Depuis son élection en octobre 2019, Kaïs Saïed se fait rare à l’étranger. Un saut à Oman, en janvier 2020, pour présenter ses condoléances après le décès du sultan Qabous Ben Saïd. Puis Alger en février, pour rencontrer son homologue Abdelmadjid Tebboune, lui aussi nouvellement élu. Paris est donc la troisième destination du chef d’État tunisien, dans un agenda international, il est vrai bousculé par la fermeture des frontières imposée par la pandémie de Covid-19.
Kais Saïed est aussi la première personnalité étrangère reçue à l’Elysée depuis la levée du confinement. Il est attendu à Paris ce lundi 22 juin en début d’après-midi, accompagné d’une délégation réduite. Aux côtés du président tunisien, sa directrice de cabinet, Nadia Akacha, cheville ouvrière de la partie tunisienne pour l’organisation de cette visite, décidée le 5 juin.
Font aussi partie du voyage le premier conseiller en charge des affaires diplomatiques, Othman Jarandi, le ministre des Affaires étrangères, Noureddine Erray, et celui des Finances, Mohamed Nizar Yaich. Le plan de vol exclut, curieusement, Selim Azzabi, ministre du Développement, de l’Investissement et de la Coopération Internationale, mais a le mérite d’être clair sur les priorités : politique étrangère et finances publiques.
Dîner officiel
Dès son arrivée à Paris, la délégation entamera la visite officielle par une réunion de travail élargie précisant les positions et les points évoqués lors des rencontres préparatoires, tenues en amont du voyage. Au menu : le soutien de la France au plan de relance économique de la Tunisie post Covid-19, le sommet de la Francophonie à Djerba – repoussé à 2021 -, et la désignation d’un ambassadeur et d’un consul de Tunisie en France. Les deux postes sont vacants depuis fin 2019.
La France est le principal partenaire économique de la Tunisie. Mais jusqu’ici, les deux présidents n’avaient pas eu l’occasion de se rencontrer, même si de part et d’autre, on insiste sur les échanges téléphoniques nombreux depuis l’élection de Kaïs Saïed en octobre 2019.
Un entretien entre les deux hommes est prévu au Palais de l’Elysée ce lundi, à 17h30 heure de Tunis. Emmanuel Macron et Kais Saïed tiendront, une heure plus tard, une conférence de presse commune, au cours de laquelle d’éventuels accords seront annoncés, avant de rejoindre la salle des fêtes pour un dîner offert par le chef d’Etat français en l’honneur de son homologue tunisien.
Le lendemain, Kaïs Saïed clôt sa visite par une interview à un média français et une rencontre avec la communauté tunisienne, très remontée contre l’augmentation des frais des services consulaires. La journée s’achèvera avec une visite à l’Institut du Monde Arabe (IMA) tenu par Jack Lang, un ami de longue date de la Tunisie.
L’épine libyenne
Tout au long de ces rendez-vous, le sujet le plus sensible abordé est celui du dossier libyen, et le rôle que pourraient jouer la France et la Tunisie, siégeant toutes deux actuellement au Conseil de sécurité de l’ONU. La tension est encore montée d’un cran à la veille de la visite, le président Abdel Fattah al-Sissi se tenant prêt à une « intervention directe » des forces égyptiennes sur le sol libyen, si les forces du Gouvernement d’union nationale (GNA), reconnu par l’ONU, s’emparait de la ville stratégique de Syrte.
Comme l’Égypte, la Tunisie partage une longue frontière avec la Libye – près de cinq cents kilomètres. Le pays espère une sortie de crise rapide, tant la guerre maintient le sud tunisien en tension maximale. Et agite les partis politiques. Les islamises d’Ennahdha (premier parti au Parlement) ont apporté leur plein soutien au GNA. Kais Saïed quant à lui s’en tient à une délicate neutralité, position réitérée début juin lors d’une conversation téléphonique avec Emmanuel Macron.
Tout au long du voyage, les parties tunisienne et française auront à cœur de mettre en avant la relation au beau fixe entre les deux pays, malgré l’insistance de certains partis politiques tunisiens à vouloir obtenir des excuses et des dédommagements de la France pour la période du protectorat. Une motion en ce sens a été débattue à l’Assemblée tunisienne en juin, et finalement rejetée.
Une semaine avant de s’envoler pour Paris, Kaïs Saïed a lui reçu à Carthage Sihem Ben Sedrine, ancien présidente de l’Instance vérité et dignité (IVD), qui dans son rapport sur la justice transitionnelle réclame à la France des excuses pour la période allant de 1881 à 1956. Nul n’était en mesure de dire ce dimanche, à Paris ou à Tunis, si ce passé sera abordé entre les deux présidents.