Tombouctou, début avril 2012. Les groupes armés Ansar Dine et AQMI occupent la « perle du désert » dans le nord du Mali. Le jour même de leur arrivée, le Malien Al Hassan Ag Abdoul Aziz Ag Mohamed Ag Mahmoud – dit « Al Hassan » – est aperçu dans les locaux de la banque qui deviendra rapidement le siège de la police islamique.
Al Hassan est accusé d’avoir été le commissaire de celle-ci jusqu’au départ des groupes armés de la ville, en janvier 2013. Une position qui faisait de lui « l’âme pensante et agissante » de cette police, selon la procureure de la Cour, Fatou Bensouda. Mais de nombreuses voix s’élèvent pour remettre en cause cette version, et s’inquiéter du fait que le procès d’Al Hassan est celui d’un exécutant, tandis que les plus hauts responsables n’ont pas répondu de leurs crimes présumés.
Ce mardi 8 septembre, le procès du Malien pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité reprend devant les juges de la CPI. La Cour le soupçonne d’avoir travaillé main dans la main avec le tribunal islamique de Tombouctou, d’en avoir exécuté les « jugements ». Il lui est notamment reproché d’avoir joué un rôle dans la destruction des mausolées des saints musulmans et d’avoir participé à la politique de mariages forcés, synonymes de viol et d’esclavage sexuel pour les femmes de la ville.
« C’est là le cœur de la présente affaire : le recours à la violence, la commission de crimes sur des habitants rabaissés, humiliés, violentés et, pour tout dire, soumis à une véritable persécution pour des motifs religieux et sexistes dont ils ne voyaient pas la fin et dans laquelle Al Hassan a joué un rôle central », a affirmé Fatou Bensouda lors de l’ouverture du procès, le 14 juillet dernier.
À charge désormais des juges de la Haye d’évaluer le degré de responsabilité de ce « commissaire incontournable et zélé » décrit par l’accusation.
Des responsables qui se pavanent
Depuis Bamako, le président de l’Association malienne pour la défense des droits de l’homme (AMDH), Me Moctar Mariko, observe ce qui se passe à La Haye avec circonspection. Son organisation a mené des enquêtes dans la zone de Tombouctou entre 2013 et 2014 et s’est constituée partie civile pour certaines victimes.
Il n’hésite cependant pas à évoquer ses « sentiments mitigés » face à la procédure en cours. « Le procès d’Al Hassan pourrait donner lieu à une condamnation et à des réparations, certes, mais qui ne seront pas à la hauteur des atrocités commises », redoute l’avocat.
Il en veut pour preuve la condamnation du Malien Ahmad Al Faqi Al Mahdi à 9 ans de prison, en 2016, pour la destruction de mausolées en juin et juillet 2012. « Bientôt, il va être libéré et viendra commettre les mêmes atrocités dans le nord du Mali », craint Moctar Mariko.
Le défenseur des droits de l’homme ne croit guère aux remords exprimés par Al Mahdi – « des larmes de crocodile », balaye-t-il –, ni à la capacité de la justice internationale à détruire un système de répression encore en place au Mali, où certains responsables de groupes armés continuent de se « pavaner » et de « jouir d’une totale impunité » – pour ne pas dire d’une certaine protection.
Cette critique n’est pas nouvelle : il a déjà été reproché la Cour de ne juger que ceux qui mettent en oeuvre les décisions, plutôt que ceux qui les prennent ; de condamner les exécutant tandis que les idéologues demeurent en liberté, voire continuent de nuire.
Le cas Houka Houka
« À Tombouctou, Al Hassan n’était pas le maillon fort : il ne faisait qu’exécuter les ordres du juge islamique Mohamed Ag Alhoussini, dit Houka Houka », dénonce Moctar Mariko, qui craint que le procès d’Al Hassan ne soit qu’une tentative de la CPI de collecter des informations supplémentaires sur la chaîne de commandement des groupes armés, en échange d’une réduction de peine pour l’accusé.
Souvent cité comme l’un des véritables responsables des exactions commises à Tombouctou en 2012, que fait aujourd’hui Houka Houka ? Il est directeur d’école. Autrement dit, fonctionnaire territorial malien, un poste qu’il a officiellement récupéré en septembre 2017 par l’entremise du gouverneur de Tombouctou Koina Ag Ahmadou. Il faut aussi partie de la liste des personnes sanctionnées par l’ONU pour obstruction à l’accord de paix d’Alger. Brièvement arrêté en janvier 2014, il avait été relâché quelques mois plus tard par les autorités maliennes.
Comme lui, plusieurs responsables présumés d’exactions ont été remis en liberté. Le commissaire Aliou Mahamane Touré, condamné à dix ans de prison, a été libéré en février 2019 dans le cadre d’un échange contre des soldats maliens.
Mohamed Ag Mosa, dit « Hammar Mosa » responsable du « centre d’application du convenable et de l’interdiction du blâmable », sorte de brigade des mœurs de la police islamique, est également cité parmi les responsables présumés d’exactions, sans jamais avoir été inquiété par les autorités.
Nommément cité dans plusieurs rapports du panel d’experts de l’ONU pour le Mali, Houka Houka est défini comme « le membre le plus tristement célèbre du réseau de juges islamique recrutés localement par Iyad Ag Ghali pour imposer la charia dans la région de Tombouctou ». « Il a été sanctionné car il menaçait la mise en œuvre de l’accord, au vu du rôle politique qu’il joue au profit de la Coalition du peuple de l’Azawad (CPA) », explique Aurélien Llorca, expert pour le comité de sanctions du Conseil de sécurité.
Aujourd’hui, Houka Houka passe la majeure partie de son temps à Zouera. En septembre 2019, il a aussi été vu à Bamako, où il avait assisté au lancement du mouvement de l’imam Mahmoud Dicko. Les sanctions imposées par l’ONU ont peu d’effets sur lui, estime Aurélien Llorca : « le compte bancaire sur lequel est versé son salaire d’enseignant aurait dû être gelé par les autorités maliennes, mais ces dernières n’ont toujours pas intégré le régime de sanctions onusiennes au droit national. »
Aujourd’hui, Houka Houka continue d’imposer la charia dans la zone de Zouera, mais aussi dans les localités de Goundam et de Tombouctou, comme il l’assurait lui-même à Jeune Afrique en 2019. « Mais je vous assure qu’aucun [de ses jugements] n’a abouti à une amputation ou à une exécution », précisait-il alors.
Deux membres des Kel ansar devant les juges de la CPI
Un connaisseur de la zone décrit un personnage jouissant d’une certaine aura : « Tout le monde a peur de lui dans la région. C’est un personnage respecté. On fait appel à lui comme juge car il garantit l’exécution des peines et que, derrière, il y a Al-Qaeda. C’est un homme avec un certain pouvoir, qui a gardé des éléments armés à ses côtés et a reconstitué une mini-police islamique autour de lui. »
« Bien qu’il ne soit pas issu d’une lignée de cadis et qu’il n’ait commencé à remplir cette fonction qu’à partir de 2012, Houka Houka est parvenu à asseoir son autorité et à maintenir la sécurité publique dans certaines zones en s’appuyant sur des agents d’Al-Furqan (une brigade d’Al-Quaeda, ndlr) et sur la peur que cette organisation terroriste fait régner dans la région de Tombouctou en se livrant à des attentats sophistiqués contre les forces de défense et de sécurité internationales et maliennes et à des assassinats ciblés », écrivait ainsi le Conseil de sécurité de l’ONU en juillet 2019.
« Je suis une victime », répondait-il à ces accusations. Quant aux procès de ses compatriotes devant la CPI, il déclarait ceci : « Al Hassan jouait le rôle de la police islamique et il a fait ce qu’un policier doit faire. Ces deux hommes sont effectivement de ma tribu, et cela me fait mal de les voir traînés devant les tribunaux internationaux. »
« C’est un reproche que l’on entend beaucoup de la part des Kel Ansar, ajoute la source diplomatique citée précédemment. Ils disent qu’ils ont joué un rôle accessoire pendant le règne d’AQMI, alors que d’autres tribus ont eu des rôles plus actifs. Et pourtant, les deux seuls Maliens jugés par la CPI sont des Kel Ansar. »
Al Mahdi, qui avait été le premier accusé de la CPI a plaider coupable, avait demandé pardon à ses victimes et s’était présenté comme un homme « égaré ». En sera-t-il de même pour Al Hassan, à l’issue de son procès ?
Le 14 juillet dernier, Fatou Bensouda assurait disposer des preuves du « règne de terreur » établi par Ansar Dine et AQMI, et du rôle clé qui avait été joué par Al Hassan, « de son plein gré ». « Il reviendra à votre Cour de poser que des individus comme Al Hassan ne peuvent pas rejoindre des groupes armés et imposer par les armes et la violence à toute une population des préceptes et interdits, sous prétexte de mettre en œuvre leur vision idéologique et religieuse. Cela vaut quels que soient les idées, les principes ou la religion qu’on prétend suivre », avait alors assuré la procureure.