« Des épandeurs cloués au sol, des tracteurs neufs jamais utilisés dont les moteurs ont été dérobés au profit de navires privés, des tonnes d’engrais chimiques abandonnées »… Si le Premier ministre, Sylvestre Ilunga, a fait part aux rédactions congolaises de son « étonnement » quant à l’état du site de Bukanga Lonzo, qu’il a visité le 19 août, il était déjà au courant du fiasco de ce projet mort-né, inauguré en fanfare par Joseph Kabila en 2014.
Au mois de février, déjà, le ministre de l’Agriculture s’était rendu sur le site, et un constat sans appel s’était imposé : échec total du projet. « Je suis déçu que les installations d’une telle valeur soient abandonnées dans la brousse. Je comprends la décision du Premier ministre qui m’a demandé de venir ici », avait-il déclaré.
La RDC importe chaque année pour environ 1,5 milliard de dollars de denrées alimentaires
À 220 km à l’est de Kinshasa, le parc de Bukanga Lonzo, situé à cheval sur les provinces du Kwango et du Kwilu, s’étend sur environ 80 000 hectares. Il compte six villages, quatre fermes et une population avoisinant les 4 500 habitants.
Pierre angulaire du PNIA
Pierre angulaire du Plan national d’investissement agricole (PNIA) adopté en 2013, qui devait profiter à six provinces d’ici à 2020, le parc de Bukanga Lonzo – et les quinze autres qui devaient suivre à travers le pays – était censé doper le développement de la RDC, qui importe chaque année pour environ un milliard et demi de dollars de denrées alimentaires.
Afin de sortir les populations de l’insécurité alimentaire et de faire du développement des filières agricoles et agro-industrielles l’un des principaux piliers de la croissance, le PNIA prévoyait de mettre 10 000 Congolais sur la voie de l’agriculture extensive. À l’époque, le gouvernement Matata Ponyo (2012-2016) annonçait avoir mobilisé 83 millions de dollars, dont 53 millions de dollars censés servir à la mise en production du site.
Pour sa réalisation, le gouvernement avait signé un partenariat avec la société sud-africaine Africom Commodities. L’aventure a fait long feu. En 2017, l’entreprise demandait déjà le remboursement de près de 20 millions de dollars.
Luttes politiques intestines
Selon Israel Mutala, journaliste spécialisé dans les questions économiques, plusieurs facteurs expliquent l’échec « temporaire » de ce projet. « Bukanga Lonzo, c’est huit fois la superficie de Paris. Une telle étendue nécessite un investissement massif pour développer les infrastructures. Le tarissement du financement de la première phase consacrée aux infrastructures est le premier facteur », explique t-il.
Le gouvernement manquait d’une vision politique commune
En 2016, aussitôt après le départ de Matata Ponyo de la primature, et quelques mois à peine après le lancement du projet dont la maturité devait être atteinte en dix ans, le financement s’est en effet tari. L’ancien Premier ministre le regrette d’ailleurs toujours.
Deuxième raison : l’absence, au gouvernement, d’une vision politique commune sur l’ensemble des projets.
Les règlements de comptes politiques constituent le troisième facteur, selon l’expert. Plusieurs adversaires de Matata Ponyo, issus de sa propre famille politique (PPRD, parti de Joseph Kabila), voyaient d’un mauvais œil le succès de Bukanga Longo, qui pouvait conforter sa stature de favori à la présidentielle de décembre 2018. Le projet Bukanga Lonzo a ainsi fait les frais de luttes politiques intestines dans la perspective de cette élection.
L’inspection générale des finances saisie
L’ex-Premier ministre pointe aussi la défiance émanant de certains acteurs économiques, et notamment des importateurs des produits alimentaires de base, dont le chiffre d’affaires est estimé à 2 milliards de dollars par an. « Tous ceux qui étaient des acteurs importants de ce prospère business, pensez-vous qu’ils étaient ravis de voir un tel projet s’installer ? », questionne-t-il.
Enfin, la mauvaise gestion du projet – par les acteurs publics aussi bien que privés – explique la débâcle de Bukanga Lonzo.
Tenu pour responsable de « la mauvaise gouvernance, la mauvaise planification et une mauvaise gestion du partenariat public-privé…», l’ex-Premier ministre Matata Ponyo a saisi l’Inspection générale des finances et espère une enquête sur la gestion financière du projet afin d’établir les responsabilités dans cette affaire que d’aucuns qualifient de détournement de fonds publics.