C’est un communiqué plutôt en rose qui devrait être publié à l’issue du sommet de Nouakchott. Passant en revue les quatre « piliers » du renforcement de la lutte anti-terroriste fixés à Pau, il en retiendra les effets positifs sur le plan militaire.
Le premier pilier concernait les opérations militaires et la priorité donnée à la zone « des trois frontières » (Burkina Faso, Mali, Niger). Une meilleure coordination de l’opération française Barkhane, portée à 5 500 hommes, et de la Force conjointe du G5 Sahel a permis de multiplier les offensives et de mettre hors d’état de nuire des centaines de combattants de l’État islamique au grand Sahara (EIGS) qui, de l’avis des responsables français, « a subi des défaites irréversibles ». Le leader algérien d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), Abdelmalek Droukdel, a été abattu dans le nord du Mali avec le concours des Américains, voire des services algériens.
À partir des mois de juillet et d’août, des forces spéciales de plusieurs pays européens viendront encadrer les militaires sahéliens au sein de la force Takouba. L’Union africaine projette d’envoyer 3 000 hommes en renfort. Le Mali et le Burkina Faso recrutent chacun plusieurs milliers de soldats.
Situation précaire
« Nous sommes sur la bonne voie, mais il est trop tôt pour crier victoire », a déclaré le 18 juin Florence Parly, ministre française des Armées, au Sénat. Comme l’a souligné l’ONU, la situation demeure précaire avec 4 000 morts décomptés en 2019, contre moins de 1 000 en 2015.
Le deuxième pilier était consacré au renforcement des capacités militaires des cinq armées. Les blindés, les transports de troupes, les gilets pare-balles, les systèmes de détection des mines artisanales, les moyens de transmission arrivent, mais trop lentement. Comme ils l’ont fait à chacun de leurs sommets, les chefs d’État du G5 Sahel souligneront avec amertume que la promesse de 420 millions d’euros destinés à améliorer l’efficacité de leurs armées n’a toujours pas été tenue. La livraison d’une première tranche de 100 millions est achevée. Une deuxième, également de 100 millions, sera effectuée d’ici juillet-août 2021.
Le troisième pilier devait être le retour de l’État dans les zones désertées sous les coups des terroristes ou par manque de moyens. Notamment au Mali, où le gouvernement contrôle à peine la moitié du territoire. Cela supposerait la mise en œuvre effective des accords signés à Alger en 2015 entre Bamako et les indépendantistes touaregs.
816 projets et 16,7 milliards d’euros
Le quatrième pilier était le renforcement de l’aide au développement afin de combattre la pauvreté, principale racine du terrorisme. Là encore, le compte y est surtout sur le papier. Créée à l’initiative de l’Allemagne et de la France en 2017, l’Alliance Sahel et ses treize membres (Allemagne, BAD, Banque mondiale, Banque européenne d’investissements, Danemark, Espagne, France, Italie, Luxembourg, Pays-Bas, Pnud, Royaume-Uni, UE) ont arrêté 816 projets et pensent dépenser 16,7 milliards d’euros, dont 11,6 milliards entre 2019 et 2026.
Une part de 30 % de ces projets sera consacrée à la décentralisation et aux services de base, une autre de 25 % ira au développement rural, à l’agriculture et à la sécurité alimentaire, et 18 % seront dévolus à la lutte contre le réchauffement climatique et à l’accès à l’énergie. Pour l’heure, les populations ne voient guère leur quotidien amélioré.
Qu’est-ce qui cloche dans le G5 Sahel ? L’idée en était excellente. Son inventeur, l’ex-président mauritanien Mohamed Ould Abdelaziz, refusait d’envoyer ses troupes combattre avec les Français au Mali, car cette guerre – d’origine tribale, selon lui – lui semblait impossible à gagner.
En revanche, avec un grand sens stratégique, il pensait qu’une mutualisation des moyens militaires des cinq pays du Sahel présentant les mêmes caractéristiques climatiques et socio-économiques leur permettrait de mieux affronter le terrorisme et de s’affranchir de la tutelle algérienne.
Pari gagnant
Il estimait qu’en assortissant cet impératif militaire d’une exigence de développement, les cinq pays seraient plus forts pour persuader la communauté internationale d’augmenter son aide.
Pari gagnant : la France a été ravie d’appuyer cette vision qui prouvait la volonté du Sahel de prendre en charge sa propre sécurité et qui laissait espérer un partage du fardeau avec d’autres bailleurs. Basé en 2014 à Nouakchott, le siège du G5 Sahel a été complété par l’installation du quartier général de sa Force conjointe de 5 000 hommes à Bamako à partir de 2017.
Faire abstraction de l’égoïsme institutionnel
Malheureusement, les erreurs ont gâché l’élan initial. Du côté des bailleurs de fonds, si on a su comptabiliser les efforts financiers auxquels chacun était disposé, on n’a pas été capable de faire abstraction de l’égoïsme institutionnel. Chacun a tenu à mener à bien son projet, de préférence spectaculaire, pour pouvoir y planter son drapeau. Cela a donné des lenteurs procédurières et des incohérences dues à des empilements de programmes. Alors que les populations auraient besoin de projets « capillaires » au ras de leurs besoins en eau, en écoles, en dispensaires, en pastoralisme, les chantiers plus visibles ont souvent été privilégiés. À Nouakchott, la France défendra l’idée de concentrer en priorité les projets sur dix localités tests où sera privilégiée la satisfaction de besoins essentiels (administration de la justice, présence policière, accès à l’eau et à l’électricité), qui est déterminante pour le retour de l’État dans les zones déshéritées.
Ne répétons pas l’Afghanistan où 100 milliards de dollars ont été dépensés en dix ans en pure perte
Comme l’exprime un acteur de l’aide, « ce ne sont pas les ministres avec qui il nous faudrait parler, mais avec les maires de villages qui savent mieux que tout le monde si leur école a besoin de bancs, de livres ou de murs. Ne répétons pas l’Afghanistan où 100 milliards de dollars ont été dépensés en dix ans en pure perte. Nous pourrions faire mieux et moins cher en ciblant les opérateurs de terrain, collectivités locales et associations, et en acceptant de donner plus de souplesse à l’exécution de nos projets. C’est la seule solution pour qu’on ne nous dise pas : vous prétendez dépenser des milliards, mais rien ne change ».
Les faiblesses intrinsèques des forces maliennes et burkinabè
Le G5 n’est pas exempt de critiques, lui aussi. « Dominées par un ennemi aux modes d’action évolutifs et qui a l’initiative, les forces armées maliennes et burkinabè révèlent leurs faiblesses intrinsèques (défaillance du commandement, manque de motivation, formation inadaptée, faible cohésion, effectifs insuffisants) et subissent les coups portés par les jihadistes », écrit Peer de Jong, vice-président de l’institut Themiis, dans un livre collectif à paraître chez L’Harmattan sous le titre Sécurité et Développement dans le Sahel.
Faut-il rappeler enfin le chancre de la corruption ? En février, le gouvernement nigérien a découvert qu’un détournement de fonds de 100 milliards de francs CFA (15 millions d’euros) avait été commis au détriment de son ministère de la Défense.
Faut-il souligner les dramatiques atteintes aux droits humains commises par des militaires qui repoussent les populations dans les bras des terroristes ? « Nous ne pourrons pas gagner les cœurs collectivement si des exactions telles que celles que l’on peut constater depuis plusieurs mois se développent et se perpétuent », a déclaré la ministre française des Armées.