Tendance : le tatouage, une question d’épiderme ?

Le tatouage artistique s’empare du continent africain. Mais marquer une peau noire ou très brune peut poser problème… et se faire « détatouer » tout autant.

Mandela, par le tatoueur Tiplo Tsotetsi. © Élodie Ratsimbazafy

Mandela, par le tatoueur Tiplo Tsotetsi. © Élodie Ratsimbazafy

leo_pajon

Publié le 19 avril 2018 Lecture : 5 minutes.

Elles semblent désemparées. Accoudées à une barrière, Océane et Myriam, 20 ans chacune, scrutent d’un air désabusé les centaines de tatoueurs et de tatoués qui déambulent au Mondial du tatouage, le salon spécialisé qui s’est tenu début mars à Paris. « Il n’y a que des Blancs, lâche Océane, Française d’origine béninoise à l’épiderme d’ébène. On cherche un tatoueur qui connaisse bien les spécificités de notre peau, mais on n’en a pas encore trouvé. »

Les amateurs d’encre sont de plus en plus nombreux sur la planète. Rien qu’en France, selon l’Institut français d’opinion publique (Ifop), ils seraient 7 millions, soit 2 millions de plus qu’il y a six ans. Aux États-Unis ? Selon le Pew Research Center, 45 millions… Aucun chiffre n’existe pour le continent africain, mais des dizaines de salons ont ouvert, ces dernières années. Et l’Afrique du Sud joue le rôle de précurseur, avec un événement spécifique, la South African International Tattoo Convention, dont la deuxième édition, regroupant 80 artistes internationaux, s’est tenue fin mars.

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Il y a cinq mille ans déjà

Mais, en Afrique, il s’agit moins d’une percée que d’une résurgence. Des scans à l’infrarouge effectués sur des momies d’Égypte conservées au British Museum (à Londres) ont en effet permis de faire une surprenante découverte. Des tatouages figuratifs (un taureau sauvage, un mouflon) ainsi que des signes en forme de S ont été retrouvés respectivement sur le haut du bras d’un homme et l’épaule d’une femme vivant dans le delta du Nil, il y a plus de cinq mille ans. Malgré l’expansion de l’islam sunnite, qui interdit l’altération du corps, et de courants chrétiens, notamment évangéliques, qui y voient un péché, des tatouages traditionnels séculaires subsistent aujourd’hui dans différentes régions du continent.

En Afrique du Nord, c’est le cas chez les Berbères. En Afrique subsaharienne, certaines ethnies, dont les Peuls, tatouent les lèvres, les contours des gencives et la bouche à l’aide de petites aiguilles de bois. De nombreux groupes ethniques accompagnent aussi les scarifications rituelles de « tatouages », en utilisant de la suie ou d’autres composants noirâtres. Mais les dessins qui fleurissent aujourd’hui sur l’épiderme des nouvelles générations n’ont la plupart du temps aucun rapport avec des marques rituelles ou ethniques.

En Afrique du Sud, Mandela a rejoint après sa mort les personnalités les plus demandées comme modèles de tatouage

Le Salon Abidjan tatouage piercing, à Treichville, inscrit ainsi dans la peau de ses clients des roses, des alouettes, le visage de Johnny Hallyday… voire des motifs d’inspiration japonaise ou polynésienne. En Afrique du Sud, Mandela a rejoint après sa mort les personnalités les plus demandées comme modèles de tatouage (avec Jésus-Christ et Marilyn Monroe).

Un tatouage et un pendentif du Christ. © ARNULFO FRANCO/AP/SIPA

Un tatouage et un pendentif du Christ. © ARNULFO FRANCO/AP/SIPA

Difficultés sur peaux noires

Reste que se faire tatouer lorsque l’on a la peau foncée n’est pas si évident. Christopher Kibali, 26 ans, peau noir de jais, rencontré dans les allées du Mondial du tatouage, peut en témoigner. « Quand on regarde des modèles, ils sont toujours photographiés sur peau ou feuille blanche, note le Français d’origine congolaise. Et face au rendu final sur des peaux très noires comme la mienne, on peut avoir de grosses déceptions. Elles ne réagissent pas du tout pareil. Certains tatoueurs ont refusé de me tatouer, peut-être pour cette raison, un autre m’a charcuté en insistant sur les traits, en plantant l’aiguille plus profond pour que le dessin apparaisse… j’avais du sang partout. »

En France, il n’y a pas de cours consacré au tatouage sur peau noire ou foncée

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Soulevant son tee-shirt, il pointe du doigt sa poitrine, désignant les contours d’une chouette qui apparaît en relief plus à cause des boursouflures des cicatrices que grâce aux pigments colorés. En France, une formation à l’hygiène, en école spécialisée, est désormais obligatoire pour qu’un tatoueur puisse exercer. Mais comme on le reconnaît à l’École française de tatouage, en banlieue parisienne, « il n’y a pas de cours consacré au tatouage sur peau noire ou foncée ».

Cécile Djunga aussi a déchanté. Cette pétulante comédienne de 28 ans d’origines angolaise et congolaise présente cette année la nouvelle émission Tattoo Cover sur la chaîne TFX, un programme de divertissement dans lequel des professionnels tentent de recouvrir des tatouages honteux (le dessin d’un petit pénis avec des bras) ou ratés (une araignée qui semble avoir été conçue par un artiste atteint de la maladie de Parkinson).

Mes amis tatoueurs Amy Mymouse et Marty Early, des professionnels réputés, m’ont dit d’oublier la couleur ! Sur ma peau, on n’aurait rien vu », raconte la comédienne Cécile Djunga

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Cécile Djunga est elle-même tatouée depuis cinq ans. « J’ai d’abord fait tatouer une simple phrase : “Believe in yourself and fly”, et puis j’ai eu envie de plus, d’un grand dessin en couleurs représentant trois femmes noires, l’une en wax, l’autre habillée comme une chanteuse des Supremes… Mais mes amis tatoueurs Amy Mymouse et Marty Early, des professionnels réputés, m’ont dit d’oublier la couleur ! Sur ma peau, on n’aurait rien vu. »

De fait, lors d’un tatouage, l’encre passe sous l’épiderme, puis apparaît par « transparence », mais certains pigments sont plus ou moins visibles en fonction de la teinte de la peau. « Il faut s’imaginer mettre un dessin coloré derrière une vitre teintée », résume le Californien Jorell Elie. Ses origines sud-africaine et coréenne font de lui l’un des très rares tatoueurs à peau sombre du Mondial du tatouage.

Un risque de cicatrices

Et les encres blanches ? « Elles peuvent disparaître ou devenir brunes, annonce son confrère africain-américain Brandon Flores. Il faut se dire qu’il vaut mieux utiliser une palette resserrée de couleurs vives, fortes, un rouge puissant plutôt qu’un rose pâle, par exemple. Et après, il faut faire le test. Moi-même, je ne peux pas dire exactement quelle réaction fera une couleur que je n’ai pas encore essayée. Sur une peau très noire, il n’y a que le noir qui passe. »

Un Noir doit finalement être encore plus attentif à la personne qui va s’occuper de sa peau », souligne Cécile Djunga

Autre mauvaise nouvelle, les peaux foncées sont plus susceptibles de faire apparaître des chéloïdes, des cicatrices épaisses, disgracieuses qui peuvent parfois provoquer des démangeaisons. « Et il faut veiller à bien hydrater, surtout les peaux foncées, une fois que l’on s’est fait tatouer, précise Jorell Elie. En ce qui me concerne, je passe de la lotion tous les jours ! » Les magnifiques dessins sur la peau du professionnel laissent un peu d’espoir.

Cécile Djunga, elle, étudie une version noir et blanc du tatouage dont elle rêvait, avec les trois personnages féminins… et prend ses précautions. « Un Noir doit finalement être encore plus attentif à la personne qui va s’occuper de sa peau, prévient la jeune femme. Il faut aller chez un vrai tatoueur : quelqu’un qui a un salon, qui ne travaille pas à domicile. Il faut prendre le temps de regarder son travail, de lui poser des questions… et de réfléchir à ce qu’on veut garder sur sa peau. » Et de partir dans un petit rire : « Trop de filles se retrouvent avec le même tatouage inspiré de Rihanna ! »

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