Politique

Malawi : Lazarus Chakwera, le président miraculé

Nouvellement élu à la tête du Malawi, après avoir réussi à faire annuler le précédent scrutin, l’ancien pasteur évangélique se pose en champion de la démocratie. Un scénario inédit qui suscite l’espoir sur le continent.

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Mis à jour le 20 juillet 2020 à 12:00

Lazarus Chakwera, président du Malawi, lors de sa prestation de serment Lilongwe, le 28 juin 2020. © Thoko Chikondi/AP/SIPA

« Jésus cria d’une voix forte : “Lazare, sors !” Et le mort sortit, les pieds et les mains liés de bandes, et le visage enveloppé d’un linge. Jésus leur dit : “Déliez-le, et laissez-le aller.” » Et c’est ainsi que Lazare, mort depuis quatre jours, fut ramené à la vie. Ce passage de l’Évangile selon saint Jean, Lazarus Chakwera le connaît depuis l’enfance, lui, l’ancien pasteur évangélique dont la naissance suivit le décès de deux frères, qui fut déclaré perdant puis vainqueur de l’élection présidentielle du Malawi.

Est-il, à 65 ans, promis à la résurrection ? En mai 2019, Lazarus Chakwera avait rejeté les résultats officiels qui, avec à peine 160 000 voix d’écart, donnaient la victoire au président sortant, Peter Mutharika. Neuf mois plus tard, il parvenait à faire annuler le scrutin en raison de « fraudes massives ». Le 23 juin, il a finalement pu prendre sa revanche en remportant 58,57 % des suffrages au terme d’une séquence inédite en Afrique subsaharienne – seul le Kenya avait jusqu’alors connu une élection ainsi rejouée, en 2017, mais sans changement d’issue.

Investi le 6 juillet dernier, le nouveau chef de l’État n’a pas manqué de rappeler le défi qu’avait constitué cette réussite. « Nous ne serions pas là aujourd’hui sans le courage des cinq juges de la Cour constitutionnelle, qui ont fait leur travail en dépit des tentatives de corruption, [ni] sans le courage de la Cour suprême, qui a confirmé leur verdict », a-t-il déclaré. Une victoire des magistrats qui précède celle des urnes, voilà qui a de quoi faire rêver tous ces opposants candidats dont les recours n’ont jamais mené à une invalidation des résultats.

Changer les règles du jeu

Des partisans de Lazarus Chakwera, le nouveau président du Malawi, lors de sa prestation de serment le 29 juin 2020. © Thoko Chikondi/AP/SIPA

Des partisans de Lazarus Chakwera, le nouveau président du Malawi, lors de sa prestation de serment le 29 juin 2020. © Thoko Chikondi/AP/SIPA

Profitant de sa position d’outsider, Chakwera a modernisé l’ancien parti unique

La séquence qui s’achève fait-elle du Malawi un nouveau champion de la démocratie sur le continent ? « Le président sait que ce n’est pas son élection en elle-même qui peut représenter un exemple, mais le processus entier qui a duré des mois et l’a mené à la victoire, confie son porte-parole et beau-fils, Sean Kampondeni. La démocratie ne s’est pas uniquement manifestée par le biais des électeurs, mais à travers l’ensemble des acteurs qui ont fait leur travail de manière indépendante. »

En mai 2019, il n’aura fallu qu’une semaine à Lazarus Chakwera et à ses équipes pour recueillir suffisamment de preuves afin de déposer une requête devant la Cour constitutionnelle du Malawi. Parmi elles, des procès-verbaux grossièrement raturés, qui auront valu à Peter Mutharika le sobriquet de « président Tipp-Ex ».

Pas question de reproduire l’erreur de 2014, lorsque Lazarus Chakwera, contestant déjà l’issue de la présidentielle qui donnait Mutharika vainqueur, avait vu son recours rejeté au motif qu’il était hors délai. Quelques mois plus tôt, l’ancien pasteur avait créé la surprise en prenant la tête du Parti du congrès du Malawi (MCP). Profitant de sa position d’outsider, Chakwera était arrivé à moderniser l’ancien parti unique, dont il redorait l’image, ternie par près de trente années d’un régime brutal, mené par le premier président du pays, Hastings Kamuzu Banda (1966-1994).

À l’en croire, opter pour la politique n’a pas été chose aisée. « C’est un choix de vie qui ne me semblait pas naturel, et prendre cette décision a été difficile, expliquait-il en 2014. Mais Dieu m’a dit : “Je prolonge ton ministère afin que tu puisses conduire une nation tout entière.” » Dans la foulée, Chakwera abandonnait la présidence de la congrégation des Assemblées de Dieu du Malawi, fonction qu’il occupait depuis près de vingt-cinq ans, et se lançait dans l’arène.

Peter Mutharika éclaboussée par des scandales

L'ex-président du Malawi, Peter Mutharika, lors d'un meeting de campagne, le 18 mai 2020. © Thoko Chikondi/AP/SIPA

L'ex-président du Malawi, Peter Mutharika, lors d'un meeting de campagne, le 18 mai 2020. © Thoko Chikondi/AP/SIPA

Les gens étaient ulcérés par les preuves accablantes de fraude électorale

Ces derniers mois, alors que la présidence de Peter Mutharika était éclaboussée par des scandales de corruption, Lazarus Chakwera avait marqué des points dans l’opinion. Les Malawites se sont largement mobilisés pour réclamer un scrutin transparent et la démission de la présidente de la commission électorale, Jane Ansah, accusée d’avoir couvert les irrégularités du premier scrutin. « Les gens étaient ulcérés par les preuves accablantes de fraude électorale, raconte le journaliste malawite Golden Matonga. Les juges étaient bien conscients de cette colère, et cela les a poussés à rendre un verdict impartial. »

À Lire Présidentielle au Malawi : l’opposition rejette la victoire de Peter Mutharika

Signe avant-coureur ? En janvier dernier, soupçonné d’avoir tenté d’acheter les juges, l’homme d’affaires Thomson Mpinganjira avait été arrêté par le bureau anticorruption. « Une affaire unique, s’enthousiasme Golden Matonga. Les individus proches du parti au pouvoir sont normalement protégés par les institutions. »

Malgré les pressions et les tentatives de corruption, le scrutin de mai 2019 sera officiellement annulé le 3 février suivant. Alors même que les observateurs internationaux présents dans le pays avaient soutenu le travail de la commission électorale. Les juges malawites sont en outre parvenus à changer les règles du jeu : désormais, pour être vainqueur, un candidat doit obtenir une majorité absolue, et non plus relative.

Critiques parmi les proches

S’alliant avec Saulos Chilima, arrivé troisième en 2019, Lazarus Chakwera a donc réussi à battre largement celui qui l’avait par deux fois défait. Respectant sa profession de foi, il s’est rapidement lancé dans des réformes.

Dès le 30 juin, il ordonnait la dissolution des conseils d’administration d’une cinquantaine d’institutions et d’entreprises publiques soupçonnées de mauvaise gestion ou de corruption. « Nous avons un pays à construire et pas un instant à perdre », martelait-il lors de sa prise de fonction.

La nomination de son gouvernement, dans lequel figurent des proches, a toutefois suscité des critiques, y compris parmi ses soutiens. Lazarus Chakwera connaît la Bible par cœur. Il ne peut ignorer que la résurrection de Lazare fut l’un des tout derniers miracles réalisés par Jésus.