Au Mali, à la crise politique en cours s’ajoute un risque d’asphyxie financière. Selon nos informations, la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) a ordonné la fermeture de ses trois agences dans le pays, à Bamako, Mopti et Sikasso, en application de ses dispositions statutaires en cas de rupture de l’ordre constitutionnel. La mesure intervient après le coup d’État mené par des militaires le 18 août, qui a conduit à la démission du président malien, Ibrahim Boubacar Keïta (IBK).
Vers un rationnement des retraits
Le jour même, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), condamnant le coup de force militaire, avait décidé de « la fermeture de toutes les frontières terrestres et aériennes ainsi que de l’arrêt de tous les flux et transactions économiques, commerciales et financières entre les pays membres et le Mali », invitant « tous les partenaires à faire de même ».
« C’est une contrainte majeure en termes de refinancement tant au niveau local que sous-régional puisque que nous nous refinançons auprès de la Banque centrale. Tous les tuyaux sont fermés. Nous fonctionnons pour le moment sur les encaisses et les nouveaux dépôts. Mais si cela persiste, à terme, c’est l’asphyxie pour les banques et, par là, pour l’ensemble de l’économie », a réagi le patron d’une des cinq premières banques du Mali interrogé par Jeune Afrique.
Dans ce contexte et alors que s’ouvre la période de retrait des salaires, notamment pour les fonctionnaires et les militaires, les établissements bancaires vont devoir avancer ces sommes en attendant la réouverture des agences de la Banque centrale, compliquant la tenue de leur bilan.
« Au rythme actuel, nous avons de quoi tenir une semaine en termes de retraits, mais un rationnement de ces derniers est attendu », a ajouté le responsable de l’établissement bancaire.
Tous les flux financiers avec la Côte d’Ivoire coupés
Première à mettre en application la décision de la Cedeao, la Côte d’Ivoire a ordonné la fermeture de sa frontière avec le Mali et la suspension de tous les flux financiers avec Bamako.
Cette suspension s’applique à « toutes les administrations financières publiques, toutes les banques et établissements financiers, toutes les Sociétés de gestion et d’intermédiation (SGI) et les Sociétés de gestion d’organisme de placement collectif en valeur mobilière (SGO), toutes autres institutions financières et autres acteurs du marché financier », a indiqué le ministre de l’Économie et des Finances ivoirien, Adama Coulibaly, dans un communiqué du 19 août.
Un coup dur supplémentaire pour le Mali, dont la Côte d’Ivoire est l’un des principaux partenaires commerciaux – 5e client et 3e fournisseur (derrière le Sénégal et la Chine) en 2017, selon le Centre du commerce international (CCI).
« Beaucoup de banques au Mali sont présentes aussi en Côte d’ivoire – et vice-versa – et bon nombre d’opérateurs financiers ont des relations économiques dans les deux pays », a ainsi souligné le banquier malien que nous avons pu joindre.
Un pays enclavé et isolé
« Les deux pays sont très liés et cela de longue date, il y a par exemple une importante communauté malienne à Bouaké en Côte d’Ivoire », a rappelé depuis Abidjan Stanislas Zézé, PDG de l’agence de notation financière Bloomfield Investment, sollicité par Jeune Afrique.
« La condamnation du coup d’État par la Cedeao et les autres pays dans le monde est automatique et normale. Mais la décision de l’arrêt des flux financiers pose question en ce qu’elle isole complètement un pays déjà enclavé et frappé par les difficultés économique nées de la pandémie de coronavirus« , a-t-il ajouté.
Pour Michael Nderitu, analyste risques de la fintech kényane spécialisée dans les solutions de paiements AZA, la « limitation des opérations de change va mettre un coup de frein aux échanges, en particulier dans le secteur crucial de l’agriculture. Il est donc capital que la BCEAO reprenne ses activités dès que la situation sur le terrain le permettra », affirme-t-il.
Contactées, les équipes du gouverneur de la BCEAO n’ont pas immédiatement répondu à nos sollicitations.
Malgré une situation sécuritaire difficile, le Mali a enregistré une croissance de 5 % en 2019, portée par les secteurs de l’or et du coton, avec un déficit budgétaire (3,1 % du PIB) et une inflation (0,4 %) maîtrisés, selon les données publiées dans les Perspectives économiques en Afrique 2020 de la Banque africaine de développement.
Bénéficiant de l’arrimage du franc CFA à l’euro, le pays reste toutefois structurellement peu industrialisé et le secteur manufacturier peine à se développer. Le 30 avril, le FMI, qui table sur le maintien d’une croissance annuelle moyenne de 5 %, a approuvé un décaissement de 200 millions de dollars pour le pays afin de financer la lutte contre le coronavirus.