Me Dadjé : Gbagbo un jour, Gbagbo toujours

Depuis dix ans, Ange Rodrigue Dadjé défend les caciques de l’ancien régime, affichant sa complicité avec l’ex-première dame. Portrait d’un avocat militant qui collectionne les affaires sulfureuses.

Simone Gbagbo lors d’un rassemblement de soutien à Laurent Gbagbo, à proximité d’Abidjan, le 15 janvier 2011. © Rebecca Blackwell/AP/SIPA

Simone Gbagbo lors d’un rassemblement de soutien à Laurent Gbagbo, à proximité d’Abidjan, le 15 janvier 2011. © Rebecca Blackwell/AP/SIPA

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Publié le 25 octobre 2017 Lecture : 6 minutes.

Pour trouver Ange Rodrigue Dadjé, il faut suivre les affaires ivoiriennes les plus sulfureuses du moment. Un jour, il est dans le prétoire aux côtés de Bruno Dogbo Blé, l’ancien chef de la garde républicaine de Laurent Gbagbo et l’un des hommes les plus craints du pays – même derrière les barreaux –, multipliant les selfies et les diffusant sur les réseaux sociaux. Un autre jour, c’est au bras de Simone Gbagbo qu’il pénètre dans la cour d’assises. Déjà condamnée à vingt ans de prison, elle est alors poursuivie pour crimes contre l’humanité. Mais Me Dadjé affiche sa complicité avec l’ancienne première dame. Lui qui a fait de la défense des anciens dignitaires du régime de Laurent Gbagbo sa spécialité aime la provocation et les procès explosifs. Et semble n’avoir peur de rien. Pendant les audiences, seul le tressaillement compulsif de sa bouche trahit parfois sa nervosité.

Dans son bureau sombre et modeste du Plateau, à Abidjan, s’entassent les piles de dossiers traitant des crimes les plus graves : atteinte à la sûreté de l’État, assassinats, crimes de guerre… « Mes clients sont innocents. Je ne dis pas cela parce que je suis leur avocat, mais j’en ai la conviction », dit-il, de son débit rapide et percutant, le même que celui qu’il déverse pendant des heures devant les juges.

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L’avocat des pro-Gbagbo

S’il lui arrive parfois de s’emporter dans les salles d’audience, de tenir tête aux juges et de défier les puissants, en privé, Ange Rodrigue Dadjé rivalise d’amabilités. Avec ses petites lunettes cerclées et ses bonnes manières, l’avocat des pro-Gbagbo a quelque chose d’un premier de la classe.

À 43 ans, il est l’une des stars du barreau ivoirien. Tous ses confrères, qu’ils soient alliés ou adversaires, le reconnaissent : il est aussi l’un des plus doués.

C’est au début des années 2000 qu’Ange Rodrigue Dadjé a commencé à chuchoter à l’oreille des caciques du régime Gbagbo. Le leader socialiste est alors au pouvoir.

Parmi ses clients : les barons de la filière café-cacao, secteur aussi opaque que stratégique pour le pouvoir.

Jeune diplômé et spécialisé dans le droit des affaires, il intègre le cabinet de Sylvère Koyo, l’un des avocats les plus importants de la place abidjanaise, qui lui ouvre son carnet d’adresses. Il rencontre le gotha des grands patrons ivoiriens et plonge dans leurs affaires financières.

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Parmi ses clients : les barons de la filière café-cacao, secteur aussi opaque que stratégique pour le pouvoir. Il pénètre alors les secrets de la République. Bien plus qu’un avocat, Ange Rodrigue Dadjé est déjà un militant.

« Ses convictions politiques n’étaient un mystère pour personne. Il exprimait clairement son rejet de la rébellion des Forces nouvelles et son soutien total au régime Gbagbo », confie l’un de ses confrères du cabinet. Cet évangélique fait de son métier un véritable sacerdoce.

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L’argent n’est pas son moteur

Originaire de Gagnoa et bété comme Gbagbo, il est proche des mouvements socialistes depuis ses années de fac, à l’université d’Abidjan.

Il fraie alors avec la Fesci, principal syndicat étudiant, et en rencontre le charismatique leader, Charles Blé Goudé, devenu depuis un de ses proches amis et désormais jugé à la Cour pénale internationale pour crimes contre l’humanité.

L’argent n’est pas mon moteur. Je ne marche pas au plus offrant.

Une fois diplômé, il suit les dossiers juridiques du Congrès national de la résistance pour la démocratie (CNRD), un groupement politique auquel appartient le Front populaire ivoirien (FPI).

Et comme aujourd’hui lorsqu’il défend l’ancienne première dame ou d’ex-ministres aux avoirs gelés, il travaille gracieusement.

« L’argent n’est pas mon moteur. Je ne marche pas au plus offrant. Mais il est vrai que, si j’avais accepté toutes les valises qu’on m’a proposées, je serais riche depuis longtemps ! »

La confiance de Simone Gbagbo

Simone Gbagbo le rencontre pour la première fois en 2007 et le charge quelques mois plus tard de ses affaires privées et de ses secrets.

Les dossiers sensibles ne manquent pas, au premier rang desquels celui de la disparition, à Abidjan en 2004, du journaliste franco-canadien Guy-André Kieffer.

« Elle n’a rien à voir avec ça », balaie-t-il. Pourquoi celle qui est alors la femme la plus puissante du pays décide-t-elle de faire confiance à un si jeune avocat ? « Il a un incroyable culot et est un grand travailleur », suggère un de ses confrères.

En tout cas, ces deux-là ne se quittent plus. « Elle m’a adopté, comme si j’étais son fils », dit-il. « Je suis son ami, son confident », ajoute celui qui voit l’ancienne première dame presque toutes les semaines à l’école de gendarmerie où elle est incarcérée.

Chaque procès devient une tribune politique

Il est à Paris en avril 2011, lors de la chute du régime Gbagbo, et c’est pour elle qu’il rentre, un an plus tard, en Côte d’Ivoire. Il se rend à Odienné, là où elle est détenue, puis fait le tour des prisons du pays.

À Bouna, il va voir Michel Gbagbo, le fils de l’ex-chef de l’État, et le convainc de porter plainte contre Guillaume Soro et neuf comzones pour « enlèvement, séquestration, traitements inhumains et dégradants ».

Ange Rodrigue Dadjé n’a pas peur des pressions et aime le scandale. Alors qu’à l’époque peu d’avocats veulent défendre les puissants déchus, lui collectionne les affaires.

Les grandes puissances avaient décidé que Laurent Gbagbo devait quitter le pouvoir et elles ont tout fait pour y arriver. La CPI a été leur instrument, accuse-t-il.

Lorsqu’il n’est pas avec de riches et discrets « amis » comme le président béninois Patrice Talon, il mène désormais sans relâche le combat contre le pouvoir d’Alassane Ouattara, qu’il accuse de mener une « chasse aux sorcières ».

Il transforme chaque procès en tribune politique, dénonçant « une justice aux ordres du politique » et des complots ourdis contre le régime Gbagbo. Et même si la stratégie ne se révèle que rarement payante pour ses clients, il n’en change jamais.

« Les grandes puissances avaient décidé que Laurent Gbagbo devait quitter le pouvoir et elles ont tout fait pour y arriver. La CPI a été leur instrument », accuse-t-il.

Il se délecte ainsi de la défiance envers une Cour qu’il estime « injuste et partiale ». Pourtant, c’est bien à La Haye qu’il souhaite mener son prochain combat.

Depuis deux ans, il tente de rassembler des preuves contre certains responsables des Forces nouvelles, la rébellion qui a soutenu Alassane Ouattara, et promet que son travail est en train de porter ses fruits.

« Je ne peux pas vous en dire plus, mais vous saurez tout bientôt », jure-t-il, mystérieux. Un procès international serait pour lui une consécration : Ange Rodrigue Dadjé n’est jamais aussi heureux que lorsque sa robe noire attire la lumière.

Simone n’est pas au bout de ses peines

Interpellée dans la résidence présidentielle de Cocody aux côtés de son mari le 11 avril 2011, Simone Gbagbo est depuis détenue dans le cadre de trois dossiers.

Pour deux d’entre eux, elle a déjà fait face à ses juges. Le 10 mars 2015, l’ancienne première dame a été condamnée à vingt ans de prison pour atteinte à la sûreté de l’État.

À la surprise générale, elle a ensuite été jugée non coupable de crimes contre l’humanité au terme d’un second procès très critiqué tant par les parties civiles que par la défense.

En vertu de la règle non bis in idem selon laquelle on ne peut poursuivre quelqu’un deux fois pour les mêmes faits, ce verdict pourrait permettre aux autorités ivoiriennes d’introduire une nouvelle requête en irrecevabilité auprès de la Cour pénale internationale.

Même si Alassane Ouattara a martelé à plusieurs reprises qu’après Laurent Gbagbo plus « personne n’ira à la CPI », la juridiction internationale continue en effet de réclamer le transfèrement de l’ancienne première dame.

Quoi qu’il en soit, Simone Gbagbo devra une nouvelle fois faire face à un tribunal puisqu’elle est poursuivie en Côte d’Ivoire pour crimes économiques pendant la crise postélectorale. Aucune date n’a été avancée pour ce procès.

Avec sa cliente, devant la cour de justice d’Abidjan, en mai 2016. © ISSOUF SANOGO/AFP

Avec sa cliente, devant la cour de justice d’Abidjan, en mai 2016. © ISSOUF SANOGO/AFP

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