organisé toute sa stratégie en visant une bonne partie de l’électorat de Laurent Gbagbo. Il est entre le marteau et l’enclume. Au final, Bédié est une marionnette politique. Il n’a plus l’autonomie de sa décision. Il est conditionné par l’électorat des autres.