Il est près d’une heure du matin quand le rideau tombe sur une journée marathon ; des 201 députés présents, 134 élus – alors que le minima est fixé à 109 voix – ont accordé leur confiance à Hichem Mechichi et 67 ont exprimé leur refus. Ministre de l’Intérieur sortant et nouveau Chef du gouvernement, il a désormais la certitude d’avoir, au moins dans un premier temps, les coudées franches et un appui auprès de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP). Une première sous cette législature où les gouvernements ont tenté d’évoluer avec le soutien de Carthage.
Pour Mechichi, rien n’était gagné. Il a pris la parole au perchoir pour présenter son projet, son intervention ayant été précédée par les rumeurs les plus folles, certaines avérées. Après avoir été désigné par le président Kaïs Saied, dont il a été l’un des conseillers à Carthage, Mechichi a subi un revirement dû aux intrigues du Palais. Retour sur les péripéties qui ont accompagné la naissance de ce gouvernement.
À la dernière minute, le 24 août, avant l’annonce de la composition du gouvernement le cabinet présidentiel impose certains ministres dont celui de la Culture, Walid Zidi, et Taoufik Charfeddine à l’Intérieur. De quoi alimenter une crise entre Carthage et le candidat à la Kasbah.
Incroyable imbroglio au sommet de l’État
À tel point que Kaïs Saïed examine alors toutes les possibilités pour contourner la Constitution et substituer Mechichi. En dernier recours, il réunit d’urgence les groupes parlementaires, à l’exclusion habituelle de Qalb Tounes, du Parti destourien libre (PDL) et de la coalition El Karama, avec lesquels il refuse de discuter, et propose aux députés de maintenir l’équipe gouvernementale d’Elyès Fakhfakh en écartant ce dernier, impliqué dans une affaire de conflit d’intérêts.
En contrepartie il laisse entendre qu’il s’engage à ne pas dissoudre l’Assemblée comme le lui permet la Constitution en cas de rejet du gouvernement Mechichi. Finalement Kaïs Saïed demande aux partis politiques de ne pas accorder leur confiance à un chef du gouvernement qu’il avait lui-même désigné ! Un incroyable imbroglio au sommet de l’État qui confirme les positions ambiguës du Palais.
La confusion règne aussi chez les députés, « Le président de la République n’a demandé à personne de voter pour ou contre le gouvernement de Mechichi », commente Haykel Mekki, député du Mouvement Echâab tandis que Mustapha Ben Ahmed de Tahya Tounes assure le contraire.
Ni cris, ni insultes
Étrangement la plénière, qui tourne fréquemment à la foire d’empoigne s’est déroulée de la manière la plus calme qui soit. Ni cris, ni insultes : chaque député a eu quatre minutes pour exposer ces questions. Elles ont parfois été hors sujet, sans rapport avec le programme proposé par Mechichi mais ont surtout montré une certaine cohésion entre les formations parlementaires qui ne se sont pas privées de tacler les intrigues du palais.
L’hémicycle connaissait déjà les priorités de l’exécutif ; elles sont les mêmes que celles du précédent à savoir : assainissement des finances publiques, relance de l’investissement, élargissement de l’assiette fiscale, amélioration du climat des affaires, réforme de la fonction publique et lutte contre la pauvreté.
Un programme auquel tous ne peuvent qu’adhérer mais cette fois Mechichi propose une sorte de contrat de confiance et affirme vouloir travailler de concert avec l’ARP quitte à apporter des ajustements à son équipe. Celui qui souligne que tous doivent assumer ensemble les décisions difficiles assure aussi que les divergences doivent unir plutôt que diviser. Il rassure aussi bien l’Assemblée que les institutions de l’État malgré les réformes annoncées.
Le retour du Parlement
Hichem Mechichi remporte la main ; les propos que tiendra Kaïs Saied à l’occasion de la prestation de serment du nouvel exécutif à Carthage, seront longuement et minutieusement décryptés. Montrera-t-il de la rancune, est-il conscient que l’Assemblée mène à nouveau le jeu ?
C’est le Parlement, et lui seul, qui détient le droit de nommer ou pas un chef de gouvernement
C’est ce qu’affirme en tout cas Rached Ghannouchi, président de l’Assemblée et leader d’Ennahdha : « C’est ici que s’exerce le pouvoir ; C’est le Parlement, et lui seul, qui détient le droit de nommer ou pas un chef de gouvernement », a-t-il rappelé en clôture de séance.
Les frictions entre Parlement et Présidence ne sont pas remisées mais il serait prématuré pour les élus de crier victoire. Le gouvernement compte composer avec le parlement mais la Constitution permet à Kaïs Saïed d’exprimer sa politique par d’autres moyens notamment en présidant le Conseil des ministres et en refusant d’entériner des nominations de ministres. Cela lui est d’autant plus facile que faute de Cour constitutionnelle, il fait sa propre interprétation de la Constitution.
Hichem Mechichi a contourné plusieurs écueils. En se démarquant de Carthage, il s’impose comme Chef du gouvernement et non seulement comme le premier des ministres de Kaïs Saïed.