Maroc : qui est Zineb El Adaoui, l’inspectrice chargée de mener l’enquête sur le projet Al Hoceima ?

À peine nommée wali directrice de l’Inspection générale de l’administration territoriale, Zineb El Adaoui s’est vu confier un dossier délicat : le retard pris dans l’exécution du projet Al Hoceima, phare de la Méditerranée. Qui est la nouvelle dame de fer du ministère de l’Intérieur ?

Zineb El Adaoui, à Kénitra, en 2014. © MYMA

Zineb El Adaoui, à Kénitra, en 2014. © MYMA

fahhd iraqi

Publié le 20 octobre 2017 Lecture : 6 minutes.

On l’appelle « Madame Première Fois ». Le 25 juin, Zineb El Adaoui est devenue la première Marocaine à accéder au poste de wali directeur de l’Inspection générale de l’administration territoriale. Une nouvelle haute responsabilité à ajouter au chapelet des postes prestigieux que cette native du Souss a occupés en trente-trois ans de carrière dans l’administration.

La pionnière des femmes hauts commis de l’État a également été, en 1984, la première magistrate de la Cour des comptes. Vingt ans plus tard, elle est encore la première femme à présider une Cour régionale des comptes, et non des moindres : celle de Rabat. « C’est une fonction qui donne une vue d’ensemble sur toutes les institutions publiques qui se trouvent sous sa juridiction, nous explique un cadre du département des Finances. Pour une femme curieuse d’esprit, doublée d’une travailleuse acharnée, comme Mme El Adaoui, c’est une formation accélérée inespérée au cœur des méandres de l’administration marocaine. »

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Première femme wali

Une transversalité qui vaut à cette titulaire d’un DES en sciences économiques de devenir membre de plusieurs commissions et hautes instances publiques (régionalisation, droits de l’homme, réforme de la justice…). Mais en 2014 El Adaoui troque sa robe de magistrate pour un képi d’agent d’autorité. Elle fait son entrée par la grande porte au ministère de l’Intérieur : elle est, à nouveau, la première femme à devenir wali, responsable en l’occurrence de toute la région du Gharb, et gouverneure de la province de Kenitra (à 40 km de Rabat). Un parcours qui détonne dans un pays où le taux de féminisation des postes à responsabilité dans l’administration n’est que de 11 %.

« Inspecteur général de l’administration territoriale est une fonction qui fait trembler élus locaux et représentants du département de l’Intérieur aux quatre coins du royaume », nous explique un connaisseur

Avec sa dernière promotion, Zineb El Adaoui est désormais l’un des cadres les plus puissants du ministère de l’Intérieur. « Inspecteur général de l’administration territoriale est une fonction qui fait trembler élus locaux et représentants du département de l’Intérieur aux quatre coins du royaume », nous explique un connaisseur des arcanes du ministère dirigé actuellement par Abdelouafi Laftit.

À peine la nouvelle inspectrice en chef avait-elle été nommée qu’elle se retrouvait en première ligne dans l’enquête sur le retard pris dans l’exécution du projet Al Hoceima, phare de la Méditerranée et qui avait accentué la tension sociale dans le Rif, une mission que lui a confiée Mohammed VI au cours du Conseil des ministres qui a entériné sa nomination.

Résultat : au cours des derniers mois, son inspection a vu défiler pour des auditions des hommes politiques influents, comme Ilyas El Omari, président de la région Tanger-Tétouan, ainsi que de hauts commis, comme le très en vue wali Mohamed Yacoubi, représentant de l’Intérieur dans cette région.

« C’est une femme d’action et non de paroles. Elle préfère agir, faire son travail avec la réserve que ses responsabilités lui imposent », affirme un proche

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Son rapport d’enquête a été remis le 2 octobre à Mohammed VI lors d’une audience accordée au ministre de l’Intérieur. Mais, de l’Inspection générale de l’administration territoriale, rien ne filtre évidemment au sujet des conclusions de cette enquête. Car Zineb El Adaoui, connue pour sa discrétion, s’est bien gardée de rompre le secret qui entoure généralement les dossiers traités par le département de l’Intérieur. « C’est une femme d’action et non de paroles. Elle préfère agir, faire son travail avec la réserve que ses responsabilités lui imposent », affirme un proche de Mme le wali, qui a d’ailleurs décliné les multiples demandes de rendez-vous que JA lui a adressées.

Les nouvelles fonctions de Zineb El Adaoui ne lui valent pas que des amis. Mais elle n’est pas femme à se laisser impressionner par le machisme ambiant dans l’administration. « Quand elle était wali à Kenitra, un colonel des forces auxiliaires qui avait refusé de lui serrer la main par “conviction religieuse” s’était vu déférer devant un conseil de discipline, assure un ancien membre du conseil de la ville de Kenitra. Les conseillers PJD, qui avaient essayé au départ de la bousculer, s’étaient finalement résignés à composer avec elle, d’autant qu’elle se montrait très efficace sur le terrain. »

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Une maîtrise du domaine religieux

Et si Zineb El Adaoui arrive à tenir tête à la gent masculine, c’est en la supplantant sur son propre terrain. À ceux qui s’aventurent à actionner le levier de la religion, elle oppose une connaissance de l’islam dont peu peuvent se targuer. « Lors des funérailles de son père, en 2015, de hauts responsables venus lui présenter leurs condoléances sont restés pantois lorsqu’ils l’ont vue, au beau milieu des fuqaha, psalmodier le Coran aussi aisément qu’eux », nous raconte notre source.

Pourtant, sa maîtrise du domaine religieux – qu’elle doit à un père alem – n’était plus à démontrer : lors du ramadan 2007, déjà, elle avait fait son entrée dans le club très restreint des femmes ayant animé une causerie religieuse – en l’occurrence autour du thème de « l’économie en islam » – devant le roi Mohammed VI, commandeur des croyants.

Avec ses cheveux courts et son expression ferme, Zineb El Adaoui a des allures de dame de fer. Mais en privé cette amatrice de poésie serait d’une tendresse sans bornes. « C’est une maman poule avec ses deux enfants. Et même dans sa gestion des affaires, elle reste, malgré son intransigeance, douce, voire maternelle », nous confie un proche de la famille. À titre d’exemple, le kick-boxeur Badr Hari, qui a fait sa connaissance lorsqu’elle était wali à Kenitra, s’est pris d’affection pour elle au point de l’appeler « Tati ». Dans la bouche d’un champion de 1,98 m pour 120 kg, c’est sans doute la plus grande marque de respect.

Rigueur et empathie

Autre anecdote révélatrice : ses démêlés avec la femme de ménage de sa maison de fonction quand elle était wali à Agadir, prise en flagrant délit de vol par la sécurité. Intransigeante, Mme le wali n’a pas hésité une seconde à déférer l’employée de maison devant la justice, mais elle a dans le même temps mandaté à ses frais un avocat pour défendre la femme de ménage, qui avait dérobé des morceaux de viande et quelques verres.

Rigueur et empathie, tel est le credo du wali El Adaoui, qui compte bien l’observer scrupuleusement dans son administration. À preuve, parallèlement à l’enquête sur les projets d’Al Hoceima, elle a repris en main l’épineux dossier des indemnités décaissées pour des missions fictives par certains conseillers communaux. Une affaire au parfum de scandale qui devrait faire grand bruit prochainement…

Bio express

• 1960 Naissance à El-Jadida

• 1984 Magistrate à la Cour des comptes après un doctorat sur cette institution

• 2004 Présidente de la Cour régionale des comptes de Rabat

2009 Fonde la section Maroc du Forum international des femmes leaders

• 2010 Membre de la commission consultative

• 2012 Membre de la Haute Instance du dialogue national sur la réforme du système judiciaire

• 2014 Nommée wali de la région du Gharb

• 2015 Nommée wali de la région du Souss

• 2017 Reçoit le prix AllAfrica Leadership féminin

Plafond de verre

L’accès des femmes aux postes de responsabilité a connu des avancées, mais les progrès restent lents et insuffisants eu égard aux compétences féminines dont regorge l’administration marocaine. C’est l’un des principaux constats tirés de l’étude réalisée en 2016 par le ministère de la Fonction publique, en collaboration avec ONU Femmes. Il en ressort que le taux de féminisation dans l’administration a presque doublé depuis 1981, pour frôler 40 % à fin 2012.

Les ministères les plus féminisés sont la Santé (plus de la moitié des fonctionnaires), la Solidarité et les Affaires générales. À l’inverse, les départements de l’Équipement, de l’Intérieur et de l’Agriculture comptent le moins de femmes. Et dans le lot, très peu d’entre elles accèdent à des postes de responsabilité. Le taux de féminisation dans les hautes fonctions (agents d’autorité et magistrats compris) n’est que de 11 %.

Dans le détail, les femmes ne représentent que 17,4 % des chefs de service, 10,2 % des chefs de division, 11,3 % des directeurs et 12,5 % des secrétaires généraux, selon cette étude, qui révèle aussi que les femmes responsables sont plus diplômées et plus jeunes que leurs collègues masculins. Le plafond de verre empêchant les femmes d’arriver aux postes décisionnels est de plus en plus perçu par les intéressées comme un « plafond de fer ».

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