Les manifestations hostiles à Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) l’ont propulsé sur le devant de la scène et, en quelques semaines, Choguel Maïga est devenu l’une des figures du Mouvement du 5 juin- Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP). Aujourd’hui, le leader du Front pour la sauvegarde de la démocratie (FSD), par ailleurs ancien ministre de l’Économie numérique, se veut l’un des interlocuteurs privilégiés du Comité national pour le salut du peuple (CNSP), né au soir du 18 août.
Le 29 août, il a fait partie de la délégation d’une dizaine de personnes qui, représentant le M5-RFP, s’est entretenue avec les responsables de la junte dans l’enceinte du Prytanée militaire de Kati, non loin de Bamako. Une rencontre destinée à apaiser les tensions alors que, quelques heures plus tôt, des divergences étaient apparues entre civils et militaires sur l’organisation des discussions concernant la transition.
Cela n’empêche pas Chogel Maïga de continuer à penser que le M5-RFP et le CNSP « sont les deux acteurs clés de la transition pour la mise sur pied d’un nouveau Mali ». Il s’en explique à Jeune Afrique.
Jeune Afrique : Une délégation du M5-RFP s’est entretenue avec le CNSP le 29 août pour dissiper d’éventuels malentendus, mais une première rencontre avait déjà eu lieu le 26 août. Quels sujets aviez-vous abordés ?
Choguel Maïga : Nous avons acté ensemble le fait que nos organisations étaient les deux acteurs clés du changement, le CNSP ayant en quelque sorte parachevé la lutte du peuple malien qui était portée par le M5-RFP. Le CNSP nous a fait savoir qu’il considérait que le M5-RFP était son socle populaire et qu’il partageait nos préoccupations, même si nous n’avions jamais eu de contact avant le 18 août.
Les militaires nous ont également expliqué la teneur des discussions qu’ils ont eues avec la Cedeao. Ils nous ont bien dit que toutes les caractéristiques de la transition seraient définies avec l’ensemble des forces vives et qu’ils souhaitent un processus participatif, de sorte que tout le monde, y compris l’ancien régime, se l’approprie.
Maintenant, il est important que nous échangions sur ce que doit être la transition : sa durée, son format et ses autres caractéristiques. De tout cela, nous discuterons. Pour notre part, nous avons apprécié que le changement de régime se soit opéré en douceur, sans violence. Cela nous laisse à penser que le duo que nous formons est sur la bonne voie.
Les militaires ont dit qu’il y aurait une transition politique civile, et c’est ce que nous retenons »
Quelles réformes doivent être menées avant que de nouvelles élections soient organisées ?
La transition va devoir écrire une Constitution conforme à nos traditions et à notre culture, alors que plusieurs pays d’Afrique francophone ont aujourd’hui encore une loi fondamentale calquée sur celle de la France. Nous devons également revoir le processus électoral afin que les résultats soient vraiment l’expression de la volonté populaire et que, lorsque le peuple ne veut plus de son président, il puisse le renvoyer.
Et puis il y a plusieurs dossiers importants sur lesquels la transition va devoir plancher : la réforme de notre système de défense et de sécurité, la lutte contre la corruption, l’organisation des contre-pouvoirs, de manière à ce qu’il ne puisse y avoir de chef tout-puissant…
Derrière tout cela, il y a l’idée que nous devons comprendre pourquoi la démocratie malienne a viré au cauchemar et en tirer les leçons.
Seriez-vous favorable à une transition dirigée par un militaire, comme le CNSP l’a proposé à la Cedeao ?
Lors de sa première déclaration, le CNSP a évoqué une transition politique civile et c’est ce que nous retenons.
Combien de temps doit durer la transition ?
Le temps qu’il faut. Il faut laisser les Maliens décider de manière souveraine. Les militaires ne pourront de toute façon pas s’imposer à eux. La ferveur est telle qu’aujourd’hui, personne ne peut s’imposer au peuple.
J’ajoute que la communauté internationale doit accompagner notre pays au lieu de nous imposer des avis d’experts qui ne connaissent pas la réalité du pays et la mentalité des Maliens. Notre peuple est réfractaire à la suggestion. D’ailleurs, depuis que l’opinion publique a eu le sentiment qu’Ibrahim Boubacar Keïta était soutenu par l’extérieur, il lui est apparu comme un président fantoche. Son maintien envers et contre tout n’aurait fait que confirmer le fait qu’il était au service de l’étranger.
Que pensez-vous des sanctions de la Cedeao ?
Si nous devions appliquer les protocoles de la Cedeao sur la bonne gouvernance, c’est l’ancien régime qui aurait dû être sanctionné.
Toutes les mesures que la Cedeao a prises sont illégales. La première irrégularité est qu’elles ont été annoncées par un communiqué du président de la commission de la Cedeao, alors même que seule la conférence des chefs d’État peut le faire. Par ailleurs, selon les protocoles additionnels de la Communauté, un pays en crise ne peut être sanctionné.
Enfin, je ne sais pas ce que la BCEAO et l’Uemoa viennent faire dans les décisions de la Cedeao. Étrangler le pays financièrement, c’est faire le jeu des terroristes en poussant dans leurs rangs les populations les plus vulnérables, celles dont la survie est en jeu.
N’avez-vous pas l’impression, manifestation après manifestation, d’avoir participé à l’effondrement de l’État ?
On ne pouvait pas sauver IBK. Dans les faits, il ne dirigeait déjà plus le pays. Une oligarchie s’était installée, au sein de laquelle se trouvaient des membres de sa famille. Ils étaient dans la haute administration, la justice et l’armée.
Cette oligarchie décidait de tout, en dehors de toute loi, de toute réglementation et en dehors de tout cadre constitutionnel. L’État n’était qu’une façade, laquée du beau vernis de la propagande du régime avec le soutien de la communauté internationale.
Nous avons dit au CNSP que la libération de Soumaïla Cissé devait figurer parmi les priorités »
Ces dernières semaines, la Cedeao nous disait qu’IBK était un président élu et qu’il devait aller au terme de son mandat. Mais la démocratie ne se résume pas au formalisme électoral : quand un président est élu, c’est comme si le peuple lui donnait un permis pour conduire sa destinée, un peu à la manière d’un permis de conduire. Mais si cette personne passe son temps à provoquer des accidents, à tomber dans les caniveaux et à causer des morts, il convient de lui retirer ce permis.
Où en sont les enquêtes sur la mort de plusieurs manifestants lors des manifestations des 10 et 11 juillet ?
Nous n’avons pas été informés de l’ouverture d’une enquête. Mais nous avons des idées sur l’identité des responsables, car nous avons des vidéos. L’une des priorités du nouveau gouvernement sera de mettre en place une commission d’enquête sur cette affaire.
Qui s’occupe désormais des négociations pour la libération de Soumaïla Cissé, le chef de l’opposition malienne enlevé en mars dernier ?
Sa libération fait partie des principales revendications du M5-RFP. Lorsque nous avons rencontré les membres du CNSP, nous leur avons dit qu’elle devait figurer parmi les priorités. Les militaires nous ont donné l’assurance que cela faisait également partie de leurs préoccupations.
Pour ramener la paix sur l’ensemble du territoire malien, faudrait-il selon vous un nouveau dialogue national ?
Le précédent dialogue n’en était pas un. C’était une formalité destinée à donner une légitimité au pouvoir. Mais 95 % des personnes qui y ont participé avaient été désignées par l’administration. L’opposition, la vraie, n’y a pas pris part. Aujourd’hui, nous devons faire une sorte de conférence nationale. Tous les Maliens doivent pouvoir comprendre et s’approprier ce qui va sortir de cette transition.