Cinéma : « Black Panther », une superproduction peu convaincante

Très attendue, la superproduction de Ryan Coogler, « Black Panther », donne enfin au super-héros noir le premier rôle qu’il attend depuis 1966. Mais, malgré un casting haut de gamme, les studios Marvel ne réussissent pas à donner au personnage la consistance qu’il mérite.

Black Panther, le nouveau film de Marvel. © Marvel

Black Panther, le nouveau film de Marvel. © Marvel

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Publié le 20 février 2018 Lecture : 6 minutes.

Il est grand, il est beau, il sent bon le vibranium chaud. Il vient du Wakanda, petite nation africaine très en avance sur le reste du monde et, s’il reste pour ses sujets le roi T’Challa, il est bien plus connu, dans ses habits sombres et tout à fait moulants, sous le nom de Black Panther.

Super-héros noir créé en juillet 1966 par Stan Lee (scénario) et Jack Kirby (dessin) chez Marvel Comics, quelques mois avant la naissance du parti du même nom, Black Panther a enfin droit, 52 ans plus tard, à un film rien que pour lui. Apparu sur grand écran dans Captain America: Civil War, en 2016, il y était incarné par l’acteur américain Chadwick Boseman.

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Ce même Chadwick Boseman enfile cette fois le costume et le collier à griffes pour plus de deux heures d’aventures, derrière la caméra de Ryan Coogler (Creed, l’héritage de Rocky Balboa), et en belle compagnie. Autour de lui : Forest Whitaker, Lupita Nyong’o, Danai Gurira, Andy Serkis, Michael B. Jordan, excusez du peu.

Occasions manquées

Évidemment, il serait confortable de se réjouir haut et fort et de louer les studios Marvel pour leur ouverture d’esprit. Hélas, trois fois hélas, le rendez-vous a la triste saveur des occasions manquées.

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Sans doute faut-il être indulgent avec le scénario, qui a pour ambition de lancer la série. Il tient en quelques lignes : héritier du trône après l’assassinat de son père, T’Chaka, T’Challa rentre chez lui et prend la tête d’un pays dont l’équilibre est menacé.

Les acteurs restent fades et monolithiques, desservis par des dialogues où l’on ne retrouve guère l’humour qui fait parfois merveille dans ce genre de production

Le vibranium qui a permis les avancées technologiques du Wakanda est en effet très convoité, notamment par des marchands d’armes sans scrupule, et le statut même du pays, replié sur lui-même, sa paix et sa richesse, suscite chez certains une forte opposition. Black Panther-T’Challa doit donc affronter successivement un vilain mercenaire, Ulysses Klaue (Andy Serkis), et un très très vilain Wakandais, Erik Killmonger (Michael B. Jordan), lequel est néanmoins armé d’une belle résolution, celle d’aider les siens, partout maltraités. Jusque-là, tout va bien, du pur Marvel.

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Mais la sauce, qui pourrait pourtant bénéficier des quelque 50 années d’existence du héros de comics, ne prend pas. Soit que les ingrédients manquent, soit qu’ils soient en surnombre. À l’exception de Danai Gurira, qui incarne la chef des Dora Milaje – l’unité spéciale wakandaise, composée uniquement de femmes –, et d’Andy Serkis, les acteurs restent fades et monolithiques, desservis par des dialogues où l’on ne retrouve guère l’humour qui fait parfois merveille dans ce genre de production. Même le, d’habitude, excellent Forest Whitaker semble se demander pourquoi il est venu patauger dans cette galère.

Casting du film Black Panther © Marvel

Casting du film Black Panther © Marvel

Décors en carton-pâte

Pas bien grave, dira-t-on, pourvu qu’on en prenne plein la vue. Eh bien, là aussi, c’est raté ! L’Afrique est sans doute un continent bien trop éloigné des studios Marvel pour qu’on prenne la peine (ou qu’on coure le danger ?) d’aller y tourner quelques scènes.

Entre les scènes tournées sur les fausses chutes d’eau et celles filmées dans des serres tropicales, difficile de dire lesquelles sont les plus pénibles à regarder

Alors au lieu de planter sa caméra dans les majestueuses gorges d’Oribi, en Afrique du Sud, le réalisateur a fait construire les décors en studio, à Atlanta. En particulier des cascades de onze mètres de haut où circulaient en boucle quelque 500 000 litres d’eau.

Passons sur le gaspillage, mais ces kilos de carton-pâte accumulés sont une vraie douleur pour les yeux. Douleur que des tartines d’effets numériques mal contrôlés ne peuvent malheureusement effacer. Et, entre les scènes tournées sur les fausses chutes d’eau et celles filmées dans des serres tropicales dont le sol avait été préalablement tartiné de terre rouge, difficile de dire lesquelles sont les plus pénibles à regarder…

Les tenues folkloriques et les coiffures colportent une vision stéréotypée, pour ne pas dire ridicule, de l’Afrique

D’accord, disons qu’il ne s’agit que d’un décor. Et les Wakandais, alors ? Dans ce pays qui offre à son roi une très érotique combinaison fourrée au vibranium, le peuple a droit à un gloubi-boulga de tenues folkloriques empruntées à toutes les supposées traditions du continent. Coiffures vaguement zouloues, tenues vaguement masaïs, peintures corporelles vaguement oromos, scarifications rituelles, plastrons en métal et colliers de perles, motifs chatoyants et bigarrés garantissent une absence totale d’unité et, plus grave, colportent une vision stéréotypée, pour ne pas dire ridicule, de l’Afrique.

Une sensation accentuée par les terribles scènes de chamanisme au cours desquelles T’Challa et Killmonger entrent en contact avec leurs ancêtres. Après avoir été ensevelis sous quelques kilos de latérite tamisée, ceux-là retrouvent leurs ancêtres dans un monde psychédélique où le soleil – à moins qu’il ne s’agisse d’aurores boréales conçues sous psychotropes – se couche derrière d’incontournables acacias…

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D’accord, personne n’est là pour une visite touristique de l’Afrique, ce que l’on veut c’est des combats, des explosions, des retournements de situation. Échec là aussi, la chorégraphie de la violence, spécialité des Marvel et autre DC Comics, n’est ici ni virtuose ni originale, mis à part peut-être dans les mouvements de lance d’Okoye et dans le choc entre un rhinocéros cuirassé et un vaisseau futuriste (en Afrique, il y a forcément un rhinocéros quelque part, n’est-ce pas ?). La pauvre Letitia Wright (Shuri, sœur de T’Challa) fait pour sa part presque peine avec ses gadgets technologiques – jolie, mais pâle copie de M, dans James Bond

Absence de dimension politique

Heureusement, il y a la politique ? Désolé, mais c’est encore non, et, pour le coup, les producteurs comme le réalisateur n’ont aucune excuse. Le personnage de Black Panther représente beaucoup pour ceux qui, tout jeunes, ont suivi ses aventures, contemporaines de la lutte pour les droits civiques. Bien entendu, créé par des Blancs dans le monde blanc des comics, le super-héros est ambivalent, évoluant au cours des décennies, rebaptisé un temps « Black Leopard » pour qu’il ne soit pas directement associé aux Black Panthers, ou, plus récemment, repris côté scénario par l’écrivain engagé Ta-Nehisi Coates.

Mais sa dimension politique est bel et bien présente, que ce soit dans l’un des premiers romans graphiques de l’univers Marvel (Panther’s Rage) ou dans l’épisode Panther vs The Klan, au cours duquel il affronte le Klu Klux Klan. À vrai dire, son existence même est politique.

À l’heure de Donald Trump, à l’heure des Black Lives Matter, alors même qu’ils savaient pertinemment l’attente suscitée par l’apparition du héros sur grand écran, les studios Marvel ne pouvaient faire l’impasse sur la question. Clins d’œil, références cryptées, sous-entendus, citations, situations, tout était possible pour aller un peu au-delà du film d’action benêt. Ce d’autant que le monde des comics, tant littéraire que cinématographique, est loin d’être naïf.

Si certains avancent avoir vu dans l’affrontement entre T’Challa et Killmonger un remake de l’opposition entre Martin Luther King et Malcolm X, c’est qu’ils ont sans doute beaucoup d’imagination

Dépoussiéré par le scénariste très politique Alan Moore (Watchmen, V pour Vendetta) comme par les réalisateurs Peyton Reed (Ant-Man) et Christopher Nolan (The Dark Knight), il se prête à bien des métaphores.

Que propose donc Black Panther en la matière ? Rien, à l’exception de deux lignes de dialogue démagogiques sur le pillage des œuvres cultuelles par les puissances coloniales. Si certains avancent avoir vu dans l’affrontement entre T’Challa et Killmonger un remake de l’opposition entre Martin Luther King et Malcolm X, c’est qu’ils ont sans doute beaucoup d’imagination. Quant à l’idéal démocratique du Wakanda, pas sûr qu’il représente vraiment les aspirations des peuples africains : lorsqu’un nouveau roi doit être couronné, quiconque peut le défier en combat singulier. Le plus violent remporte le trône… Cela vous rappelle quelque chose ?

Alors oui, grosse déception. Mais, soyons optimistes, le règne de T’Challa ne fait que commencer, il reviendra très vite avec ses potes super-héros dans Avengers : Infinity War. Et, on l’espère, dans un film à sa juste mesure.

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