Économie

Candidature africaine à l’OMC : comment le processus a déraillé

Alors que les membres de l’Union africaine s’étaient entendus pour présenter une candidature unique à la direction de l’OMC, cette résolution a fait long feu.

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Mis à jour le 3 juillet 2020 à 16:39

Abdel Hamid Mamdouh et Ngozi Okonjo-Iweala, les deux candidats africains en lice. © Montage JA

L’annonce le 15 mai de la démission « pour raison familiale », du directeur général de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), Roberto Azevedo, n’a pas seulement surpris l’ensemble de la communauté internationale, elle a également complètement rebattu les cartes de sa propre succession.

En quittant un an plus tôt que prévu les fonctions qu’il occupait depuis 2013, le Brésilien a provoqué une accélération soudaine du calendrier, en même temps que l’effondrement du bel ordonnancement pour une fois mis en place par l’Union africaine (UA) : depuis plus d’un an, l’institution défend le principe d’une candidature unique pour enfin voir un Africain diriger l’OMC en 2021.

Une démarche entérinée par les chefs d’État du continent, qui s’entendent alors également sur une procédure de sélection détaillée lors du sommet de Niamey en juillet 2019. Sans succès, puisqu’un an plus tard, deux candidats africains, Abdel Hamid Mamdouh et Ngozi Okonjo-Iweala, se font encore face, à quelques jours du processus de désignation  qui doit démarrer le 8 juillet.

Coup de théâtre

La situation était encore plus confuse début juin, juste avant que l’OMC ne lance officiellement sa campagne de renouvellement. Le Béninois Éloi Laourou, le Nigérian Yonov Frederick Agah étaient alors sur la ligne de départ au côté de l’Égyptien Abdel Hamid Mamdouh, pendant que le nom de la Kényane Amina Mohamed revenait en boucle dans les médias anglo-saxons.

Quelques jours plus tard, cette dernière était désormais pressentie pour prendre le secrétariat général du Commonwealth, pendant qu’Éloi Laourou abandonnait la course pour se ranger derrière l’invitée de la dernière heure, Ngozi Okonjo-Iweala, devenue subitement la candidate d’Abuja en lieu et place d’un Yonov Frederick Agah appelé à s’effacer, semble-t-il sur injonction directe du président Muhammadu Buhari. « Et au mépris du processus de sélection établi par l’UA », fustige Abdel Hamid Mamdouh, qui se considère aujourd’hui comme le seul candidat officiellement soutenu par l’organisation panafricaine.

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Et il l’est dans les faits. Selon le processus acté à Niamey, les États africains avaient en effet jusqu’à la fin du mois de novembre 2019 pour présenter leurs candidats, confirmés ensuite lors du sommet d’Addis-Abeba en février. À cette date, le Conseil exécutif ministériel de l’UA avait entériné les trois candidatures Laourou, Agah et Mamdouh. À charge pour les membres du comité des candidatures de sélectionner l’un d’entre eux pour représenter l’Afrique lors de la prochaine élection, dont la campagne est alors attendue pour démarrer en décembre 2020.

Appui de Washington

Avant que l’irruption du Covid-19, conjuguée au soudain départ d’Azevedo ne fasse dérailler le processus. Le conseil exécutif de l’UA n’a pas pu se réunir comme convenu à N’Djamena au mois de mai, au moment où s’aiguisaient peut-être des appétits plus grands à mesure que raccourcissait le temps. C’est en tout cas le moment choisi par le Nigeria pour escamoter son candidat officiel, directeur général adjoint de l’OMC depuis 2013 mais inconnu du grand public, au profit d’une personnalité bien plus réputée.

« Même si ce n’est pas un concours de beauté », comme le rappelle Abdel Hamid Mamdouh, le profil des candidats compte. Et celui de Ngozi Okonjo-Iweala en impose, avec ses vingt-cinq années passées au sein de la Banque mondiale, dont quatre en tant que directrice générale, et ses différents mandats aux ministères des Finances et des Affaires étrangères de son pays. Notamment aux yeux des États-Unis, qui selon différents canaux diplomatiques auraient pesé de tout leur poids – qui est grand au sein de l’OMC -, pour pousser leur allié nigérian à revoir sa copie.

« Le retrait d’Éloi Laourou, suite au lobbying important des Égyptiens, a poussé Washington à intervenir pour ne pas se retrouver avec la seule option Mamdouh, qui n’a pas ses faveurs », croit savoir un ambassadeur européen en poste à Abuja. Et passant outre la procédure convenue avec le reste du continent, le Nigeria a présenté sa nouvelle candidate directement auprès de l’OMC, qui s’est dépêchée de l’officialiser le 9 juin.

Ira-t-on jusqu’au duel fratricide ?

Le conseil juridique de l’organisation panafricaine peut bien rappeler, dans un communiqué publié quelques jours plus tard, que la candidature d’Okonjo-Iweala sort du cadre, cela n’empêche pas cette dernière de revendiquer aujourd’hui le soutien officiel d’Addis-Abeba. Et par un étonnant tour de passe-passe, c’est désormais l’Égypte qui est sommée de retirer le dernier candidat officiellement approuvé par l’UA, au nom de la sacro-sainte unité du continent.

Ce que refuse d’entendre Abdel Hamid Mamdouh, qui estime, comme beaucoup d’autres en Afrique, que la candidature Okonjo-Iweala présente quelques failles qui pourraient lui coûter cher à l’heure des comptes. Ses critiques lui reprochent d’être trop politique pour occuper un poste qui demande surtout du doigté et de la diplomatie. Elle a également fait toute sa carrière dans le secteur bancaire et financier, « et connaît peu les grands dossiers du commerce international », rappelle un diplomate africain depuis Genève.

Bien que soutenue par l’ensemble des pays de la Cedeao et, semble-t-il, par certains poids lourds africains comme l’Afrique du Sud, Ngozi Okonjo-Iweala ne fait pourtant pas l’unanimité sur le continent. Elle devra donc convaincre le caucus africain réuni à Genève juste avant la date fatidique du 8 juillet, de la pertinence de sa candidature, malgré le non-respect de la procédure.

Dans le cas contraire, prendra-t-elle le risque de passer outre et de réduire les chances de succès de l’Afrique ? Tout duel fratricide ne ferait que renforcer les chances des autres prétendants, le Mexicain Jesus Seade Kuri, le Moldave Tudor Ulianovschi ou la Sud-Coréenne Yoo Myung-hee, d’occuper le 1er septembre un fauteuil qui semblait pourtant tendre les bras à l’Afrique.