Beyrouth est sous le choc. Ce mardi 4 août – une date déjà considérée comme « le 11 septembre libanais » – une double explosion a eu lieu vers 18 heures, heure locale.
Le lendemain, le pays se réveille en état d’urgence. Il découvre une ville spectrale qui semble sortir d’un lourd bombardement. L’horizon a changé. Il n’y a plus de grues de chantier, plus de hangars industriels. Il ne reste que le cratère de l’explosion et les squelettes des navires brûlés.
Crucial pour l’approvisionnement d’un pays qui dépend à 80% de ses importations maritimes, le port n’est plus là. Le centre-ville non plus. Le bâtiment effondré devenu le symbole de la « nakba » libanaise, la « catastrophe nationale » évoquée par le gouverneur de Beyrouth en larmes, contenait les réserves de céréales pour toute la population.
Pour une nation qui traverse la pire crise économique de son histoire, le risque de pénurie alimentaire est aujourd’hui réel. La capitale est à reconstruire. Comment en est-on arrivé là ?
- Deux explosions en quelques minutes
Les premières vidéos circulant sur les réseaux sociaux comparaient le nuage en forme de champignon que l’explosion a produit avec celui créé par le bombardement atomique de Nagasaki. Mais l’hypothèse d’une attaque armée a été rapidement exclue par les autorités.
L’#explosion sur le port de #Beyrouth est impressionnante, avec un souffle puissant. Il faut noter que ce que l’on observe pendant une des phases de l’explosion est un nuage de condensation, ou « nuage de Wilson ». Voir https://t.co/M9VnsKme47 pic.twitter.com/myie4Qkc5W
— Foucauld Pérotin ❦ ⧖⃝ (@FoucPerotin) August 4, 2020
Plusieurs théories ont circulé, parmi lesquelles l’explosion d’un entrepôt de feux d’artifice. Un hangar de ce type se situait en effet dans la zone du port, comme l’a confirmé Badri Daher, directeur des douanes locales. Ce qui est sûr, c’est qu’une première déflagration a été entendue vers 18 heures et a provoqué un incendie.
Les deux déflagrations sont équivalentes à un séisme de 3,3 sur l’échelle de Richter
La deuxième explosion, beaucoup plus puissante, a eu lieu quelques minutes après, à 18h07. Les deux réunies équivalaient à un séisme de 3,3 sur l’échelle de Richter, selon l’Institut américain de géophysique (USGS).
- Une cargaison stockée sans mesure de précaution
Cette double déflagration semble avoir été causée par une cargaison de nitrate d’ammonium stockée dans un entrepôt du port depuis six ans « sans aucune mesure de précaution » et saisie en novembre 2013 sur le navire Rhosus, battant pavillon moldave mais appartenant à un homme d’affaires russe. Le bateau serait arrivé à Beyrouth deux mois après avoir quitté le port de Batoumi, en Géorgie, dans la mer Noire.
Pour des raisons de sécurité, la cargaison a été déplacée du navire vers le port. Comme le prouvent plusieurs documents publiés par l’agence de presse Reuters, les douanes ont demandé à plusieurs reprises, entre 2014 à 2017, que cette quantité de nitrate soit réexportée ou revendue à « l’agence maritime concernée ».
A confirmer: Nitrate d'ammonium confisqué (cf AZF #Toulouse) pourrait provenir d'un incident qui a eu lieu en 2013 - vaisseau nommé Rhosus.
— Stephanie Lamy (@WCM_JustSocial) August 4, 2020
Ce serait 2,750 tonnes (confisqués) de NH4NO3 vs 300 à #Toulouse. #Beirut #Beyrouthhttps://t.co/vBN24HMjGHhttps://t.co/dRaISVqTw0 pic.twitter.com/4v35DpXqaR
- Déjà plusieurs catastrophes liées au nitrate d’ammonium
Ce n’est pas la première fois que cette substance hautement inflammable utilisée dans la composition de certains pesticides mais aussi d’engins explosifs provoque des accidents : en 2001, l’explosion de 300 à 400 tonnes de nitrate utilisé dans l’usine pétrochimique AZF de Toulouse avait fait 31 morts et blessé 2500 personnes.
En 2015, 173 personnes ont perdu la vie à Tianjin, en Chine, après l’explosion d’un entrepôt contenant plus de 2400 tonnes de produits chimiques, dont 800 tonnes de cette même substance.
Le hangar situé au port de Beyrouth contenait lui 2 750 tonnes de nitrate d’ammonium.
- Un bilan toujours provisoire

Lebanon Explosion © AP SIPA/Hassan Ammar
Selon le dernier bilan de la Croix Rouge libanaise, qui reste toutefois provisoire, cette double explosion aurait tué au moins 137 personnes. Plusieurs travailleurs immigrés auraient perdu la vie, selon les témoignages recueillis sur place, ainsi que le chef du parti politique Kataeb, Nazar Najarian. Et des dizaines de personnes restent portées disparues, selon le ministère de la Santé.
300 000 habitants de Beyrouth se retrouvent sans abri
On dénombre aussi plus de 5000 blessés, et 300 000 habitants de Beyrouth se retrouvent aujourd’hui sans abri.
Le puissant souffle qui a suivi l’explosion – entendue jusqu’à l’île de Chypre, à plus de 200 kilomètres de distance – a provoqué d’importants dommages matériels, jusqu’à l’aéroport international de Beyrouth, à 9 km du centre de la capitale. Trois hôpitaux ont également été gravement endommagés.
Le port, l’un des principaux points névralgiques pour le commerce maritime du tout le Moyen-Orient, et surtout de la Syrie, a été totalement détruit et « ne sera plus opérationnel pendant un moment », selon une source proche du port citée par le quotidien libanais L’Orient-Le Jour.
- Coup de grâce pour un pays au bord du gouffre
L’explosion représente, selon plusieurs témoignages, un point de non-retour pour un pays en chute libre, l’apogée d’une crise qui s’aggrave de jour en jour. En défaut de paiement, le Liban est au bord de la faillite. Sa dette atteint 92 milliards de dollars et sa monnaie, la livre libanaise, a perdu 70% de sa valeur en quelques mois.
Le plan de réformes adopté en avril pour négocier une aide du FMI n’a toujours pas été mis en œuvre. Le pays traverse ainsi la pire crise économique et financière de son histoire, aggravée par la pandémie de Covid-19.
Ces derniers mois, les licenciements en masse et surtout des restrictions bancaires drastiques ont provoqué des manifestations de la population contre « la paralysie politique » et « l’inertie du système », alors que la moitié des Libanais vivent sous le seuil de pauvreté. La destruction de Beyrouth pourrait exacerber davantage la crise économique et sociale que traverse le pays.
- L’aide internationale s’organise

Le président français Emmanuel Macron à Beyrouth ce jeudi 6 août 2020. © AP SIPA/Thibault Camus
Quelques heures après l’explosion, plusieurs pays étrangers ont manifesté leur volonté d’aider le Liban à surmonter la crise. Le président français Emmanuel Macron s’est rendu sur les lieux de la tragédie ce 6 août, où il a promis d’« aider à organiser dans les prochains jours des soutiens supplémentaire au niveau français et au niveau européen ». « Le Liban n’est pas seul », a-t-il twitté peu après.
Lors de sa visite dans le quartier de Gemmayzé, l’un des plus touchés, une foule d’habitants en colère a demandé l’aide de la France pour « évincer les dirigeants libanais au pouvoir ».
Des avions contenant de l’aide médicale en provenance de la Turquie et du Koweït ont déjà atterri au Liban. Le président égyptien Abdel Fattah Al-Sissi a annoncé vouloir « ouvrir un hôpital de campagne » dans le pays.
Plusieurs pays du Golfe, aussi bien le Qatar que les Émirats Arabes Unis, ont également offert leur aide. Tout comme l’Iran, allié du parti Hezbollah.
Même Israël, officiellement en guerre avec son voisin, a promis « des aides humanitaires et médicales par l’intermédiaire de contacts sécuritaires et politiques internationaux », dans un communiqué des ministères des Affaires étrangères et de la Défense. Quelques jours auparavant, la tension entre les deux pays était pourtant montée d’un cran à la suite d’affrontements armés à la frontière.