Pour pénétrer la luxueuse demeure de l’ancien ministre de la Justice, Kassoum Tapo, dans le quartier de Titibougou à Bamako, il faut montrer patte blanche. Une fois le portail franchi, le gardien vous toise avec suspicion, la main droite disparaissant derrière le veston durant toute la séquence qui permettra l’identification du visiteur. Des mesures de sécurité accrues et une tension palpable depuis le pillage du domicile de l’ex-garde des Sceaux, survenu le 18 août dernier, jour du coup d’État qui a mis fin à la présidence d’Ibrahim Boubacar Keïta (IBK).
De l’autre côté du portail règne une ambiance d’après-guerre, à l’extérieur comme à l’intérieur de cette massive maison blanche qui n’a pas tout perdu de sa superbe, même après avoir subi, l’espace de quelques heures, les outrages d’une foule en colère.
Il est environ 15h30 ce jour-là quand le garde du corps de Kassoum Tapo est averti que les six membres de la Garde républicaine assurant la sécurité de la résidence sont rappelés et doivent rejoindre leur camp. Depuis la début de la matinée, les rumeurs vont bon train : une mutinerie militaire a éclaté à Kati et plusieurs arrestations ont visé des hommes politiques et des généraux. Pour sa propre sécurité, Kassoum Tapo a d’ailleurs annulé la réunion de travail qu’il devait avoir au ministère des Affaires étrangères.
Horde de pillards
Vers 16h30 tout s’accélère. IBK est arrêté chez lui, dans le quartier de Sébénikoro, avec son Premier ministre, Boubou Cissé. Une foule compacte s’est massée à l’extérieur de la demeure présidentielle. Alors que des gardes armés et encagoulés empêchent toute intrusion, des centaines de personnes s’en prennent au même moment à une résidence de standing, louée à des VIP de passage à Bamako, et appartenant à Karim Keïta – les locataires, alertés, ont pris la fuite. Non loin de là, la maison du second fils du président, Bouba Keïta, est elle aussi visée.
Selon des témoins, il est environ 16h30 lorsque deux pick-up des forces de sécurité se garent devant le portail de la splendide villa de Kassoum Tapo. À leur bord, une patrouille mixte composée de policiers, gendarmes et militaires. Ils sortent des véhicules, tirent des coups de feu en l’air, puis pénètrent dans la propriété de l’ex-ministre.

La maison pillée de l'ancien ministre malien de la Justice, Kassoum Tapo, en août 2020, à Bamako. © Olivier Dubois pour JA
« Ils ont cassé les portes et sont entrés chez moi. Les gens les ont vu sortir avec beaucoup de choses. En partant, ils ont appelé les badauds et leur ont dit de rentrer », affirme Kassoum Tapo à Jeune Afrique.
La foule grossit rapidement, des gens appelés par d’autres accourent des quartiers limitrophes. Des voisins se joignent aux pillards. « Comme ils avaient appris que mon immeuble de Bamako Coura avait été détruit et pillé, ils s’en sont donné à cœur joie », confie l’ex-ministre depuis son jardin désormais défiguré.
Les stigmates de la razzia sont partout visibles. « Ils ont emporté tous les meubles que j’avais dans les salons et la salle à manger : tables, chaises, frigos, congélateurs, télés, les composants du groupe électrogène… Ils sont même montés sur le toit pour prendre les moteurs de la climatisation ! », poursuit Kassoum Tapo.

Dans la maison pillée de l'ancien ministre malien de la Justice, Kassoum Tapo, en août 2020, à Bamako. © Olivier Dubois pour JA.
Selon des témoins, des minibus sotramas et des tricycles ont été utilisés jusqu’à tard dans la nuit pour charger tout ce que les pillards emportaient dans un étrange chaos. La mise à sac prendra fin avec l’intervention de la Force spéciale antiterroriste (Forsat) qui, selon un membre du personnel de la maison, a dispersé les pillards à coup de fumigènes.
Foule hostile envers l’ancien régime
Pour Kassoum Tapo, il ne fait aucun doute que ces actions étaient ciblées, et que certains leaders du M5-RFP ont chauffé à blanc une foule déjà très hostile envers les membres du gouvernement. « J’ai été pris pour cible en tant que ministre de la Justice, c’est tout ! J’avais dit que ceux qui casseraient seraient arrêtés, et certains l’ont été puis ont été jugés. J’ai simplement essayé de faire respecter la loi, mais des leaders du M5 n’ont cessé de m’attaquer depuis que j’ai été nommé », dénonce l’ancien ministre.

La maison pillée de l'ancien ministre malien de la Justice, Kassoum Tapo, en août 2020, à Bamako. © Olivier Dubois pour JA.
À Bamako, depuis le coup d’État du 18 août, ceux qui soutiennent encore le président IBK se font discrets. Par peur d’être visés non pas par la junte militaire, mais par la jeunesse du M5-RFP, soupçonnée de vouloir étouffer tout mouvement de soutien à l’ex-président. Pourtant, samedi 22 août dans la matinée, ils étaient plus d’une centaine à se rassembler sur l’esplanade de la bourse du travail aux cris d’ « IBK président » pour exprimer leur refus du coup d’État.
« Ne pas tomber dans le piège d’une chasse aux sorcières »
« Il y avait de nombreux jeunes en face de nous. La veille, ils avaient fait des vidéos disant qu’ils allaient venir nous empêcher de nous exprimer. Ils nous ont caillassé, déplore Ibrahima Taméga, porte-parole de la jeunesse de la Convergence des Forces Républicaines (CFR) et ardent soutien d’IBK. Les forces de l’ordre étaient là et auraient du s’interposer, mais à la place elles nous ont gazé. »
Ibrahima Taméga est convaincu qu’une majorité de Maliens soutient encore l’ancien président. Avant le coup d’État, assure-t-il, les partisans d’IBK souhaitaient organiser de grandes manifestations pour faire la preuve de leur capacité de mobilisation, mais à l’en croire, le chef de l’État s’y était opposé : « IBK nous a toujours dit qu’il préférait privilégier le dialogue et qu’il ne souhaitait pas voir deux parties du peuple malien s’affronter. C’est pour cela que nous ne sommes pas descendus en force dans la rue. »
Dans ce climat trouble, des partisans de l’ancien chef de l’État craignent que leur soutien ne fasse d’eux des cibles du mouvement contestataire. Ibrahima Taméga se veut malgré tout optimiste : « il y a toujours des voyous qui profitent de la situation pour se livrer a des actes de ce genre, ils sont souvent manipulés par des hommes politiques. Nous comptons sur l’intelligence des putschistes et nous espérons qu’ils seront capables de mettre le Mali au-dessus de tout cela. Je suis triste que les Maliens, au XXIème siècle, applaudissent encore des coups d’État, qui ne sont rien d’autre que des régressions démocratiques. On ne doit pas tomber dans le piège d’une chasse aux sorcières. »