Cet article est issu du dossier

Série : Kamerhe, Diendéré, Mebe Ngo’o, Mokoko… Enquête sur les VIP en prison

Voir tout le sommaire
Société

Congo : Jean-Marie Michel Mokoko, un général en exil sanitaire (2/4)

« VIP en prison » (2/4) – Le général Jean-Marie Michel Mokoko a été évacué vers la Turquie après de longues tractations auprès du président Denis Sassou Nguesso. L’état de santé de l’opposant congolais de 73 ans, incarcéré depuis quatre ans, inquiète ses proches.

Réservé aux abonnés
Mis à jour le 5 août 2020 à 20:55

L’opposant congolais Jean-Marie Michel Mokoko lors de son procès, à Brazzaville, le 11 mai 2018. © Reuters/Roch Bouka

Juillet à Brazzaville, la saison sèche bat son plein. Le monde entier lutte toujours contre le Covid-19, mais un seul sujet retient toute l’attention des Congolais : l’évacuation sanitaire du général Jean-Marie Michel Mokoko.

Victime d’un malaise le 29 juin dernier dans sa cellule, l’ex-candidat aux élections présidentielles de 2016, condamné deux ans plus tard à vingt ans de prison pour atteinte à la sûreté de l’État, a enfin pu embarquer le 30 juillet dans un avion médicalisé turc pour rejoindre Ankara et son hôpital militaire.

À Lire Kamerhe, Diendéré, Mebe Ngo’o, Mokoko… Enquête sur les VIP en prison

« Avant son évacuation, un membre de la famille du patient s’était déjà rendu en Turquie par un vol commercial afin de l’assister durant la période de traitement », insiste par ailleurs l’ambassade turque à Brazzaville. Il s’agit de l’épouse de Jean-Marie Michel Mokoko. Ankara assure également, par la voix de son ambassade, que « cette opération d’évacuation n’est liée à aucune question politique », tout en déplorant des « théories du complot ».

Pour arriver à un tel épilogue, de longues tractations ont été nécessaires entre la famille du général et le président Denis Sassou Nguesso. Le chef de l’État a finalement autorisé l’opération après qu’une délégation composée de proches du détenu et de plusieurs personnalités, dont Pierre Moussa, secrétaire général du Parti congolais du travail (PCT, parti au pouvoir) ou l’archevêque d’Owando, Victor Abagna, soit venue, le 27 juillet, solliciter son intervention.

Visites interdites

À bord du jet rouge carmin, le général Mokoko, 73 ans, a dû se sentir bien seul, puisque ni son médecin personnel, ni ses intimes, n’ont été autorisés à l’accompagner. Depuis quatre années qu’il est incarcéré, la solitude a souvent été son plus fidèle compagnon.

À Lire Affaire Mokoko : Tshisekedi et Lourenço ont-ils plaidé pour l’évacuation de l’opposant congolais ?

« Ses conditions de détention se sont dégradées à mesure que la communauté internationale s’intéressait à son cas », témoigne Christ-Belvy Dongui Ganga, son ancien chef du protocole. « Au début, la famille était autorisée à venir, puis les visites ont été limitées à une seule par jour. Il était enfermé quasiment 24 heures sur 24, sans accès à l’extérieur autre que pour faire un peu de sport. »

Même ses avocats ont rencontré des difficultés pour garder le contact. « Depuis le mois de mars, les autorités pénitentiaires nous ont interdit, sans raison valable, de le visiter », déclare Ludovic Désiré Essou, l’un de ses avocats.

Seul son cuisinier et sa nièce venaient rompre cette monotonie quotidienne. Un luxe réservé au détenu de marque comme Jean-Marie Michel Mokoko, qui lui permet d’améliorer l’ordinaire de la maison d’arrêt de Brazzaville : « Un petit bol de riz, plus un morceau de poisson salé ou une cuisse de poulet », détaille un responsable de l’Association pour les droits de l’homme et l’univers carcéral (ADHUC).

Cellule VIP

Autre différence destinée aux VIP, il détient également les clés de sa cellule. Il est logé dans une maisonnette, à l’origine destinée aux détenus mineurs, et spécialement aménagée pour le recevoir. Un grand lit, une table avec sa chaise, trois fauteuils en rotin, un ventilateur, un réfrigérateur, une télé et une radio ont constitué tout son mobilier pendant de longs mois.

À Lire Congo : retour sur la stratégie du silence du général Mokoko lors de son procès

Sa radio et son téléviseur restent ses dernières fenêtres ouvertes sur le monde

Et il n’est évidemment pas le plus à plaindre. Comme beaucoup d’autres prisons d’Afrique, la maison d’arrêt de Brazzaville est une vieille bâtisse coloniale, datant de 1943, d’une capacité de 150 places mais qui accueille aujourd’hui plus de 850 détenus. Ils s’entassent donc à 60 en moyenne par cellule, selon les derniers chiffres de l’ADHUC, qui constate que « la plupart des détenus dorment à même le sol, sur des cartons ou sur de minces matelas ».

Malgré ce cadre austère, celui que ses partisans surnomment encore « J3M » a gardé ses habitudes héritées de la caserne. Levé dès potron-minet, ce saint-cyrien, féru de lecture, passe de longues heures à parcourir les quelques livres et journaux qu’on lui apporte de l’extérieur. Sa radio et son téléviseur restent ses dernières fenêtres ouvertes sur le monde.

À Lire Congo-Brazzaville : le gouvernement répond au groupe de travail de l’ONU dans l’affaire Mokoko

Le week-end, il ajoute à ce régime de vie quasi monacale, un peu de pratique sportive. Il trottine sur place et fait quelques exercices de gymnastique dans sa cellule, pour entretenir son corps.

Crise de paludisme

Malgré ce confinement, Jean-Marie Michel Mokoko n’échappe pas aux drames de la vie. Sa mère est décédée le 18 octobre 2019, pendant sa détention, il n’a donc pas pu se rendre à ses obsèques. « Il était fils unique. Il a été très affecté par sa disparition, d’autant plus qu’il n’a pas encore pu voir où elle avait été enterrée », reprend Christ-Belvy Dongui Ganga.

La rumeur a d’abord voulu qu’il ait été testé positif au covid-19

Le poids de l’âge s’ajoutant à d’autres pathologies ont fini par avoir raison de la bonne santé du général. Le 2 juillet, il a donc été transféré à l’hôpital militaire de Brazzaville. La rumeur a d’abord voulu qu’il ait été testé positif au coronavirus, avant d’être formellement démentie deux jours plus tard, ses avocats parlant alors de « forte crise de paludisme ».

La détention de J3M ne s’est pas assouplie une fois à l’hôpital militaire, où il était toujours gardé par des gendarmes armés. Huit personnes, désignées par la famille, conservaient un droit de visite. « Seuls les proches nommément visés avaient encore accès à lui », confirme Ludovic Désiré Essou.

Ce ne sera plus le cas une fois arrivé à Ankara, où seul son médecin personnel a été autorisé à l’accompagner. « Le plus important est qu’il recouvre la santé. Nous verrons le reste plus tard », estime un membre de l’Observatoire congolais des droits de l’homme (OCDH).