« Lui, c’est lui ; moi, c’est moi »

Comment l’Angola, le Zimbabwe et l’Afrique du Sud ont-ils évolué depuis que le changement est survenu dans ces trois pays ?

L’ancien président sud-africain Jacob Zuma (à droite) en compagnie de Cyril Ramaphosa (à gauche) au Parlement à Cape Town, le 11 février 2016. © Mike Hutchings/AP/SIPA

L’ancien président sud-africain Jacob Zuma (à droite) en compagnie de Cyril Ramaphosa (à gauche) au Parlement à Cape Town, le 11 février 2016. © Mike Hutchings/AP/SIPA

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  • Béchir Ben Yahmed

    Béchir Ben Yahmed a fondé Jeune Afrique le 17 octobre 1960 à Tunis. Il fut président-directeur général du groupe Jeune Afrique jusqu’à son décès, le 3 mai 2021.

Publié le 17 mai 2018 Lecture : 5 minutes.

Édito. En ce début d’année 2018 et à la fin de la précédente, trois grands changements sont intervenus dans trois pays importants de la partie australe de notre continent. Aussi brusques qu’inattendus, ils ont suscité espoir et soulagement chez les Africains et chez ceux qui s’intéressent à l’Afrique. De l’eau a coulé depuis sous les ponts, et je vous propose de voir comment l’Angola, le Zimbabwe et l’Afrique du Sud, les trois pays concernés, ont évolué depuis le changement qui y est survenu.

En quête d’impunité

En Angola, deuxième producteur africain de pétrole, José Eduardo dos Santos, président du pays depuis trente-huit ans, a été contraint, par l’âge et la maladie, dit-on, de céder le pouvoir en septembre 2017 à l’homme qu’il a choisi : João Lourenço, qui était auparavant son ministre de la Défense. Il l’a désigné après une longue recherche au sein de son parti, le MPLA, et dans son proche entourage.

L’ancien président angolais José Eduardo dos Santos, en décembre 2007 à Lisbonne. © Paulo Duarte/AP/SIPA

L’ancien président angolais José Eduardo dos Santos, en décembre 2007 à Lisbonne. © Paulo Duarte/AP/SIPA

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Pour s’assurer que cette transmission n’occasionnerait que peu de changements, le président sortant a conservé la présidence du parti ; avant de quitter le pouvoir, il a placé les membres de sa famille et ses fidèles aux principaux postes civils et militaires de l’État. Précaution supplémentaire, il a mis son successeur dans l’impossibilité juridique de les en écarter.

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Au Zimbabwe, pour empêcher Robert Mugabe, 94 ans, président inamovible du pays et fondateur de la République, de laisser sa jeune femme gouverner le pays à sa place, des dirigeants de son parti et de son armée l’ont obligé à démissionner. En hommage à son passé, ils lui ont alloué un budget conséquent et garanti l’impunité. À sa place, ils ont installé un des leurs, son propre vice-président, Emmerson Mnangagwa.

En République sud-africaine, le président élu depuis neuf ans était Jacob Zuma. Par incompétence et amour excessif de l’argent, il conduisait son pays à la ruine et son parti, l’ANC, à la perte du pouvoir.Une aile de ce même parti a précipité la chute du président élu et installé en toute légalité Cyril Ramaphosa à sa place. Le nouveau président se tenait depuis vingt ans en réserve de la République.

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La justice passe

En apparence, les trois situations se ressemblent. Chaque fois, le parti au pouvoir a changé le chef de l’État pour être assuré de rester « aux affaires ». Mais, en réalité, elles sont très différentes, chaque pays ayant des spécificités qui ont été respectées. Comment ces trois grands pays africains ont-ils digéré le changement ? Quelle est leur situation aujourd’hui et que sont devenus les protagonistes de ces révolutions de palais ?

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En application d’une loi politique à laquelle nul ne peut se soustraire, les vainqueurs sont partout au pouvoir à la place des vaincus. Quant à ces derniers, ils sont non seulement écartés de toute responsabilité, mais menacés de sanctions, voire de poursuites judiciaires pour leurs fautes passées.

En Afrique du Sud, Jacob Zuma sera jugé sans complaisance. Mais il bénéficiera des garanties que les régimes démocratiques accordent aux prévenus. Le pays, dont l’économie était à la dérive, reprend espoir et commence à se redresser. Mais le chemin est long, et il faudra à ses citoyens beaucoup de patience. On espère qu’ils en feront preuve.

Jacob Zuma , l'ancien président sud-africain © WALDO SWIEGERS/AP/SIPA

Jacob Zuma , l'ancien président sud-africain © WALDO SWIEGERS/AP/SIPA

Au Zimbabwe, Mugabe n’aura droit au respect et à l’impunité que s’il accepte le changement au lieu de le contester, comme il a commencé de le faire. Mais on sait que son jugement est affecté par l’âge et que sa femme ne se résigne pas à sa défaite politique. Arrêtera-t-elle d’inciter Mugabe à réagir ? Il est loisible d’en douter et, de toute manière, une question se pose : qu’en sera-t-il pour elle le jour où elle perdra le bouclier que constitue son mari ? Rappelons que celui-ci a 92 ans.

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Pour l’heure, le nouveau président et son parti sont bien partis pour remporter les élections du mois d’août prochain, qui seront internationalement contrôlées. L’avenir du Zimbabwe dépend de ce qu’ils feront après cette légitimation.

La surprise angolaise

Le cas le plus original est cependant celui de l’Angola. Le vieux président dos Santos a donné l’impression de s’être retiré volontairement du pouvoir, après trente-huit ans de règne. Il a choisi et installé à sa place un successeur qu’il pensait fidèle et docile.

À la surprise générale – et de dos Santos en premier lieu –, João Lourenço s’est révélé être un homme politique d’un genre différent. Il avait eu la force de dissimuler sa vraie personnalité et n’a laissé paraître sa différence qu’après avoir accédé au pouvoir. Refusant de tirer sa légitimité de celui qui l’a nommé, il dit en somme aux Angolais, aux Africains et au reste du monde : « Lui, c’est lui ; moi, c’est moi. » Il a déjà limogé et menacé de poursuites le fils et la fille de son prédécesseur, que ce dernier avait placés là où est l’argent. Les généraux que dos Santos avait nommés avant de partir ont eux aussi été mis à l’écart. Et la purge continue.

Depuis 2002, l’Angola a encaissé 640 milliards de dollars de revenus pétroliers : une bonne partie de cette somme colossale s’est évaporée. Nul ne sait comment l’argent du pétrole a été dilapidé, car, pendant cette période, le pays a continué de s’endetter. Aujourd’hui encore, les deux tiers des Angolais vivent au-dessous du seuil de pauvreté. Il faudra donc que les responsables d’une telle faillite – et de ces fuites – passent en jugement ; il faudra que ceux d’entre eux qui se sont scandaleusement enrichis rendent gorge.

Jusqu’où João Lourenço ira-t-il ? Nul ne le sait, mais on prévoit qu’il complétera sa prise du pouvoir lors du congrès extraordinaire du MPLA, prévu au mois de septembre prochain. Ses paroles et ses actes au lendemain du congrès, les hommes et les femmes dont il s’entourera nous diront alors si l’Angola a une chance de sortir de « la malédiction du pétrole ». 178Pour l’Angola, pour l’Afrique du Sud et pour le Zimbabwe, l’année 2019 sera celle de la vérité.

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