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Ces cuisiniers qui régalent les puissants
Rien ne destinait Malek Labidi, atteinte du syndrome de la bonne élève, à faire carrière en cuisine – hormis le souvenir des gâteaux au yaourt concoctés avec sa mère. « J’y ajoutais des dattes et de la fleur d’oranger ; c’est ma madeleine de Proust », avoue la trentenaire, qui a su convaincre ses parents de sa passion pour la cuisine. Et qui apprécie qu’ils aient respecté ses choix, après lui avoir tout de même imposé d’obtenir d’abord des diplômes « sérieux ».
Avec un baccalauréat français obtenu en Tunisie, elle opte pour une prépa HEC à Paris et enchaîne avec un master à Dauphine, avant de suivre son instinct et d’abandonner les parcours classiques pour les fourneaux. « J’ai été interpellée par une phrase de Martin Heidegger qui disait que ce qui donne à penser, c’est que nous ne pensons pas encore », assure la cheffe rebelle, qui refuse « d’être programmée pour ne pas penser et choisir ».
Grandes maisons
Pendant trois ans, elle suit le cursus de l’Institut Paul Bocuse et enchaîne avec des postes dans les plus grandes maisons : premiers pas chez Alain Ducasse au Plaza Athénée puis chez Potel et Chabot. Les journées sont fatigantes, le rythme effréné, mais Malek Labidi jubile : elle retrouve une connexion avec les produits, la nature et les sens qui lui manquaient tant sur les bancs de la fac.
Elle bouillonne de projets, rentre à Tunis et ouvre un restaurant, sans prendre en compte le poids de la gestion d’un établissement. Au point qu’elle se montre gênée que « les gens payent pour ce qui est un partage ». Elle ferme cette parenthèse mais revient derrière les fourneaux pour certains dîners officiels, comme celui offert à la résidence de France à Tunis lors du voyage en 2014 de l’ancien président français François Hollande. « C’était une organisation militaire », se souvient la cheffe préférée des Tunisiens.
Cuisine vertueuse
À la faveur d’une pause bébé, Malek Labidi affine son approche et souhaite revenir à l’essentiel. « Tout le monde connaît les techniques, mais le plus important est la mentalité, le respect des produits, la saisonnalité », explique celle qui pratique une cuisine vertueuse, associée aux bienfaits de la méditation.
Beaucoup de choses se sont perdues avec une transmission essentiellement orale
« Outre le côté responsable, on est dans la concentration, ancré dans le ici et maintenant, pour donner du bien-être et faire voyager », assure celle qui s’éloigne de la gastronomie pour renouer avec le terroir. Membre du jury de Master Chef Algérie et de Top Chef monde arabe, elle concocte les menus d’évènements d’exception, fait de l’expérimental en proposant des dîners décalés dans une galerie d’art à Tunis, où savoir et saveurs se rencontrent, et apprécie la popularité que lui offre son émission de cuisine sur Nessma TV.
Patrimoine culinaire
Le digital, qu’elle a développé durant le confinement, est l’outil tout trouvé pour son nouvel axe de travail : répertorier et protéger le patrimoine culinaire. « Beaucoup de choses se sont perdues avec une transmission essentiellement orale. Or c’est sur la base d’une mémoire que l’on peut créer », constate la cheffe. Apaisée, celle qui préfère découvrir et retravailler les pépites de la street-food à une gastronomie trop paralysante sait désormais ce qu’elle veut : transmettre.