Depuis qu’il est apparu sur les écrans de l’ORTM, dans la nuit du 18 au 19 août, il est devenu l’un des visages médiatiques de la junte militaire qui a poussé le président Ibrahim Boubacar Keïta à la démission et pris le pouvoir au Mali. Le colonel-major Ismaël Wagué, porte-parole du Comité national pour le salut du peuple (CNSP), bénéficie d’une solide réputation au sein de l’armée malienne. Et si tous les regards se tournent désormais vers le lieutenant-colonel Assimi Goïta qui, à 37 ans, est devenu le nouvel homme fort de Bamako en prenant la présidence du CNSP, Ismaël Wagué, qui était jusqu’ici chef d’état-major adjoint de l’armée de l’air, occupe une place centrale dans le dispositif des putschistes.
Mais ne prononcez pas le terme de « coup d’État » devant lui… Jeudi soir, au terme d’une longue journée qui aura notamment vu les chefs d’État de la Cedeao accentuer la pression sur les militaires, l’officier a accordé un entretien à Jeune Afrique. Il assure que « l’ordre constitutionnel n’a pas été rompu » et que l’objectif de la junte est de mettre en place « une vraie démocratie, au service du peuple malien ». Il s’abstient cependant de donner un calendrier précis, tant concernant la remise du pouvoir aux civils que les futures élections.
Jeune Afrique : La Cedeao s’est réunie jeudi 20 août par visioconférence. Elle a demandé un rétablissement de l’ordre constitutionnel et a prononcé des sanctions contre le Mali. Que répondez-vous ?
Ismaël Wagué : Que c’est malheureux, parce que s’il y a des sanctions, elles sont contre le peuple malien, au nom duquel nous sommes là aujourd’hui. L’ordre constitutionnel n’a pas été rompu, même si nous sommes dans une situation d’exception. Nous sommes en train de voir si ces sanctions sont juridiquement valables au regard du droit régional et international.
Comment se portent Ibrahim Boubacar Keïta (IBK), ainsi que les membres de son gouvernement et les officiers qui ont été mis aux arrêts ?
Ils vont très bien. IBK et tous les autres n’ont pas été arrêtés et ils ne sont pas détenus. Ils ont été placés en sécurité. Dans ce genre de situation, certaines personnalités peuvent se trouver en insécurité. La preuve : certains ont essayé d’attaquer le domicile de IBK alors même qu’il ne s’y trouvait plus. Au moment opportun et en fonction de la situation sécuritaire, ils seront de nouveau libres de leurs mouvements.
Est-il vrai que des négociations ont été entamées pour un départ en exil du président IBK ?
Il y a beaucoup de choses qui se disent, mais tout ce que je peux vous confirmer pour le moment, c’est qu’ils sont en sécurité.
Combien de temps va durer la transition ?
À ce stade, il est difficile d’en déterminer la durée. Nous avons déjà commencé à prendre contact avec toutes les forces vives de la nation et, avec elles, nous allons définir les chantiers qui seront réalisés pendant cette période de transition. C’est à partir de ce moment-là que nous pourrons fixer la durée de la transition. L’objectif est une vraie démocratie, au service du peuple malien. C’est un vaste chantier, que nous souhaitons mener dans les délais les plus brefs possibles, pour organiser les élections générales.

Le colonel-major Ismaël Wagué, porte-parole du CNSP, le 20 août 2020 au camp de Kati, à Bamako. © /AP/SIPA
Un président de la transition sera désigné de façon collégiale
Qui va diriger la transition et quel sera le rôle du CNSP ?
À ce sujet, nous sommes très clairs : nous avons dit que nous voulions une transition politique civile. C’est pour cela que nous avons parlé d’un comité national et non d’un comité militaire. Un président de la transition sera désigné de façon collégiale, après des discussions avec les forces vives de la nation.
Les personnalités qui composaient jusqu’à présent la majorité présidentielle pourront-elles faire partie de cette transition ?
Pour nous, il n’y a ni majorité ni opposition. Nous sommes ouvert à tout le monde, y compris aux groupes signataires de l’accord de paix. Chacun a sa place pour reconstruire le Mali.
Le CNSP a, ce jeudi 20 août, eu une série de rencontres avec des membres de la classe politique. De quoi avez-vous parlé ?
Nous leur avons dit ce que nous attendions d’eux et eux nous ont dit ce qu’ils attendent de nous. C’était très constructif. Ils ont posé beaucoup des questions, auxquelles nous répondrons lors d’une prochaine rencontre.
Certains ont demandé la libération d’IBK, d’autres celle de Soumaila Cissé [le chef de file de l’opposition détenu par des groupes jihadistes depuis le mois de mars]. Certains nous ont conseillé d’éviter d’être isolé régionalement, ce qui fait partie de nos priorités.
Quels sont vos liens avec le Mouvement du 5 juin-Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP) ?
Nous n’avons aucun lien avec le M5-RFP. En revanche, ses revendications nous paraissent légitimes et nous nous reconnaissons dans leurs revendications.
Pourquoi avoir émis, ce 20 août, une note pour demander aux gens d’arrêter de vous apporter l’argent ?
Nous sommes là pour faire un travail d’État et, pour cela, nous allons utiliser les moyens légaux de l’État, en toute transparence. Les gens doivent comprendre qu’ils n’ont pas besoin de nous donner de l’argent parce que cela pourrait porter préjudice à notre neutralité. Nous voulons regarder tous les Maliens de la même manière.

Des manifestants saluent le passage un convoi de militaires à Bamako, le 19 août 2020, au lendemain de la démission d'IBK. © /AP/SIPA
Le président a démissionné en toute responsabilité, après une analyse de la situation
Ce coup d’État a-t-il été mûri à l’avance et planifié ?
Je ne suis pas d’accord avec l’utilisation du terme « coup d’État ». Cela sous-entend qu’il y a eu interruption de l’ordre constitutionnel alors que ça n’est pas le cas. L’ordre constitutionnel est en vigueur, car la Constitution est toujours en vigueur.
Le président a dissous l’Assemblée nationale et son gouvernement avant de démissionner – cela relevait de ses prérogatives. Le président a démissionné en toute responsabilité, après une analyse de la situation. Quant à nous, nous avons commencé un travail que nous voulons mener avec tous les Maliens. Nous devons revoir notre démocratie, pour qu’elle réponde aux attentes du peuple et que, plus jamais, on ne se retrouve dans des situations exceptionnelles de ce genre.
En 2012, le putsch avait facilité la progression des groupes armés et des jihadistes. Ne craignez-vous pas que l’histoire se répète ?
Ces dernières 48 heures, il n’y a pas eu d’augmentation du nombre des attaques, mais il est possible que certains profitent de la situation. C’est pourquoi les opérations militaires continuent sur le terrain. Il a été demandé à toutes les unités opérationnelles de rester sereines et confiantes et de continuer à faire leur travail.
Nous allons faire de notre mieux pour renforcer leurs capacités opérationnelles. Ceux qui sont sur le terrain font un travail difficile et nous sommes des éléments du terrain : certains, parmi nous, étaient commandants de secteur, d’autres chefs d’unités.
Nous connaissons les difficultés que rencontrent nos hommes et ils nous font confiance. Nous devons les soutenir et nous demandons aux partenaires du Mali, dont [les Français de l’opération ] Barkhane, de continuer à nous appuyer.
Mais le président Emmanuel Macron a demandé à ce que le pouvoir “soit rendu aux civils” et le rétablissement de l’ordre constitutionnel. Que se passera-t-il s’il ne reconnaît pas la transition ?
La France et le Mali sont des partenaires de longue date et nous avons toujours travaillé avec Barkhane, avec la force conjointe du G5 Sahel et avec la force Takuba [petite coalition de forces spéciales créée par Paris]. Cela nous laisse penser que, CNSP ou pas, il y aura toujours cette coordination d’appui militaire entre nos deux pays.