Société

Maroc : des vacances d’été très compromises

Avec l’interdiction des déplacements entre plusieurs villes, nombreux sont les Marocains qui ont peur de voyager. Au grand dam des opérateurs touristiques.

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Mis à jour le 7 août 2020 à 14:25

Des bateaux à voile sur une plage près d’Agadir. © Sipa

Bon an mal an, quelque 500 000 Marocains passent chaque année leurs vacances en Espagne. D’autres jettent leur dévolu sur d’autres destinations comme la France ou la Turquie. Mais pas cet été, les frontières marocaines étant toujours fermées. La solution ? Le tourisme interne.

Sauf que cette alternative est tout aussi compliquée, les autorités ayant restreint l’accès à plusieurs villes, dont Marrakech, la capitale touristique du royaume, ainsi que Tanger et Tétouan, deux destinations très prisées en été.

« Cela chamboule le plan de reprise du tourisme notamment interne, attendu et même promis par l’État, et déconcerte les vacanciers nationaux, mais l’État a choisi le risque zéro bien que celui-ci n’existe pas. L’éclosion de nombreux clusters, l’avènement de l’Aïd Al Adha, rendez-vous cultuel et social annuel incontournable, ont précipité ces décisions », commente Samir Kheldouni Sahraoui, patron du cabinet Chorus Consulting Hospitality & Leisure, par ailleurs ancien directeur de l’Office national marocain du tourisme (ONMT).

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Et d’ajouter : « La Maroc, dont l’infrastructure de santé est encore fragile, a choisi la voie de la prudence absolue, en gardant ses frontières fermées et en limitant les déplacements à l’intérieur  du pays, et ce au détriment notamment de son industrie touristique qui représente tout de même 7 points de PIB s’agissant de son tourisme international et 3,5 points de PIB s’agissant de son tourisme interne, sans compter l’effet de ruissellement du tourisme marocain sur d’autres secteurs comme le bâtiment, l’agroalimentaire, les services et l’informel. »

Crise de confiance

En 2018, les voyages des Marocains à l’étranger ont coûté 1,7 milliard, selon l’Office des changes. Le royaume étant barricadé, cette manne devait irriguer le tourisme national, particulièrement sinistré. Mais c’était sans compter « la crise de confiance », selon Fouzi Zemrani, vice-président de la Confédération nationale du tourisme (CNT) et voyagiste de son état. « Comment les gens peuvent-ils voyager, organiser leurs vacances, s’il existe un risque qu’ils se retrouvent bloqués ? », s’interroge-t-il.

Personne ne peut prendre le risque de voyager de peur de revivre le cauchemar du 26 juillet »

L’origine de la « crise de confiance » ? À peine les hôteliers ont-ils rouvert leurs portes que les autorités ont annoncé, le dimanche 26 juillet au soir, une restriction des déplacements vers Tanger, Tétouan, Fès, Meknès, Casablanca, Berrechid, Settat et Marrakech, à la veille de l’Aïd Al Adha. Entre l’annonce du lockdown et son entrée en vigueur, les voyageurs n’avaient que cinq heures pour regagner leurs villes ou rejoindre leurs familles, ce qui n’a pas manqué de provoquer un chaos inédit sur les routes marocaines.

« Le tourisme est par essence une industrie éminemment sociale. C’est l’administration du temps libre, un temps précieux qui requiert trois fondamentaux : qualité des services, sécurité et liberté de mouvement », fait remarquer Samir Kheldouni Sahraoui, qui a dirigé les filiales spécialisées dans le tourisme de la Caisse des dépôts et de gestion (CDG) de 2002 à 2007.

Une relance avortée

Et ce n’est pas le patron de cette enseigne réputée qui dira le contraire : « Alors que je reprenais à peine mon activité en respectant toutes les mesures sanitaires exigées par le gouvernement, j’ai été contraint de fermer mon établissement. Personne ne peut prendre le risque de voyager de peur de revivre le cauchemar du 26 juillet. Cette décision nous a fait beaucoup de mal. »

L’opérateur poursuit, sous le sceau de l’anonymat : « Entre les contraintes budgétaires et les réglementaires, sans même parler de cette ambiance délétère peu favorable au voyage, il n’y aura pas de touristes cette année. »

On prévoyait des promotions et des mesures encourager les gens à voyager. Mais tout est tombé à l’eau »

Mais tous les hôteliers ne sont pas logés à la même enseigne. Par exemple, le célèbre hôtel Sofitel Tamuda Bay, situé à un jet de pierre de Tétouan, ville en lockdown, affiche complet pendant tout le mois d’août. Non loin de Tamuda Bay, l’hôtel Marina Smir est si prisé qu’aucune chambre n’est disponible durant le weekend du 7 au 9 août. « Comme le roi passe souvent ses vacances dans le Nord, beaucoup se ruent sur les hôtels de luxe dans la région sans se soucier des prix », nous explique un vieux routier du secteur.

« Il est vrai que Tamuda Bay se porte bien mais c’est une exception dans une région où le tourisme est sinistré. Le moteur touristique de la région, c’est Tanger, et tout y est fermé », nous dit Rkia Alaoui, présidente du Conseil régional du tourisme de Tanger-Tétouan-Al Hoceima et directrice générale de Marina Smir.

Tourisme en péril

Le tourisme, poursuit-elle, ne pourra pas se relever tant que la pandémie continue de sévir. « On prévoyait des promotions et des mesures pour la relance mais tout est tombé à l’eau. Mais c’est ainsi partout dans le monde. Quand il y a un incendie, il faut d’abord sauver des vies avant de penser au reste », illustre Rkia Alaoui.

Dans le contexte actuel, il est très difficile de faire des prévisions »

La crise est d’autant plus grave que les professionnels ne voient pas le bout du tunnel. « C’est très dur dans la mesure où la pandémie agit sur l’offre et la demande, sur les marchés émetteurs et les marchés récepteurs. Dans le contexte actuel, il est très difficile de faire des prévisions », constate Fouzi Zemrani.

Pour Samir Kheldouni Sahraoui, il y a péril en la demeure : « Chaque mois de fermeture totale des frontières représente plus ou moins une année de délai supplémentaire avant de pouvoir retrouver les performances de 2019. »

Et l’expert de conclure avec cette métaphore éloquente : « Telle une course de chevaux, tous les purs sangs du tourisme mondial sont alignés dans les starting-blocks dans l’attente du coup de feu libérateur. Les premiers arrivés seront ceux qui s’y seront le mieux préparés, le mieux entrainés. »