Économie

Cnuced : « La concurrence en Afrique sera plus forte pour attirer les investisseurs »

Les investissements directs étrangers en Afrique pourraient chuter de 25 % à 40 % en 2020, mais l’espoir d’une reprise demeure. Entretien.

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Mis à jour le 22 juin 2020 à 14:30

Ouvrières du textile dans une zone industrielle spéciale en Éthiopie. © www.investethiopia.gov.et/

Le dernier rapport sur les investissements mondiaux publié par la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced) prédit une chute de 25 % à 40 % des investissements étrangers en Afrique en 2020. Toutefois, interrogé par JA, Alexandre Dabbou, en charge du bureau du directeur de la Division des investissements et des entreprises, estime que l’impact de la pandémie de Covid-19 pourrait être amorti et que la reprise pourrait être épaulée en 2021 par les grands projets publics d’aide à l’Afrique, le lancement de la Zone de libre-échange continentale et la multiplication des zones économiques spéciales (ZES), trois facteurs qui attireront les capitaux.

Jeune Afrique : Quelles sont les principaux enseignements du World Investment Report 2020 s’agissant du continent ?

Alexandre Dabbou : Le monde entier fait face à une pandémie qui a des effets extraordinaires sur l’économie mondiale. Cette pandémie révèle un tournant dans l’évolution de la production planétaire. Cette année, nous prévoyons que la conséquence immédiate de ce choc sur la demande et sur l’offre fera chuter les investissements directs étrangers (IDE) dans le monde de 40 %.

En Afrique, 2019 a vu un recul de 10 %, à 45 milliards de dollars (40 milliards d’euros), en raison du ralentissement des échanges et de la baisse des cours des matières premières. Nos experts sont extrêmement prudents, mais ils estiment que le recul des IDE sera compris cette année entre -25 % et -40 % en raison du climat de grande incertitude qui limite le nombre de nouveaux projets.

Ils prévoient une nouvelle légère baisse de -5 % à -10 % en 2021 et un léger rebond en 2022, la reprise mondiale s’effectuant « en U ».

les bénéfices des multinationales africaines chutent de 27 % en 2020

Les premiers symptômes de ce recul sévère sont-ils déjà perceptibles ?

Le nombre des projets de fusions-acquisitions ciblant l’Afrique au premier trimestre 2020 s’est effondré de 72 % par rapport au premier trimestre 2019. Non seulement le nombre des projets d’investissements y a chuté (-23 %), mais leur montant plus encore (-58 %). Nos craintes sont en train de se matérialiser.

Nous avons calculé auprès des 5 000 plus grandes multinationales des pays développés que leurs bénéfices reculeraient de 40 % cette année. Or la moitié de ces bénéfices se réinvestissent en IDE. Ceux des multinationales africaines chutent de 27 %. Cela ne présage donc rien de bon.

À Lire Classement 2019 des investissements en Afrique, avec des transactions en baisse

Toute l’Afrique est-elle logée à la même enseigne ?

La chute des flux d’IDE a été, l’an dernier, de -11 % en Afrique du Nord, sauf en Égypte (+11 %) qui demeure la première destination africaine pour les investissements. L’Afrique méridionale baisse de -22 %, l’Afrique du Sud chutant de -15 %.

L’Afrique de l’Ouest recule de -21 %, essentiellement en raison des nouvelles règles qui compliquent les investissements dans les hydrocarbures au Nigeria. L’Afrique de l’Est est mieux lotie (-9 %), bien que les apports de capitaux aient reculé d’un quart en Éthiopie en raison de tensions sociales. L’Afrique centrale baisse seulement de -7 %.

Entrées des IDE et bénéfices réinvestis en 2019 (volume et pourcentage) © Cnuced

Entrées des IDE et bénéfices réinvestis en 2019 (volume et pourcentage) © Cnuced

Quels sont les secteurs les plus touchés par cette désaffection des investisseurs ?

Ce sont ceux que pénalisent le plus le verrouillage sanitaire, c’est-à-dire les services, le tourisme, l’hôtellerie, l’aviation, mais aussi les projets destinés à mieux intégrer le secteur manufacturier dans les chaînes mondiales. La surabondance du pétrole et la chute des cours des matières premières ont stoppé les créations de capacités.

Voyez-vous quelques raisons d’espérer un rebond des investissements en Afrique ?

Plusieurs facteurs pourraient permettre de limiter les dégâts et d’épauler la reprise en 2021. Premièrement, les grandes économies ont lancé des grands projets pour les pays en développement et ils devraient être plus résilients car ils sont sous-tendus par des facteurs politiques et non par des calculs économiques.

Quarante pays africains sur 54 ont créé des zones économiques spéciales (ZES)

Ensuite, la Zone de libre-échange continentale permettra de créer un vaste marché qui attirera d’autant plus les investisseurs que la baisse des droits de douane entre les pays africains réduira leurs frais. Cette zone encouragera aussi les investissements intra-africains.

Enfin, nous avions noté dans notre rapport 2019 que 40 pays africains sur 54 avaient créé des zones économiques spéciales (ZES) qui sont attractives pour les IDE, car elles facilitent l’installation de nouvelles capacités de production.

À Lire Objectif janvier 2021 pour la Zone de libre-échange continentale

À quoi pourrait ressembler « le monde post-épidémie » pour l’Afrique ?

Le tournant que nous constatons ne date pas de la pandémie. Au cours des trente dernières années, nous avons connu vingt ans de croissance ininterrompue grâce aux chaînes de création de valeur de plus en plus sophistiquées et impliquant de plus en plus d’acteurs. Puis depuis dix ans, la production internationale stagne.

une révolution industrielle est à l’œuvre avec l’automatisation, la numérisation et l’impression 3D

Les investissements se font plutôt en capital. Ils se tournent plus vers des opérations financières. Les progrès technologiques permettent des investissements « intangibles », au titre desquels les multinationales peuvent piloter des projets sans être présentes physiquement dans les pays concernés.

Quelles sont les principales évolutions que vous observez ?

Nous voyons trois grandes tendances se dessiner, sans savoir comment elles vont interagir. D’abord, une révolution industrielle est à l’œuvre avec l’automatisation, la numérisation et l’impression 3D. Ensuite, on constate un retour du nationalisme économique. Enfin, l’exigence de durabilité s’impose au monde entier.

Certes, les opportunités seront nombreuses pour les investissements en Afrique et permettront à celle-ci d’intégrer les chaînes de valeur à un niveau plus élevé qu’aujourd’hui, mais à condition que des réponses politiques appropriées soient apportées aux projets, car la concurrence sera de plus en plus forte pour attirer les IDE.

Dans quels domaines par exemple ?

La consolidation des infrastructures, la concentration sur une demande régionale et les économies « verte » et « bleue », par définition durables.