La pandémie l’avait retardé, mais qu’à cela ne tienne ! Le chantier de « La Nouvelle Algérie », promise par le président Tebboune, sera enfin lancé le 1er novembre prochain avec la tenue d’un referendum populaire sur la nouvelle Constitution, dont le texte final a été adopté dimanche 6 septembre en Conseil des ministres. Auparavant, il devrait franchir une première étape qui relève de la formalité.
Élaboré par un panel d’experts désigné par la présidence, ce texte que Jeune Afrique a consulté sera ensuite présenté le 10 septembre à l’Assemblée nationale pour approbation, puis devant le Conseil de la Nation (Sénat) avant d’être soumis à un vote populaire le 1er novembre, date qui coïncide avec le 66e anniversaire du début de la révolution de 1954.
Rupture avec l’ancien système
Projet phare du quinquennat du président Tebboune, élu le 12 décembre 2019 au terme d’un scrutin largement boycotté par les Algériens, la nouvelle Constitution contient de nombreux amendements présentés comme des gages de rupture avec l’ancien système, dont le démantèlement constitue l’une des principales revendications du Hirak.
Ces évolutions touchent aussi bien aux droits qu’aux mécanismes de gouvernance, et se veulent une réponse aux revendications du mouvement populaire.
L’explication de texte livrée par Tebboune lors du Conseil des ministres dévoile l’objectif de la réforme constitutionnelle : édification d’un État moderne, ancrage du pluralisme médiatique libre et indépendant, séparation et équilibre des pouvoirs, moralisation de la vie politique et transparence dans la gestion des deniers publics.
L’allusion aux vingt ans de règne sans partage de Bouteflika est limpide
En somme, une panacée censée épargner au pays « toute tentative de dérive tyrannique ». L’allusion aux vingt ans de règne sans partage de son prédécesseur est limpide.
C’est tout particulièrement le régime de la présidence à vie instauré par Bouteflika, notamment depuis la révision constitutionnelle de 2008 à travers laquelle il a fait sauter le verrou de la limitation des mandats présidentiels, qui a provoqué la révolution de février 2019.
Pas de poste de vice-président
Proposée par le panel de juristes dans la première mouture, la proposition de créer un poste de vice-président n’a pas été retenue.
Exit donc ce vice-président qui aurait pu remplacer le chef de l’État en exercice en cas de décès, de maladie handicapante ou de troubles politiques graves, comme ce fut le cas avec Abdelaziz Bouteflika.
Déjà sous l’ex-président, la création du poste de vice-président pour assumer les charges que Bouteflika ne pouvait plus remplir avait été évoquée à maintes reprises sans qu’elle ne soit concrétisée.
La nouvelle loi fondamentale limite aussi les mandats présidentiels à deux exercices consécutifs ou séparés. « En cas d’interruption du mandat pour cause de démission du Président de la République en exercice ou pour toute autre cause, ce mandat est considéré mandat accompli », ajoute l’article.
L’amendement qui touche au poste de Premier ministre est plutôt déconcertant
L’autre amendement proposé touche au poste de Premier ministre. Celui-ci a été introduit dans la révision constitutionnelle de novembre 2008, qui avait de fait abrogé le poste de Chef de gouvernement.
Peu soucieux de séparation des pouvoirs, Bouteflika avait fait du Premier ministre un simple coordinateur du programme présidentiel. Une orientation sur laquelle Abdelmadjid Tebboune souhaite donc revenir.
Toutefois, l’amendement est plutôt déconcertant tant ses dispositions sont soumises aux résultats des élections législatives.
Ainsi, l’article 103 stipule que le gouvernement est dirigé par un Premier ministre lorsqu’il résulte des élections législatives une majorité présidentielle et par un Chef du Gouvernement lorsqu’il résulte des élections législatives une majorité parlementaire.
Message ambigu
S’il y a peu, voire aucun, risque que la nouvelle loi fondamentale soit rejetée par le Parlement, sa validation par une institution jugée comme un des legs du régime de Bouteflika, envoie un message ambigu à la population.
Les parlementaires qui siègent dans les deux chambres sont considérés par une grande majorité de leurs compatriotes comme illégitimes car issus de la fraude.
La dissolution du Parlement, considéré comme partie constituante de la « issaba » (la « bande » qui opérait sous Bouteflika) constitue d’ailleurs l’une des revendications du Hirak.
Les révélations du procès Baha Tliba, ancien député du FLN et vice-président de l’Assemblée nationale, ont achevé de discréditer les députés.
Les candidatures au poste de député pouvaient se monnayer à hauteur de 70 millions de dinars
Milliardaire, Tliba a reconnu au tribunal que les candidatures pour le poste de député pouvaient se monnayer à hauteur de 70 millions de dinars (environ 462 000 euros).
Condamné mercredi 9 mars à huit ans de prison pour blanchiment d’argent et trafic d’influence, Tliba symbolise le système de « la Chkara (liasses de billets transportées dans ses sacs en plastique) », l’argent sale qui a envahi les institutions de la République.
Crise de confiance
Le président Tebboune reconnait d’ailleurs publiquement l’étendue de cette corruption. « Ce qui est publié dans les procès relatifs aux différentes formes de corruption […] dénote du niveau de déliquescence morale et de la profondeur du mal fait aux institutions et explique aussi la crise de confiance de fond entre gouvernants et gouvernés », indiquait le communiqué de la présidence daté du 7 septembre.
Reste que l’adoption d’une Constitution qui inaugure la « Nouvelle Algérie » par un Parlement discrédité n’est pas forcément de nature à résorber le déficit de confiance évoqué par le président algérien.

Le Premier ministre Abdelaziz Djerrad lors d'une présentation devant l'Assemblée nationale, en février 2020. © CHINE NOUVELLE/SIPA
« Il est inconcevable de renouveler les instances élues avec des lois rejetées par le peuple », indiquait d’ailleurs le même communiqué de la présidence.
Une fois la nouvelle Constitution entrée en vigueur, le président annoncera la dissolution du Parlement
Un propos qui laisse entendre qu’une fois la nouvelle Constitution adoptée et entrée en vigueur, le président annoncera la dissolution du Parlement et la tenue d’élections législatives anticipées. C’est ce qu’a confié Abdelmajid Tebboune à des convives reçus en août au Palais d’El Mouradia.
L’organisation du referendum s’accompagne d’un cortège habituel de polémiques. D’abord sur le choix de la date du 1er novembre, dont le symbole est trop fort pour être récupéré de la sorte pour beaucoup d’Algériens.
Ce sera aussi le jour de l’inauguration par Tebboune de la Grande Mosquée d’Alger. Laquelle a coûté 1,5 milliard de dollars et demeure l’un des symboles du gaspillage des deniers publics sous l’ère Bouteflika.
Premier véritable test politique
Des appels à honorer les martyrs dans les cimetières ce 1er novembre plutôt que se rendre aux urnes circulent sur les réseaux sociaux.
La tenue d’un vote populaire dans le contexte de confinement et de restrictions des déplacements – même si des mesures d’allégement ont été prises – constitue aussi un risque politique.
Certes, il y a peu de chance de voir le texte rejeté par les électeurs, mais une abstention trop importante pourrait être interprétée comme un message anti-Tebboune.
Le referendum constitutionnel n’est donc rien de moins que le premier véritable test politique du quinquennat d’Abdelmajid Tebboune, dans un contexte de crise sanitaire et sociale et de défiance des Algériens vis-à-vis de leur classe politique.
Pendant les vingt années de règne de Bouteflika, tous les scrutins, y compris les deux referendums de septembre 1999 et septembre 2005, ont été entachés de fraudes et d’irrégularités. Pas sûr que de telles pratiques soit encore tolérées par les Algériens. Après tout, le président algérien ne promet-il pas une « Nouvelle Algérie » ?