C’était une grande première à la Haye. En raison de la pandémie de Covid-19, les audiences de la chambre d’appel de la Cour pénale internationale (CPI) se sont déroulées en partie par visioconférence. Durant trois jours, du 22 au 24 juin, juges, avocats, greffiers et interprètes prenant part au procès de Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé ont échangé par écrans interposés.
L’ex-président ivoirien, barbe de trois jours et veste noire, a assisté à une partie des débats en vidéo depuis sa résidence de Bruxelles. Son ancien ministre de la Jeunesse, costume ajusté et masque sur le visage, s’est pour sa part rendu à vélo au tribunal pour l’ouverture de l’audience. Aucun des deux hommes n’a toutefois pris la parole.
L’invalidation du procès en débat
Voilà pour la forme. Pour le fond, ces trois jours d’audience devaient permettre aux juges d’entendre les observations des différentes parties sur l’appel formulé par la procureure Fatou Bensouda contre l’acquittement de crimes de guerre et crimes contre l’humanité prononcé en faveur de Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé en première instance, en janvier 2019.
Devant la chambre d’appel, les substituts du procureur ont plaidé pour l’invalidation du procès et l’annulation de cet acquittement. Ils ont notamment pointé les vices de procédure qu’auraient, selon eux, commis les juges en première instance – et en particulier le fait qu’ils aient mis six mois à rendre un mémoire écrit justifiant leur décision (orale) d’acquitter Gbagbo et Blé Goudé. À l’époque, les magistrats avaient notamment souligné la « faiblesse exceptionnelle » des preuves présentées par la procureure.
« Il n’y a rien eu de neuf dans cette audience. Chaque partie a développé les arguments qu’on connaissait déjà. Le procès doit maintenant être conduit à son terme pour être totalement légitime. De notre côté, nous n’avons pas de prédictions à faire sur les décisions qui seront rendues par la chambre d’appel », réagi Me Jean-Paul Benoît, l’avocat de l’État de Côte d’Ivoire.

Fatou Bensouda, procureure générale de la Cour pénale internationale, en 2018. © Wiebe Kiestra pour JA
Pour Me Emmanuel Altit, Fatou Bensouda essaie de « sauver la face »
Les défenses de Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé, qui ont vu leur régime de liberté conditionnelle allégé fin mai, ont elles incriminé Fatou Bensouda et son bureau. « Le procureur semble vouloir à toute force obtenir une sorte de blanc-seing de la chambre d’appel, grâce auquel il serait dédouané de son échec et pourrait en faire porter la responsabilité sur les juges », estime Me Emmanuel Altit, l’avocat de Laurent Gbagbo.
Selon lui, le procureur essaie de « sauver la face, pour qu’il puisse donner l’impression au monde extérieur que l’acquittement ne serait pas de sa faute, que l’acquittement ne serait pas la conséquence naturelle, logique et inexorable d’une enquête bâclée qui a produit une preuve faible, ainsi que l’ont relevé les juges de première instance ».
Interminable procédure
Du côté de la Haye, cette procédure interminable, ouverte en 2011, pourrait encore durer. « La chambre d’appel peut confirmer, modifier ou annuler le jugement en première instance », explique Fadi El Abdallah, le porte parole de la CPI.
Concrètement, elle peut donc prononcer l’acquittement définitif de Gbagbo et/ou Blé Goudé, mais aussi demander la tenue d’un nouveau procès.
Reste maintenant à savoir quand ses juges rendront leur décision. Aucun délai n’a été donné. La réponse pourrait être connue dans des semaines, voire des mois. De quoi continuer à alimenter les spéculations sur le retour, tant espéré par leurs partisans, de Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé en Côte d’Ivoire.