Économie

Start-up : pourquoi le capital-risque africain reste optimiste

Convaincus d’évoluer dans un secteur résilient, les investisseurs dans les jeunes pousses africaines demeurent enthousiastes malgré la crise…

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Mis à jour le 22 juin 2020 à 12:17

En Côte d’Ivoire, l’entreprise Kamtar propose des services logistiques grâce à une plateforme numérique faisant le lien entre transporteurs et clients. © Kamtar

Chipper Cash fait-elle partie d’une poignée de jeunes pousses privilégiées ? La start-up créée en 2017 par l’Ougandais Ham Serunjogi et son associé ghanéen Maijid Moujaled vient de lever la coquette somme de 13,2 millions de dollars (11,7 millions d’euros) lors d’un premier tour de table mené auprès de Deciens Capital, société de capital-risque californienne, et d’un groupe d’investissement privé basé à Boston, Raptor Group.

Localisée à San Francisco, où ses cofondateurs habitent depuis qu’ils ont terminé leurs études au Grinnell College dans l’Iowa, Chipper Cash est spécialisée dans le paiement mobile P2P(pair-à-pair) pour les marchés africains (Afrique du Sud, Ghana, Ouganda, Nigeria, Tanzanie, Rwanda et Kenya). L’entreprise devrait profiter de ce coup de pouce financier pour embaucher trente personnes dans ses bureaux de San Francisco, Lagos, Londres, Nairobi et New York.

Un capital-risque confiant

Une telle levée de fonds aurait-elle pu avoir lieu en ce moment sur le continent, alors que la pandémie de Covid-19 restreint encore les échanges économiques à l’intérieur et entre les pays ? Sur place, les principaux intéressés semblent confiants.

La plupart des sociétés de notre portefeuille ont réalisé en un seul trimestre ce qu’elles auraient fait en deux ou trois trimestres

« Les investissements continuent sur les mêmes montants, assure Cyril Collon, associé chez Partech Africa. Ce genre d’incertitude fait partie de notre quotidien et en termes de classe d’actifs, la tech est celle qui a probablement le moins souffert sur le continent et ailleurs », estime-t-il.

Au Caire où le couvre-feu est toujours de rigueur, Ibrahim Ramadan, associé senior chez Sawari Ventures, estime au contraire que « le capital-risque en tant que classe d’actifs n’a jamais été aussi pertinent qu’aujourd’hui. Et le secteur qui a connu un essor tout au long de cette période est justement celui de la technologie. La plupart des sociétés de notre portefeuille ont réalisé en un seul trimestre ce qu’elles auraient fait en deux ou trois trimestres », se réjouit-il.

De fait, les start-up ont plus que jamais besoin de financements pour survivre. Une étude publiée fin mai par le gouvernement britannique, menée au Nigeria auprès de 171 start-up en phase de démarrage et 14 capital-investisseurs, conclut que 15 % des jeunes pousses interrogées disposent d’une trésorerie leur permettant de tenir entre sept et douze mois. Environ 6 % sont capables de tenir entre 13 et 25 mois, le reste ne disposant que d’une visibilité sur six mois.

Parallèlement, 50 % des investisseurs interrogés se disent prêts à injecter un ticket de plus de 1 millions d’euros et deux tiers (64 %) d’entre eux considèrent qu’ils n’ont aucune raison de se désengager d’une opportunité de partenariat dans un investissement.

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Désengagement des grands investisseurs

La crise sanitaire n’est pourtant pas sans conséquence sur les professionnels de l’investissement. « Pour les gestionnaires qui essaient de lever de nouveaux fonds, la période n’est vraiment pas simple », reconnaît Ibrahim Ramadan. Selon lui, les investisseurs institutionnels, gros pourvoyeurs de cash pour les véhicules de capital-risque, sont encore frileux et attendent de voir quel visage aura la sortie de crise.

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La crainte d’un retrait des grands investisseurs se fait ressentir aussi en Afrique subsaharienne. « Dans l’écosystème africain, la majorité des investisseurs présents n’a pas le continent comme mandat principal », analyse Tidjane Dème, cofondateur de Partech Africa. « Dans cette période compliquée, nous nous attendons donc à voir un retrait du marché pendant un à deux ans et de ce fait une réduction du nombre d’investisseurs. Lorsque nous voudrons faire un syndicat, nous aurons plus de mal à trouver des suiveurs et cela aura des conséquences sur les levées de fonds en amorçage, série A ou série B », reconnaît l’ancien dirigeant de Google en Afrique.

Des métiers repensés

Le Covid-19 bouleverse également la pratique du métier. « Le plus problématique, c’est la partie concernant l’identification de cibles et les due diligence. Il faut désormais travailler encore plus avec des partenaires locaux, cultiver nos réseaux et travailler de concert avec nos homologues », confie Cyril Collon, co-dirigeant de Partech en Afrique. « On ne peut pas injecter 500 000 euros dans une entreprise qu’on ne peut pas ‘voir’ face-à-face », soutient Arthur Thuet, cofondateur de Saviu Ventures, un investisseur français à l’origine de Kamtar, une plate-forme de réservation de camions, et qui accompagne également la place de marché Afrikrea.

L’intensification des besoins se fait sentir sur d’autres thématiques que le financement. « Nous effectuons plus de réunions et sommes davantage en contact avec nos entreprises au quotidien car la fréquence des demandes de conseils stratégiques a augmenté », observe Ibrahim Ramadan.

Du reste, une certaine routine va demeurer encore quelques mois pour la plupart des acteurs secteur. À l’affût permanent d’opportunités à saisir, chacun dispose d’une pile de candidatures déposées avant la crise sanitaire qui n’attendent qu’à être analysée avec attention.