Kaïs Saied et Emmanuel Macron ne se sont jamais rencontrés. Mais dès la semaine prochaine, ce sera chose faite puisque le président de la république tunisienne, Kaïs Saied, sera en visite officielle en France les 22 et 23 juin. Il est ainsi le premier chef d’État reçu par le président Macron après la levée du confinement.
Les deux hommes ont à leur actif une résolution, présentée conjointement par la Tunisie et la France, appelant à une « cessation des hostilités» pour mieux lutter contre la pandémie de coronavirus, présentée le 8 mai au Conseil de sécurité de l’ONU. Si elle a été bloquée par les États-Unis, elle a néanmoins créé un lien entre les deux chefs d’État.
Depuis son investiture en octobre 2019, le locataire de Carthage s’entretient régulièrement avec son homologue de l’Élysée ; c’est d’ailleurs à l’occasion d’un échange le 5 juin que Kaïs Saied a répondu à l’invitation formulée par Emmanuel Macron il y a plusieurs mois et qui a été contrecarrée par la pandémie.
Visite de travail
Pour Kaïs Saied, ce premier déplacement dans un pays européen survient après un voyage au Sultanat d’Oman et une visite en Algérie. « C’est d’abord une visite de travail. Les équipes françaises et tunisiennes en charge de l’organisation de la visite se sont rencontrées ce matin », confie un proche de Carthage qui relève que les conditions sont exceptionnelles puisque la Tunisie, depuis le limogeage d’Abdelaziz Rassaa en décembre 2019, n’a pas d’ambassadeur de Tunisie en France.
« C’est le meilleur moment pour le président français, il sera ensuite pris par le second tour des municipales et l’été impose un ralentissement des visites » remarque un cadre du Quai d’Orsay.
Le dossier libyen sera sans doute au cœur des discussions entre Emmanuel Macron et Kais Saïed
D’autres voient plutôt dans le timing de cette visite une urgence. La pandémie a en effet ralenti la diplomatie française, notamment sur le dossier libyen qui, de toute évidence, sera au cœur des discussions entre Emmanuel Macron et Kais Saïed. La missive verbale du roi Mohammed VI transmise à Kaïs Saied par Nasser Bourita, ministre marocain des Affaires étrangères, lors d’un déplacement éclair à Tunis le 10 juin, concernait justement « la situation au niveau régional et international », le royaume chérifien ayant grandement contribué à la naissance de l’accord de Skhirate.
Aujourd’hui, Alger s’alarme de l’aggravation du conflit à ses frontières. Très concernée, la Tunisie a tenté à plusieurs reprises de jouer les négociateurs pour venir à bout de ce dossier épineux, en vain. En cause, sans doute, la trop grande proximité du premier parti du pays, Ennahdha, avec la Turquie et le Qatar.
Kaïs Saied expliquera certainement au président Macron que le pays « se range du côté de la légitimité » comme il a coutume de le souligner. Des propos que connaît bien le ministre des Affaires étrangères français, Jean-Yves Le Drian, qui a rencontré le chef de l’État tunisien en janvier 2020.
Coopération bilatérale
Il sera également question de coopération bilatérale : la France, qui accueille plus de 700.000 Tunisiens sur son sol, est le premier partenaire commercial de la Tunisie et contribue à soutenir ses projets de développement.
Sur le plan économique, le Covid-19 a changé la donne et impacte la Tunisie comme sous-traitant de l’aéronautique et du secteur automobile français. Difficile de faire des projections mais « il est question qu’Emmanuel Macron débloque des aides conséquentes à la Tunisie », confie le journaliste Taoufik Mjaied.
Les deux pays ont des objectifs communs en matière de lutte contre le terrorisme et de radicalisation
Les deux pays ont par ailleurs des objectifs communs en matière de lutte contre le terrorisme et de radicalisation. Mais il leur faudra rénover les bases de leur relation. En Tunisie, les mouvements nationalistes arabes donnent en effet de la voix ces derniers temps : ils estiment que la diplomatie française est trop intrusive et voudraient que le pays prenne ses distances avec Paris. La motion, rejetée par le parlement tunisien le 10 juin, réclamant des excuses et des dédommagements à la France pour la période du protectorat, est passée inaperçue dans l’Hexagone, mais a fait grand bruit à Tunis.
Aussi, l’affaire de la Compagnie générale des salines de Tunisie (Cotusal), filiale du groupe français Salins, a eu un effet négatif. Détenant le monopole de la production de sel en Tunisie, Cotusal fonde ses activités, moyennant une redevance dérisoire, sur une convention de 1949 dont les autorités locales n’ont jamais songé à revoir les clauses devenues obsolètes.
Il faut à présent poser les bases d’un nouveau rapport gagnant-gagnant.