On l’appelle le Coca-Cola algérien, mais ce n’est pas exactement ça. D’abord, le Selecto a un goût de cidre et il est moins sucré que son concurrent américain. Et la boisson, tout comme Hamoud Boualem, la marque qui la fabrique depuis plus d’un siècle, est devenue un symbole de contre-culture, présent dans des clips de rappeurs comme Booba jusqu’aux œuvres d’illustrateurs en Algérie, tel El Moustach. Contrairement à la marque rouge et blanc, devenue un symbole presque négatif du « capitalisme sauvage », Hamoud est l’identifiant d’une résilience bien algérienne. Et l’histoire du groupe l’illustre parfaitement.
Success-story
À l’origine de la success-story, un simple ouvrier algérois, au milieu du XIXe siècle. En 1848, trente ans avant la création de la première usine Hamoud, Youcef Hamoud travaillait dans une fabrique d’eau gazeuse. Trois ans plus tard et après avoir acquis une certaine connaissance du métier, il décide de lancer sa propre entreprise de limonade dans le quartier populaire de Belcourt (devenu Belouizdad à l’indépendance).
Réalisant vite qu’il ne maîtrise pas le procédé de mise en siphons nécessaire à la préservation du gaz et des liquides, Youcef Hamoud part à Marseille, où il intègre en tant qu’ouvrier une entreprise de fabrication d’eaux gazeuses pour parfaire ses connaissances.
La limonade remporte plusieurs reconnaissances internationales, dont une médaille d’or à l’Exposition universelle de Paris en 1889
« Maître enfin de tous les secrets de son art, il repassa la mer et alla créer, à Alger, cette grande maison », note à la fin du XIXe siècle la revue française Le Panthéon de l’industrie dans un portrait consacré à « Joseph » Hamoud.
C’est donc en 1878 que l’industriel construit la première véritable usine, toujours à Belcourt. En un temps relativement court, il installe des unités auxiliaires en Algérie et à l’étranger : Tanger, Tunis et Alexandrie comptent toutes des annexes Hamoud en 1883. Parallèlement, la limonade remporte plusieurs reconnaissances internationales, dont une médaille d’or à l’Exposition universelle de Paris en 1889. La même année, le nom de la limonade « Hamoud » est déposé.
Le Selecto naît en 1907, vingt ans après Coca-Cola
Baptisé d’abord « Victoria », puis renommé pour souligner la sélection minutieuse des matières premières, le Selecto naît en 1907, vint ans après Coca-Cola. La compagnie, elle, est rebaptisée « Hamoud Boualem » en 1924 par son gérant, Boualem Hamoud, le petit-fils de Youcef. Ce dernier restera à la tête de l’entreprise durant la Seconde Guerre mondiale.
Il verra Coca-Cola entrer sur le marché algérien en 1942, avec l’armée américaine arrivée en Afrique du Nord. La concurrence et la guerre conduisent Hamoud Boualem à la faillite en 1947, malgré les tentatives de diversification de ses activités, notamment dans la fabrication de pâtes alimentaires.
L’entreprise est alors reprise par un consortium de banques, qui la revend à la Compagnie des boissons d’Algérie. Les deux enfants de Hamoud Boualem, Youssef et Tamani, ainsi que leurs alliés, les Bensmaine et les Hafiz, arrivent à racheter la compagnie en 1951 et en font une Société à responsabilité limitée (SARL), un statut juridique qu’elle gardera jusqu’en 2008.
Les propriétaires de l’entreprise s’impliquent et soutiennent financièrement le combat pour l’indépendance
La guerre de libération approche alors à grands pas et, une fois qu’elle s’est déclenchée, en 1954, les familles propriétaires de l’entreprise s’impliquent et soutiennent financièrement le combat pour l’indépendance. Ce geste permet à la société de survivre à la nationalisation des compagnies privées qui suit l’indépendance. L’État reprend uniquement la filière de pâtes alimentaires.
Ses annexes à l’étranger et dans le reste de l’Algérie ayant disparu depuis longtemps, Hamoud Boualem ne pouvait fabriquer et vendre ses boissons gazeuses que dans la région algéroise. L’entreprise continue d’exercer cette activité limitée, comparée à celle de ses années de gloire, depuis l’ère Houari Boumédiène jusqu’aux années 1990. Sous la pression d’une nouvelle guerre, contre le terrorisme cette fois, la société n’a pas pu profiter de la libéralisation de l’économie, mais a une nouvelle fois fait preuve d’une grande résilience face à l’instabilité.

Société Hamoud Boualem, Algérie© Omar Sefouane Société Hamoud Boualem, Algérie © Omar Sefouane
Ce n’est qu’en 2000, à la sortie du tunnel de la guerre civile en Algérie, que Hamoud Boualem accorde sa première franchise. L’entreprise Parot décroche alors une licence pour la fabrication et la distribution en France du Selecto et de la limonade Hamoud.
Profitant du retour de la stabilité au début du IIIe millénaire, l’entreprise renoue avec l’expansion et lance une unité à Oran en 2007 et une nouvelle usine à Boufarik, entrée en production en 2015, à côté de la société de fabrication de jus de marque Jutop, qu’elle a rachetée. Hamoud Boualem acquiert également, au cours de la même période, deux entreprises d’embouteillage d’eau de source : Alma, à Béjaïa ; et Dhaya, à Sidi Bel Abbès. Des investissements qui ont porté le volume de production à 370 millions de litres par an.
Logo et étiquettes plus épurés
En 2014, l’entreprise a mis au point une opération de marketing visant à rajeunir l’image de la marque. Le logo et les étiquettes sont devenus plus épurés, plus modernes. Les campagnes de publicité ont adopté des slogans tels que « Tu peux passer le ramadan sans Hamoud Boualem ? », devenus des répliques cultes dans le parler algérien et témoignant du succès de la stratégie qui visait à projeter l’entreprise dans l’avenir. « Hamoud Boualem est une marque jeune. Elle s’adresse également aux enfants », déclarait dans la presse, à l’époque, Lyamine Lerari, secrétaire général de la société. La marque avait même commencé à l’époque à distribuer ses produits en canettes, une première.
Les investissements et la communication permettent à Hamoud Boualem de tenir tête aux multinationales sur le marché algérien
Si les investissements et la communication permettent aujourd’hui à Hamoud Boualem de tenir tête aux multinationales sur le marché algérien (deuxième plus grande part du marché des sodas), l’export reste timide. Le groupe détient des circuits de distribution en France, en Belgique, en Espagne, au Royaume-Uni et au Canada, où il y a de grandes communautés d’immigrés algériens, mais l’exportation ne représente que 1 % du chiffre d’affaires. Un décalage avec le succès de l’image de la marque que les responsables expliquent par leur priorisation du marché algérien.
« À chaque fois qu’on songe à aller vers l’exportation de nos produits, ils sont très vite absorbés par le marché national du fait que ce dernier est en pleine croissance », expliquait encore en 2018 Lerari au journal en ligne Algérie Eco.
Le chiffre d’affaires de Hamoud Boualem, devenue une société par actions en 2008, est passé, selon les dernières données rendues publiques, de 7,7 milliards de dinars (65,5 millions d’euros) en 2015 à 8,4 milliards (71,7 millions) en 2016, soit une croissance de 9 %.