Circulation d’armes en Côte d’Ivoire : l’artillerie en sous-sol

La paix a beau être revenue, des milliers d’armes acquises du temps de la rébellion et de la crise postélectorale sont toujours en circulation. Et les autorités ont le plus grand mal à les récupérer…

Le programme de désarmement, démobilisation et réinsertion s’est officiellement achevé en juin 2015. © SIA KAMBOU/AFP

Le programme de désarmement, démobilisation et réinsertion s’est officiellement achevé en juin 2015. © SIA KAMBOU/AFP

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Publié le 18 octobre 2017 Lecture : 7 minutes.

C’est un gymnase abandonné en bord de route, à Attécoubé, un quartier d’Abidjan situé entre le Plateau et Yopougon. Il y a encore peu de temps, des enfants s’y entraînaient au judo. Au sol, des vêtements et quelques chargeurs vides. Le 27 septembre, l’armée ivoirienne a annoncé y avoir découvert une importante cache d’armes. Des fusils d’assaut AK-47, des mitrailleuses lourdes, des grenades, des lance-roquettes, des obus, 300 treillis, des cagoules, de fausses plaques d’immatriculation, des munitions, des explosifs ainsi qu’un véhicule. Lors de la saisie, 37 cartes estampillées « Mouvement guerrier pour la dignité et la justice en Côte d’Ivoire » ont également été retrouvées.

Dans le quartier, on se dit inquiet mais pas vraiment surpris. Les habitants racontent qu’ils avaient pris l’habitude de voir déambuler des hommes armés. Né pendant la crise postélectorale de 2010-2011, ce mouvement avait épaulé les Forces nouvelles lors de la bataille d’Abidjan. Ses membres, dirigés par Traoré Zanga, dit « Commandant barbu », n’ont pas été intégrés dans les Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI).

 Les statistiques du désarmement ont été gonflées

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C’est la deuxième saisie importante en quelques mois. Le 15 mai, alors que des mutineries secouaient le pays, quinze tonnes d’armes encore dans leur emballage – AK-47 et lance-roquettes – ainsi que des munitions étaient retrouvées dans l’ancienne piscine réaménagée en sous-sol d’une villa. Une propriété appartenant à Soul to Soul, le directeur du protocole de Guillaume Soro, l’ex-chef rebelle devenu président de l’Assemblée nationale.

Au-delà des conséquences politiques qu’elles peuvent avoir, ces découvertes prouvent qu’une partie des armes utilisées pendant la crise politico-militaire n’a pas rejoint les stocks officiels de l’armée. Elles jettent également le doute sur l’efficacité du programme de désarmement, démobilisation et réinsertion (DDR), qui s’est officiellement achevé le 30 juin 2015.

À l’époque pourtant, le processus dirigé par Fidel Sarassoro, actuel directeur de cabinet du président Alassane Ouattara, et accompagné par les Nations unies avait été globalement salué. Dans les couloirs de l’ONU, on vantait ses résultats probants et l’on parlait même d’un « modèle ivoirien ». « On a survendu le DDR, assure aujourd’hui un expert sécuritaire. Les statistiques du désarmement ont été gonflées et le principal défi, qui était la prise de contrôle par l’armée des stocks d’armes, n’a pas été relevé. »

 574 armes détruites, mais combien en circulation ?

« Tout pays ayant traversé dix années de crise serait dans notre situation, répond un cadre du ministère de l’Intérieur et de la Sécurité. Nous avons continué à récupérer et détruire des armes même après la fin du DDR. La Commission nationale de lutte contre la prolifération et la circulation illicite des armes légères a fait un gros travail. Rien qu’en avril 2017, elle a procédé à la destruction de 574 armes au 4e bataillon d’infanterie de Korhogo. »

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La même source rappelle qu’entre 2002 et 2010 les livraisons d’armes dont a bénéficié la rébellion se sont faites dans l’opacité la plus totale. Un membre de la Commission de lutte contre la prolifération des armes poursuit : « La difficulté est que l’on a du mal à évaluer la quantité précise d’armes encore en circulation. C’est la conséquence de la crise ivoirienne mais pas seulement. Quand les guerres du Liberia et de la Sierra Leone ont pris fin, et après la chute de Kadhafi, beaucoup d’armes sont entrées dans le pays. »

Le groupe d’experts des Nations unies a été l’un des premiers à s’en inquiéter. En 2015, il affirmait qu’« un grand nombre d’armes et de munitions [étaient] toujours en circulation ». « Cette situation met en évidence la complexité du processus de désarmement et des efforts faits pour récupérer le matériel de guerre », ajoutait-il.

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Un processus de désarmement complexe

Un an plus tard, un autre rapport onusien mettait directement en cause Guillaume Soro, accusant les Forces nouvelles d’avoir acheté 300 tonnes d’armes et de munitions au lendemain de la crise postélectorale. Du matériel acquis au Burkina Faso et entreposé à Bouaké et à Korhogo, selon les experts de l’ONU.

Guillaume Soro a toujours rejeté ces accusations. « Après la crise, il est vrai que nous avons préféré garder une partie de nos armes avec nous parce que les pro-Gbagbo étaient dans les casernes et que nous ne leur faisions pas confiance, argue un ancien comzone. Il y en avait à la frontière avec le Liberia, à Korhogo, à Odienné et à Bouaké. Mais en 2012, après son départ de la primature, Soro a demandé à tous les anciens chefs de la rébellion de rendre les armes. Lui-même en avait à Abidjan mais il les a données à l’armée et notamment aux forces spéciales. »

En mettant en place un système de rotation des comzones, les autorités ont également tenté d’éloigner les anciens chefs de guerre des poudrières. Mais ceux-ci ont contourné la manœuvre. Ils ont placé des proches à leur place et ouvert la voie à une nouvelle génération de comzones qui répondent plus aux ordres de leurs aînés qu’à ceux de leur hiérarchie.

Des armes comme assurance-vie

Pour ceux qui sont visés par des mandats d’arrêt délivrés par la justice ivoirienne ou sous la menace de la Cour pénale internationale (CPI), ces armes sont une assurance-vie. Un familier de l’ex-rébellion affirme qu’une partie du matériel utilisé par l’unité de protection rapprochée de Soro lorsqu’il était Premier ministre a été conservée à la base aérienne de Bouaké : « Ces armes ont ensuite été réparties dans la ville, notamment chez Soul to Soul mais aussi chez Souleymane Zébré, un ancien proche conseiller de Soro. » Zébré a d’ailleurs été auditionné en juillet par la justice militaire.

Aujourd’hui, une dizaine d’enquêteurs ivoiriens, épaulés par un expert de l’ONU dont la mission a été prolongée jusqu’en mars 2018, sont chargés d’identifier la provenance et le mode d’acquisition des armes retrouvées depuis le mois de mai. Ils doivent aussi localiser d’autres caches. Il y en aurait encore au moins trois, dans l’ouest, l’est et le nord du pays. Plusieurs dizaines d’officiers ont été entendus. Soro lui-même a été interrogé par l’ONU fin juillet, ce qu’il a peu goûté.

La guerre a ses secrets qu’il vaut mieux ne pas révéler

Un premier rapport a été remis aux autorités ivoiriennes. Soul to Soul, accusé de « complot contre l’autorité de l’État », a ensuite été placé sous mandat de dépôt le 9 octobre. D’autres personnes seront-elles inquiétées ? « Les autorités sont dans une situation délicate. La guerre a ses secrets qu’il vaut mieux ne pas révéler », explique un membre du Conseil national de sécurité (CNS). Un officier affirme ainsi que le fameux « Commandant barbu », décédé il y a quelques mois, était en contact avec certains membres de l’appareil sécuritaire ivoirien. « L’existence de caches d’armes n’est pas un fait nouveau, affirme-t‑il. C’est le contexte qui a changé. Pendant des années, le régime a vécu avec la peur d’un retour armé des pro-Gbagbo. Mais maintenant que les alliés politiques d’hier se querellent, on ne sait pas à quoi ces armes pourraient servir. »

Alors que les attaques contre les forces de sécurité se sont multipliées ces derniers mois, la présence de vastes quantités d’armes non répertoriées pose bien entendu des problèmes de sécurité nationale. Mais elle inquiète aussi dans le reste de la sous-région : en août 2013, une cargaison d’armes en provenance de Korhogo a été saisie sur le territoire nigérien. Niamey soupçonne qu’elles aient été destinées à Boko Haram, au Nigeria. Et dans un rapport très détaillé paru en novembre 2016, le Conflict Armament Research révélait que des fusils d’assaut appartenant à l’armée ivoirienne avaient été retrouvés… en Centrafrique. Entre les mains des rebelles de la Séléka.

Des chiffres gonflés

Au moment de mettre fin à la mission de l’Autorité de démobilisation, de désarmement et de réinsertion (ADDR) en juin 2015, les autorités avaient annoncé avoir collecté plus de 42 000 armes.

Or ce chiffre prenait notamment en compte plus de 7 000 armes finalement laissées à la disposition de certains comzones, ainsi que 3 000 autres collectées en amont par l’Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire (Onuci). On estime aujourd’hui les nombres d’armes légères récupérées à moins de 20 000

Chasse aux « microbes »

Parallèlement aux enquêtes menées pour identifier l’origine des armes retrouvées depuis le mois de mai, les autorités ont lancé, le 21 septembre, une opération pour lutter contre la criminalité urbaine : Épervier III. Elle vise principalement plusieurs quartiers d’Abidjan, comme Yopougon, Abobo ou Koumassi, et mobilise près d’un millier d’éléments.

Si les méthodes parfois brutales de la police et l’efficacité sur le long terme de telles opérations posent question, les autorités se veulent confiantes. « Le bilan provisoire de l’opération épervier fait état de l’arrestation de 8 grands trafiquants de drogue, de la saisie de 900 kilogrammes de drogue,  de 922 armes blanches, de la fermeture de 128 fumoirs, l’ interpellation de 2 200 personnes, dont un certain nombre de mineurs, et de la fermeture de 28 gares anarchiques », a indiqué Bruno Koné le 11 octobre.

L’objectif de l’opération est aussi de mettre fin au phénomène des « microbes », ces jeunes qui sèment la terreur dans la ville. Souvent sous l’empire de la drogue, ils agressent, volent et tuent sans que le gouvernement ne parvienne à les contrer.

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