La route serpente le long de l’oued Sebaou et offre au visiteur un panorama d’une succession de jardins, de vergers et de vignes qui montent à l’assaut des collines sous une chaleur écrasante. De jeunes vendeurs sous des abris de fortune vendent des pommes, des raisins et de belles pastèques aux automobilistes en route vers le frais littoral des stations balnéaires de Dellys et de Tigzirt.
Petite localité de Boumerdès, à une centaine de kilomètres d’Alger, Baghlia est un pays de Cocagne où tout pousse à profusion. Et cela ne date pas d’hier. Créée en 1860, dans le département d’Alger, du temps de la France coloniale, cette petite commune rurale a été baptisée du nom de Rébeval, un général de l’armée française sous Napoléon 1er.
Aujourd’hui, Baghlia l’Algérienne produit l’une des meilleures huiles d’olive du monde. Mûre, intense, fruitée, avec des parfums boisés, elle a déjà été primée à trois reprises lors de concours internationaux prestigieux. Elle a autant de caractère que le pays qui la produit.
Soutien de l’État
Étonnant, tout de même, qu’un pays de vignes puisse produire l’une des meilleures huiles du monde et l’une des plus primées aussi. Une remarque à laquelle Hamid Kiared, 57 ans, l’homme derrière ce succès, répond d’abord par un grand rire : « Vous savez, l’Algérie est un pays vaste. Et, contrairement à l’idée répandue selon laquelle la Kabylie est le pays de l’olivier par excellence, il y a des oliveraies partout, y compris à Tissemsilt, Aïn Defla, Djelfa, et spécialement dans les hauts plateaux. ».
C’est quand le climat est aride et la terre pauvre et ingrate que l’olivier donne le meilleur de lui-même.
Ces dernières années, sur ces terres semi-arides qui n’ont connu que les grands troupeaux de moutons, l’olivier vient concurrencer l’alfa et l’armoise. « C’est quand le climat est aride et la terre pauvre et ingrate que l’olivier donne le meilleur de lui-même », souligne Hamid Kiared.
L’État algérien a beaucoup encouragé l’oléiculture à travers divers programmes et plans de grande envergure. Dans certaines régions, les agriculteurs ont planté des milliers d’arbres qui arrivent aujourd’hui à maturité. Seulement, au moment de la récolte, les huileries qui transforment les fruits en or liquide se trouvent parfois à des centaines de kilomètres. C’est là qu’intervient notre homme. Il sillonne ces contrées lointaines à la recherche du meilleur produit qu’il achète pour le transformer chez lui, à Baghlia.
Par amour et par passion
Au sortir de la guerre d’indépendance, la famille Kiared possède une moissonneuse-batteuse, même s’il n’y a pas beaucoup de blé dans cette région arboricole. La famille vire vers le béton en 1997, en investissant dans une petite fabrique de parpaings et de hourdis. Quand le papa Kiared décide d’acquérir son huilerie, c’est la seule à des dizaines de kilomètres à la ronde.
« Je devais choisir entre le béton et l’huile d’olive. Il y a beaucoup plus d’argent dans le béton, mais j’ai choisi l’huile d’olive par amour et par passion. On travaillait très bien, presque sans arrêt à la saison des olives », se souvient Hamid. Puis arrive le fameux programme Ansej, du nom de l’Agence nationale de soutien à l’emploi des jeunes.
L’Algérie de Bouteflika est riche de ses milliards de pétrodollars, et il suffit de monter un petit dossier administratif pour se voir accorder des crédits faramineux. C’est ainsi que des huileries ont été distribuées à des jeunes de la région sans aucune étude du marché. Les Kiared, qui détenaient le monopole, doivent désormais se partager la maigre clientèle avec les nouveaux venus sur ce créneau.
Le contraire de ce qu’il fallait faire
Qu’à cela ne tienne. Passionné par son métier, Hamid Kiared entreprend de voyager à travers les pays méditerranéens dotés d’une longue tradition et d’un savoir-faire en matière d’huile d’olive. Il veut comprendre et s’informer.
« Je me suis rendu compte qu’en Algérie on faisait exactement le contraire de ce qu’il fallait faire. Les Grecs et les Italiens transforment leurs olives fraîchement cueillies. Ils obtiennent d’abord une huile un peu amère, mais qui conserve toutes ses propriétés organoleptiques. Il suffit qu’elle se décante un peu pour perdre son amertume et libérer tous ses arômes. Nous, en Algérie, on laisse les olives macérer longtemps et pourrir avant de les triturer. Finalement, on obtient une huile plus douce au goût, mais, en réalité, son taux d’acidité est très élevé. Pis encore, elle aura perdu l’essentiel de ses bienfaits et de ses vertus », explique-t-il.
C’est la grande leçon que retient Hamid Kiared de ses voyages et qu’il s’empresse d’appliquer sur le terrain. En s’offrant une huilerie beaucoup plus sophistiquée, qui lui permet de contrôler la durée du malaxage, les températures, le contact de la pâte avec l’air et tout le processus qui assure la qualité du produit. Bingo !
Arnaques
Il reste à trouver des olives de qualité, mais là, plus question d’attendre que des familles apportent leurs maigres récoltes. Les grands vergers de Djelfa, Aïn Oussara, Tissemsilt et Mostaganem lui assurent qualité et quantité. « Là, on peut sélectionner non seulement la qualité mais aussi la variété de nos olives », se réjouit-il.
Un véritable trésor et un atout pour le capital santé des hommes.
Dès que le camion arrive, les olives passent directement au pressoir. « Nous mettons un point d’honneur également au respect des variétés car chacune a son goût spécifique. Et, depuis que nous avons commencé, nous sommes restés fidèles à notre processus pour assurer le même goût à nos clients. Il faut faire attention, car il y a beaucoup d’arnaques avec l’huile d’olive, comme avec le miel. » L’huile d’olive est ainsi parfois mélangée avec des huiles végétales bon marché. « Notre huile est très riche en phénols et en antioxydants. C’est un véritable trésor et un atout pour le capital santé des hommes », s’enorgueillit Hamid Kiared.
En matière de savoir-faire et de technologie, l’Algérie, qui produit de l’huile d’olive depuis l’Antiquité, a pris beaucoup de retard par rapport à son immense potentiel de production. « Il suffit de travailler dans les normes pour faire des produits de très grande qualité », affirme pourtant Hamid.
Nouvelle génération de consommateurs
Au départ, les choses ont été difficiles. « On produisait de l’huile vierge et extra vierge, mais elle est un peu amère, et les clients sont très peu habitués à cette amertume, qu’ils assimilent à une preuve de la mauvaise qualité du produit. En général, ils prennent un litre ou un demi-litre pour goûter. Quand cette huile qu’ils dédaignent au départ se décante, ils se rendent compte que, finalement, elle a un très bon goût », raconte Hamid.
Petit à petit, le succès est arrivé. « Les gens se sont habitués à nos produits. Pendant presque une année ils ne prenaient que la bouteille de 25 centilitres. Juste pour l’essayer. Aujourd’hui, il y a une nouvelle génération de consommateurs bien informés et qui savent ce que c’est une huile d’olive extra vierge. »
Après avoir conquis le marché national, il a fallu faire ses preuves à l’international. « Il y a trois ans, nous avons commencé à participer à un premier concours en Tunisie, puis à un concours national en Algérie. » En 2018, à Barcelone, dans un petit salon agroalimentaire, Hamid Kiared expose ses petites bouteilles d’huile sans trop y croire.
Passe un vieil homme au costume impeccable qui tient à goûter son huile. Il est le directeur de l’organisme World’s Best Olive Oils, et son verdict est sans appel : « Votre huile est excellente ! Vous devriez vous inscrire à notre concours. Il y a tous les pays, sauf l’Algérie », dit-il. Piqué au vif, Hamid Kiared décide de participer.
Une première distinction à Paris puis, coup sur coup, deux médailles d’or, l’une à Paris et l’autre à Athènes. Cette reconnaissance toute nouvelle ouvre des perspectives à l’exportation, qui a commencé timidement vers la France. La dernière médaille d’or décrochée par l’huile de Baghlia à un concours international organisé à Londres a été un formidable coup publicitaire pour la marque, qui ambitionne de conquérir les marchés européens et américains à partir du marché français.