Politique

RDC : sur les réseaux sociaux, la guérilla des militants « ultras »

Propagande, fake news, insultes… Les militants « ultras » de la scène politique congolaise se livrent une cyberguerre sans merci sur les réseaux sociaux. Pro-Tshisekedi, Honoré Mvula serait, selon Facebook, à la manœuvre dans une vaste opération de manipulation.

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Mis à jour le 2 septembre 2020 à 16:42

© Damien Glez

Pas un seul réseau social ne leur échappe, quelle que soit l’heure du jour ou de la nuit. Twitter, Facebook, WhatsApp… Sans relâche, au nom du soutien à l’un ou à l’autre des partis qui composent la complexe et mouvante scène politique congolaise, ils multiplient les messages de propagande, n’hésitant pas à relayer les fake news, ni à recourir à l’insulte. Qui sont ces cybermilitants « ultras » ? Comment s’organisent-ils ? Quels sont leurs modes opératoires ?

Véritables « brigades » engagées dans une guérilla politique numérique qui ne connaît aucun temps mort, il y a d’abord les « Talibans », les militants « ultras » de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), le parti de Félix Thsisekedi. Ceux de l’Union pour la nation congolaise (UNC) de Vital Kamerhe sont surnommés les « Nord-Coréens ». Tandis que les militants des différentes composantes de la coalition de l’opposition Lamuka sont désignés sous le nom de « Pangistants ».

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Quant aux soutiens affichés de Moïse Katumbi, ils étaient affublés du sobriquet de « Daech »… Des noms guerriers et menaçants, qui ne sont pas sans faire écho à ceux des « Kuluna », ces gangs de jeunes laissés pour compte qui sèment la terreur dans les rues de Kinshasa.

La « chute » d’Honoré Mvula

Seuls à échapper aux surnoms de ce type, les internautes qui affichent leur soutien au Front commun pour le Congo, de l’ancien président Joseph Kabila. Bien qu’ils soient eux aussi très actifs sur les réseaux sociaux, ces derniers semblent avoir choisi de se tenir à une distance relative des principaux clash.

Et ils sont nombreux. L’arrestation puis la condamnation de Vital Kamerhe, le directeur de cabinet du président Félix Tshisekedi reconnu coupable du détournement de plus de 50 millions de dollars dans le procès dit des 100 jours, a ainsi donné lieu à de très violents affrontements par claviers interposés entre « Talibans » et « Nord-Coréens ».

La « chute » d’Honoré Mvula, homme politique pro-Tshisekedi épinglé au début d’août par Facebook, a jeté une lumière crue sur les méthodes de ces cyber-militants radicaux. Accusé par Facebook d’être à la manœuvre dans une vaste opération de manipulation, entre création de faux comptes et diffusion de fausses nouvelles, Honoré Mvula aurait, selon le géant américain, mis en place un système qui donne un aperçu des techniques employées par ces adeptes de l’activisme numérique.

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Le 6 août, le géant américain a annoncé avoir supprimé pas moins de 66 comptes, 63 pages et 5 groupes sur Facebook, ainsi que 25 comptes sur Instagram, tous liés plus ou moins directement à Honoré Mvula et à son parti, la Force des patriotes (FP). « Nous nous efforçons de mettre fin à deux types d’activités : les comportements inauthentiques coordonnés dans le cadre de campagnes nationales non gouvernementales et les comportements inauthentiques coordonnés au nom d’un acteur étranger ou gouvernemental », explique le groupe américain pour justifier sa décision de supprimer ces comptes.

1,5 million de « J’aime »

Selon une enquête du Digital Forensic Research Lab (DFR Lab), un organe dépendant de l’Atlantic Council, think tank américain spécialisé dans les relations internationales, certains des faux comptes ont d’abord été créés sous des noms de politiciens de renom, de stars ou encore de médias. Pour attirer le chaland, les animateurs de ces pages publiaient des articles ou commentaires – souvent des fake news destinées à créer le buzz – avant de démarrer la phase de propagande politique proprement dite. Le DFR Lab cite notamment le cas d’une page qui, créée en 2016 sous le nom de « Samy Badibanga Ntita », a changé quatre fois de nom avant de s’intituler, en mars 2019, « Honoré Mvula ».

Une stratégie payante : au total, selon le DFR Lab, ces pages enregistraient près de 1,5 million de « J’aime » sur Facebook. Lorsque celles-ci et les comptes étaient dotés de suffisamment d’« amis » intervenait le changement de nom et de « ligne éditoriale », avec un objectif : promouvoir les positions d’Honoré Mvula et de son parti.

Ancien membre du Mouvement de libération du Congo (MLC, de  Jean-Pierre Bemba), devenu un fervent partisan de Félix Tshisekedi, Honoré Mvula, qui s’affiche régulièrement aux côtés de Denise Nyakeru Tshisekedi, l’épouse du président congolais, a fondé le FP en 2019. Il a réagi aux accusations de Facebook en se disant « victime d’une cabale montée de toutes pièces pour salir [sa] réputation ».

Au lendemain de la suppression de sa page, au début d’août, le leader des Forces patriotiques assurait que celle-ci avait été créée par une « journaliste indépendante, [une] influenceuse », et que la gestion en avait ensuite été confiée à deux administrateurs. La page est ensuite « pourtant restée liée aux comptes de l’administrateur principal sans le savoir », affirmait-il alors.

Un « travail » rémunéré

Le cas d’Honoré Mvula est loin d’être isolé. Et, sans surprise, la majeure partie de ces activistes est encartée dans les formations politiques dont ils défendent la ligne. Certains comptes sont en outre animés en sous-main par des conseillers ou par des membres de cabinets ministériels. Certains sont même rémunérés pour ce « travail » militant, qui s’inscrit dans un système très organisé, dont la stratégie se définit parfois au plus haut niveau.

« Chacun reçoit des orientations pour défendre son leader », confie ainsi à Jeune Afrique le secrétaire général de l’un des partis qui composent Cap pour le changement, la coalition pro-Tshisekedi. « Ceux qui sont à l’étranger sont également pris en charge, et “organisés” eux-aussi », continue ce cacique de la majorité présidentielle.

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Du côté de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), la ligne est claire : « Il faut promouvoir et protéger l’image du président, montrer un chef d’État qui est au travail, mais qui est aussi au combat, contre la corruption et les “antivaleurs”», expose un « Taliban » revendiqué. Vital Kamerhe est l’une de leurs cibles favorites.

En face, du côté des « Nord-Coréens », la posture est forcément plus défensive. « Notre but, c’est de tout faire pour prendre la défense de notre président, injustement accusé et condamné », résume un « kamerhiste » convaincu.

Une fracture similaire traverse également la coalition Lamuka, où ceux qui soutiennent Moïse Katumbi mettent en avant « l’homme providentiel », jouant la carte du recours et de l’alternative dans la perspective de 2023, quand, du côté des partisans de Martin Fayulu, la ligne est restée quasi inchangée depuis l’élection. « Pour nous, c’est toujours lui, le président élu, face à un Félix Tshisekedi qui a triché », revendique un « Pangistant ».

Sur la Toile, la guerre des trolls numériques fait donc écho à celle que se livre les états-majors des différents partis, en particulier au sein des coalitions supposées unies, où les alliances de circonstance n’empêche pas dissensions, batailles d’ego et de pouvoir.