Politique

Maroc : à un an des législatives, la saison des alliances est ouverte

En vue des élections de 2021, les partis marocains s’entendent au gré de leurs intérêts du moment. Au risque de pactiser avec leurs ennemis politiques.

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Mis à jour le 3 août 2020 à 15:28

Des manifestants du PJD à Larache, dans la région de Tanger-Tétouan-Al Hoceima. © FADEL SENNA/AFP

Prévues en 2021, les élections sont désormais au centre des préoccupations des partis. Le 8 juillet, le ministre de l’Intérieur, Abdelouafi Laftit, a tenu avec les chefs des formations politiques une réunion consacrée au sujet. Une première étape qui « vise à bien préparer l’ensemble des prochaines échéances électorales ».

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Les précédents scrutins (en 2016) avaient défrayé la chronique à cause des déclarations sibyllines du tonitruant Abdelilah Benkirane à l’adresse des autorités, qu’il accusait de privilégier son rival Ilyas El Omari. Le vote remporté, l’ancien patron du Parti de la justice et du développement (PJD) avait alors échoué à former une majorité, ce qui avait donné lieu à six mois de négociations et de blocage.

Nouveaux calculs

Depuis, l’eau a coulé sous les ponts. Limogé par Mohammed VI en mars 2017, avant d’être éjecté de la direction du parti de la lampe au profit de Saâdeddine El Othmani – qui l’a remplacé également à la tête du gouvernement –, Benkirane ne fait plus partie de l’équation politique. Tout comme son ennemi juré, Ilyas El Omari, ex-patron du Parti Authenticité et Modernité (PAM, première force d’opposition par le nombre de sièges), aujourd’hui loin des radars. À nouvelle donne, nouveaux calculs. Les cartes ayant été rebattues, chaque formation essaie déjà de se trouver  de nouveaux alliés. Quitte à se contredire.

Le PAM en odeur de sainteté chez les islamistes

 

Ainsi, après avoir incarné pour le PJD le visage de l’autoritarisme, le PAM, fondé par le conseiller royal Fouad Ali El Himma en 2008, est désormais en odeur de sainteté chez les islamistes. « Nous n’avions pas de problème avec le parti mais avec les méthodes d’Ilyas El Omari, qui n’est plus aux commandes aujourd’hui. », déclare un lieutenant du parti de la lampe. Même réponse du côté du parti du tracteur : « Nous avions et avons encore quelques divergences avec le PJD, mais nous allons constituer nos alliances en fonction des programmes. Il n’y aucune ligne rouge de notre côté », affirme un cador du PAM.

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Le rapprochement entre les anciens ennemis a commencé en octobre dernier, lorsque le parti d’El Othmani a, à la surprise générale, voté pour la Pamiste Fatima El Hassani à la tête de la région Tanger-Tétouan-Al Hoceima en se retirant in extremis de la course. « Malgré la colère des militants du parti, Saâdeddine El Othmani avait surveillé lui-même l’opération du vote pour que la candidate du PAM soit élue », témoigne un proche du chef du PJD.

Surprenante volte-face

Comment interpréter cette surprenante volte-face ? Pour le politologue Abderrahim El Allam, « le clivage entre les modernistes et les islamistes est devenu secondaire ». Selon ce spécialiste du PJD, « la rivalité s’exprimait par la parole, ce qui n’avait pas empêché des alliances par le passé dans plus de cent communes ou municipalités. Seulement, les conflits entre chefs empêchaient des alliances aux législatives ».

Depuis février 2020, c’est l’avocat Abdellatif Ouahbi qui conduit le tracteur du PAM. Sitôt élu, l’homme avait d’ailleurs déclaré vouloir mettre fin à « l’antagonisme systématique vis-à-vis du PJD ». Une volonté que Bilal Talidi, membre du conseil national du PJD et ancien éditorialiste du défunt journal islamiste Attajdid, explique par le fait que « le PAM est menacé davantage par le Rassemblement national des indépendants (RNI) que par le PJD, étant donné qu’ils chassent tous les deux sur le même terrain ». Arrivé quatrième aux législatives de 2016, le RNI, présidé par le ministre de l’Agriculture et homme d’affaires Aziz Akhannouch, vise en effet la première place aux prochaines élections, ne lésinant pas sur les moyens. Ce qui n’est pas sans inquiéter Abdellatif Ouahbi.

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Une lecture partagée par Abderrahim El Allam : « Le PAM a peur que le RNI le vide de ses notables. Il devient ainsi son vrai concurrent. En gros, en se rapprochant du PJD, le PAM fait passer le message qu’il est prêt à tout pour garder ces derniers », décrypte le professeur de sciences politiques à l’université de Cadi Ayyad.

Relation « historique » entre l’Istiqlal et le PPS

Alliés du PJD sous le mandat d’Abdelilah Benkirane puis sous celui de Saâdeddine El Othmani pendant deux ans, les ex-communistes du Parti du progrès et du socialisme (PPS) ont claqué la porte du gouvernement en novembre dernier. Après avoir tourné la page des islamistes, le parti du Livre ne dédaignerait pas une alliance avec l’Istiqlal, formation d’opposition dirigée par Nizar Baraka, petit-fils du leader nationaliste Allal El Fassi. « La relation entre nos deux partis est quasi historique. Même s’il n’y a pas pour le moment d’alliance à proprement parler, il y a ce socle Istiqlal-PPS qui va aller jusqu’aux élections », déclare à Jeune Afrique le secrétaire général du PPS Nabil Benabdellah.

Divorce consommé avec les islamistes

Une chose est sûre, dit-il, le divorce est consommé avec les islamistes : « Le PJD d’aujourd’hui n’a plus grand-chose à voir avec le PJD d’hier. Si nous sommes sortis du gouvernement, c’est que nous considérons que la force de réforme n’est plus la même. Nous en attribuons la responsabilité aussi bien au PJD qu’aux quatre autres partis qui sont dans le gouvernement. Ayant vécu cela de l’intérieur, je peux vous dire que c’est une foire d’empoigne. Ils font tout pour casser le gouvernement alors qu’ils en font partie », témoigne Nabil Benabdellah.

L'avocat marocain Driss Lachgar est le secrétaire général de l'USFP.  © Alexandre DUPEYRON

L'avocat marocain Driss Lachgar est le secrétaire général de l'USFP.  © Alexandre DUPEYRON

 

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Le PPS n’est d’ailleurs pas le seul à vouloir faire front commun avec l’Istiqlal. Membre de l’attelage gouvernemental, l’Union socialiste des forces populaires (USFP) multiplie aussi les appels du pied à l’endroit de la formation de Nizar Baraka. « Certes nous sommes dans la majorité alors que l’Istiqlal est dans l’opposition, mais nous sommes liés à ce parti historiquement. Ce qui a été fait au Maroc sur le plan démocratique a été réalisé, aux côtés de l’institution monarchique, par l’USFP et l’Istiqlal », assure le premier secrétaire de l’USFP, Driss Lachgar.

L’Istiqlal est proche de notre référentiel idéologique

Et de tempérer ses propos : « L’heure n’est pas aux alliances mais à la préparation des élections. Cela dit, je peux affirmer d’ores et déjà que l’Istiqlal est proche de notre référentiel idéologique, ce qui constitue une base solide. Nos alliances se feront ensuite sur la base des programmes des uns et des autres et de ce que sera la carte politique. » Le patron du parti de la rose se dit prêt à s’allier à toute formation « qui voudrait s’attaquer à l’instrumentalisation du pouvoir ou de la religion ».

Tout est possible

De quoi ressusciter la « koutla », ce fameux bloc historique constitué de l’Istiqlal, de l’USFP et du PPS ? Pas si vite, répond un responsable de ce dernier au fait du dossier : « Une alliance pareille est totalement exclue. Le PPS considère qu’aucun rapprochement avec l’USFP n’est envisageable tant que celui-ci est dirigé par Lachgar, qui est contesté même au sein de son propre parti. » Commentaire du politologue El Allam : « Les alliances au Maroc ne sont pas basées sur les principes mais sur les intérêts. Que sur les intérêts. Tout est possible, avant comme après les élections. »