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Ces cuisiniers qui régalent les puissants
Dans la famille Bouteflika, on demande la sœur, Zhor. Au sein de cette grande fratrie de cinq garçons (Abdelaziz, Nacer, Mustapha, Abdelghani et Saïd) et deux filles (Latifa et Zhor), cette dernière est la seule à cultiver un mystère absolu. Au point qu’il n’existe aucune photo d’elle. Jamais d’apparition publique, pas le début d’un commencement de déclaration.
Sage-femme
Zhor Bouteflika a vécu dans l’ombre de son frère aîné sans jamais le quitter d’une semelle au cours des vingt années qu’il a passées à la présidence. Depuis sa démission forcée le 2 avril 2019, elle l’accompagne jour et nuit dans cette nouvelle vie qui ressemble à une réclusion à perpétuité derrière les murs d’une résidence ultra-protégée. Inconnue du grand public, Zhor aura servi Bouteflika avec le dévouement d’une religieuse de couvent.
L’ancien président cultivait un attrait certain pour la sorcellerie, la superstition et les sortilèges
Dans une ancienne vie, Zhor Bouteflika était sage-femme. Avec l’élection de son frère en avril 1999, elle est devenue sa gouvernante. Méfiant, l’ancien chef de l’État n’accorde sa confiance qu’aux membres de sa famille. Particulièrement à sa mère, Mansouriah, et bien sûr à sa sœur Zhor. Dans l’appartement d’El-Biar, sur les hauteurs d’Alger, où Bouteflika a vécu et travaillé jusqu’à son AVC de 2013, Zhor faisait office de chef de cuisine. Soupçonneux et cultivant un attrait certain pour la sorcellerie, la superstition et les sortilèges, l’ancien président ne mangeait que la cuisine préparée par sa mère ou sa sœur.
Dans cet appartement d’El-Biar, Zhor faisait à manger et préparait les vêtements de son frère. Avec Saïd, elle était la seule à y entrer sans protocole. « Elle était d’une telle discrétion qu’on pouvait à peine sentir sa présence, raconte une habituée de l’appartement. Elle déposait les repas et autres affaires du président et s’éclipsait à pas de loup. »
Une sorte de Gargantua qui peut manger pour deux ou trois personnes
Abdelaziz Bouteflika possède un bon coup de fourchette et se montre peu regardant sur sa ligne. Ses anciens collaborateurs décrivent une sorte de Gargantua qui peut manger pour deux ou trois personnes. Dans la république algérienne pourtant, on ne connaît pas de grand chef qui ait officié dans les cuisines du palais d’El Mouradia. De Ben Bella à Tebboune, en passant par Boumédiène, Chadli, Zéroual et Bouteflika, aucun chef n’a quitté l’anonymat des salles de cuisine pour entrer dans la lumière des projecteurs.
Des banquets dignes des Mille et Une Nuits
Peu après son accession au pouvoir, Bouteflika avait fait limoger le directeur du protocole de la présidence, jugeant les repas qu’on y servait indignes de son rang de chef d’État. Très influencé par le style de vie et de gouvernance des principautés du Golfe ou de la monarchie du Maroc, où il a vécu une bonne partie de sa vie, Bouteflika a exigé que les repas et les dîners officiels offerts à ses hôtes étrangers soient démesurés. « Les banquets étaient dignes des Mille et Une Nuits », se rappelle un ancien ministre.
Sa maladie, qui l’a cloué dans un fauteuil roulant à partir de 2013, a mis un coup d’arrêt à ces fastes. Reclus dans la résidence médicalisée de Zeralda, Bouteflika retrouve la compagnie presque exclusive de Zhor.
Cuisinière, gouvernante, confidente, cette femme divorcée gagne en influence au fil du temps, jusqu’à tenir tête à ses deux frères Saïd et Nacer. Souvent, elle s’oppose au puissant Saïd, véritable président bis, à qui elle reproche de malmener la santé du grand frère pour maintenir le clan au pouvoir à n’importe quel prix.
Zhor a la réputation de faire et défaire les carrières
Mieux : elle est le lien de son frère avec la vie à l’extérieur, tant l’existence d’Abdelaziz Bouteflika est devenue quasi monastique au cours des six dernières années de son règne. Zhor acquerra même la réputation de faire et défaire les carrières de certains ministres ou hauts cadres de l’État.