« L’audience sera probablement reportée à la demande de la défense » pronostique un avocat à Tunis, alors que la demande d’extradition de Belhassen Trabelsi, engagée par les autorités tunisiennes, est examinée par le tribunal d’Aix-en-Provence, en France, ce 24 juin. Un report de plus, qui permettrait à l’ancien homme d’affaires, beau-frère du président Zine el Abidine Ben Ali, de retarder son éventuelle présentation devant un tribunal tunisien.
Belhassen, comme le désignait les Tunisiens, était l’un des plus redoutables entrepreneurs de l’ancien régime. Parti de rien, il est en 2011 à la tête d’un petit empire opérant dans le tourisme, l’immobilier, les technologies de l’information, le transport aérien et l’industrie. Sentant le vent virer à la tempête, le brasseur d’affaires prend la fuite à bord de son yacht quelques heures avant le départ de Ben Ali, avec sa femme et ses quatre enfants.
Il réapparaît fin janvier 2011 à Montréal, au Canada, mais ne parvient pas à obtenir le statut de résident. Entre temps, il est devenu un criminel en col blanc, faisant l’objet de 43 mandats d’arrêts internationaux et 17 mandats de recherche en Tunisie. Avec l’aide d’une ONG mandatée par Ben Ali, Belhassen Trabelsi est exfiltré du Canada et disparaît.
Sous contrôle judiciaire
On découvre à la faveur de son arrestation, le 14 mars 2019, due, selon une indiscrétion, à la délation d’un proche, qu’il vivait en France sous une fausse identité depuis 2015. Installé dans le sud de l’Hexagone, il menait une vie normale, continuait à gérer des affaires et à recevoir des proches.
Il est interpellé pour « blanchiment en bande organisée, recel, usage et complicité de faux documents administratifs » dans le cadre d’une affaire financière traitée par la juridiction inter-régionale spécialisée de Marseille. Après une période de détention à la prison des Baumettes, Trabelsi est libéré sous contrôle judiciaire mais est visé par une demande d’extradition présentée par les autorités tunisiennes. Et il est également rattrapé par d’autres affaires ainsi que par une autre demande d’extradition présentée aux tribunaux de Paris.
« Par souci de cohérence, nous allons solliciter un rapatriement des procédures vers la cour d’Aix, qui a été saisie la première », explique aux médias Xavier Noreguas, l’un des avocats de la défense, en octobre 2019. « La défense du prévenu multiplie les recours pour gagner du temps, assure quant à lui Lassaad Bennour, représentant de l’État tunisien, fin 2019. Je ne comprends pas la demande de jonction des dossiers et de rapatriement. »
Montrer patte blanche
Six mois plus tard, l’audience est programmée mais rien n’est encore joué. Les avocats tunisiens de Trabelsi, dont Mustapha Mohsen, sont sur le qui-vive et se refusent à tout commentaire. Ils savent que l’extradition de leur client a des chances d’être rejetée, même au lendemain de la première rencontre des présidents Kaïs Saied et Emmanuel Macron à Paris, le 22 juin.
La Tunisie doit montrer patte blanche et convaincre la justice française que l’accusé aura droit à un procès équitable dans son pays. L’oncle de Belhassen, Nacer, est décédé en prison en 2019 et son jeune frère, Imed, malgré des tractations avec la justice transitionnelle, croupit toujours en cellule.
Il faut tenir compte du populisme ambiant actuel. Avoir Belhassen, c’est décrocher un trophée
« Il faut aussi tenir compte du populisme ambiant actuel. Belhassen est un bien plus gros poisson que Imed. Avoir Belhassen, c’est décrocher un trophée. Non seulement, il peut être visé par une vindicte populaire mais il risque d’inquiéter le milieu des affaires en raison des révélations qu’il pourrait faire » commente un avocat proche du dossier.
Mais avant d’être reconduit manu militari en Tunisie, Belhassen Trabelsi doit être d’abord jugé, à tous les degrés, pour les faits qui lui sont reprochés en France. Et il pourra, si l’Hexagone accède à la demande tunisienne, présenter, après avoir épuisé tous les recours, une requête devant la Cour européenne des droits de l’Homme et faire prévaloir que la peine de mort est toujours en vigueur en Tunisie.
Une affaire qui est loin d’être finie même si pour l’instant Belhassen Trabelsi fait partie des exilés oubliés par l’opinion publique tunisienne, au même titre que l’autre gendre de Ben Ali, Sakr el-Materi et son père Moncef. La chambre d’instruction de la Cour d’appel du tribunal de Paris avait rejeté en 2018 la demande d’extradition de ce dernier pour prescription, manque de preuves et crainte d’une justice « partiale ».